On prédisait que L’Innocent serait la star des César 2023, mais La Nuit du 12 a largement dépassé l’opus de Louis Garrel en raflant six Césars. Au-delà d’un excellent démarrage au box-office, avec 96 667 entrées la première semaine, le film de Dominik Moll a par la suite réussi à faire venir 510 000 cinéphiles en salles. Quelle est donc la recette de ce thriller haletant ?
1 – Un film primé
Cette année encore, le cinéma français a révélé le talent du duo formé par le réalisateur Dominik Moll et son co-scénariste Gilles marchand. Dans leur exploration de l’âme humaine, ils nous avaient boulversé.e.s avec Harry, un ami qui vous veut du bien et Seules les bêtes. Dans cette lignée de thrillers à la psychologie fouillée et aux tableaux audacieux, La Nuit du 12 nous bouleverse autant qu’elle nous éreinte.
Alors la 48e cérémonie des Césars, le 24 février 2023, n’a pas manqué de récompenser ce film. Grand gagnant de la soirée, La Nuit du 12 a obtenu pas moins de six statuettes tant convoitées :
- Le césar du meilleur réalisateur pour Dominik Moll ;
- Le césar du meilleur acteur pour un second rôle Bouli Lanners ;
- Le césar du meilleur espoir masculin Bastien Bouillon ;
- Le césar de la meilleure adaptation pour Gilles Marchand et Dominik Moll ;
- Le césar du meilleur son pour François Maurel, Olivier Mortier et Luc Thomas.
2 – Un synopsis haletant
La Nuit du 12 s’inspire du livre documentaire 18.3. Une année à la PJ de Pauline Guéna. Elle y conte un an d’immersion dans les services de la police judiciaire de Versailles.
Dans la version cinématographique, l’intrigue se déroule dans une petite bourgade, aux environs de Grenoble. Alors qu’elle rentre d’une soirée avec des ami.e.s, une jeune femme est assassinée puis brûlée vive. S’ouvre alors une investigation s’intéressant aux zones d’ombre qui entourent la victime. Se dévoile toute une galerie de personnages particulièrement inquiétants. Nous suivons l’enquête du point de vue de deux enquêteurs, plongeant à corps perdu dans cette enquête aussi tentaculaire que désespérée.
3 – Un casting révélateur
Parmi les Césars octroyés à La Nuit du 12, deux récompensent le duo de tête du film. Composé de Bastien Bouillon et Bouli Lanners, il nous transporte aux confins de l’enquête par son équilibre maîtrisé.
Bastien Boullin est la grande révélation du film, et certainement du cinéma français pour cette année. Bien qu’il ait déjà tourné dans une vingtaine de films, il prend cette fois le rôle principal. Incarné dans la peau du capitaine chargé de l’enquête, le jeune comédien s’enlise dans une psychologie tortueuse. Le résultat ? Au simple moyen d’un regard, d’un geste ou d’un ton de voix, il réussit à nous transmettre ses rares sentiments avec brio. L’acteur explique par ailleurs que ce film est pour lui une véritable réussite à plusieurs égards.
« Cette expérience me donne envie de garder le cinéma à un endroit très vertueux. Je ne suis pas fermé à l’idée d’explorer un cinéma plus populaire, mais « La Nuit du 12 » me conforte dans l’idée qu’on peut faire des entrées avec des films exigeants »
Quant à Bouli Lanners, il brille encore de charisme. Dans son duo avec Bastien Bouillon, il remet petit à petit en cause le machisme toxique de la société tout en explorant sa place dans ce système.
Le duo réussit également la prouesse de nous faire rire. C’est une surprise dans un film si chargé en émotions, drames et violences. Or, c’est aussi la grande force de l’union de Moll et Marchand. Ils partent d’une situation monstrueuse pour mettre la lumière sur des facettes dérangeantes de notre société. Ainsi, le premier duo met en scène le deuxième pour « souligner les points de rupture avec l’humanité, les zones grises où notre rationalité décroche ». Ce sont souvent des répliques anodines qui révèlent la folie du monde, le contraste est si saisissant qu’il nous fait amèrement rire.
4 – Un polar hors des sentiers battus
La carte du polar est souvent jouée en France, c’est un genre qui plaît, tant en littérature qu’en cinéma. Or, La Nuit du 12 n’est pas un polar comme les autres. D’abord, la fin du film est révélée dès le départ. Le prologue déclare noir sur blanc que l’enquête ne sera pas résolue.
Aussi, le cliché de l’enquêteur obsédé par son investigation est un lieu commun des thrillers. La Nuit du 12 n’en fait pas exception, encore mieux, il le réinvente. Si à première vue, le film réunit tous les éléments de base du thriller, il sort pourtant des sentiers battus. Le sentiment de malaise d’un genre particulier qui s’immisce nous pousse à repenser tout ce que l’on est en train de voir sous une nouvelle perspective inopinée.
5 – Une mise en scène édifiante
Ce film nous fait la démonstration d’une esthétique pointue. Les tableaux s’assemblent de telle sorte qu’ils créent une œuvre insoluble. Mais le plus remarquable dans le montage de La Nuit du 12 a été récompensé par un césar : le son. En effet, les ruptures de tonalité créent la spirale dans laquelle s’enlisent les protagonistes. Ces derniers sont constamment replacés dans un espace absurde qui nous saisit autant qu’il nous écrase.
Aussi, le cadrage du film modifie la perception commune des zones urbaines périphériques. Leurs caractéristiques sont modifiées et réinterprétées de telle sorte que les scènes prennent une dimension irréelle, sans pour autant tomber dans la fantasmagorie. Les scènes de nuit sont particulièrement révélatrices à cet égard. L’éclairage communal se mut en un brasier glacé qui donne progressivement aux tableaux des airs à la fois surréalistes et bourrés de tensions concrètes. Le drame qui rythme le film prend finalement ses racines dans un versant funèbre et poétique de la réalité.
6 – Un profond message féministe
Le point central et essentiel de La Nuit du 12 tient dans sa réflexion sur la relation minée des hommes avec les femmes. Les thrillers habituels nous servent une image de la femme binaire : ombres du foyer familial ou victimes anonymes et interchangeables. L’opus de Dominik Moll et Gilles Marchand bouscule justement ces codes genrés pour questionner le machisme latent de notre société.
Alors que le film présente un casting très masculin, il puise portant sa force dans un propos féministe affirmé. Deux personnages féminins participent de cette revendication. Il y a d’abord la juge, qui relance les recherches, interprétée par Anouk Grinberg. Puis, nous découvrons la jeune recrue de la PJ cherchant à changer les mentalités fabuleusement interprétée par Mouna Soualem. À leur arrivée au milieu du récit, le point de vue sur la condition féminine prend une nouvelle tournure. D’ailleurs, la jeune policière fait cette remarque pleine de sens qui fait basculer le film :
« Vous ne trouvez pas ça bizarre vous que ce soit majoritairement les hommes qui commettent les crimes et majoritairement les hommes qui sont censés les résoudre ? »
Ainsi, La Nuit du 12 est un film important à voir pour de nombreuses raisons, en plus de celles plébiscitées lors des César. Il ne tombe jamais dans l’écueil de la fascination policière, meurtrière ou dans la moralisation. Les réalisateurs y délivrent purement leur message afin de permettre l’expérimentation de la violence absurde qui règne sur notre société. L’important de ce métrage n’est pas de découvrir l’assassin, mais plutôt de réaliser l’omniprésence de la violence des hommes. Ceci même en dehors du champ des féminicides.