Cinéma inclusif : voici pourquoi la visibilité trans est cruciale

Le tandem Alexandra et Sin-dee Rella dans « Tangerine », Jules Vaughn au cœur de la série « Euphoria » ou plus récemment Teri qui a brillé dans mon « Petit Renne »… les acteur.ice.s trans prennent une timide revanche sur le grand écran. Encore marginalisé.e.s des projecteurs, iels se font injustement voler leur rôle par leurs collègues cis, qui se griment et se travestissent pour camper des protagonistes trans. Même si les personnages trans ont une plus grande place entre les lignes des scénarios, iels ne sont pas toujours incarné.e.s avec justesse et exemplarité. Malgré des créations qui sortent du lot et donnent la part belle à la transidentité, le cinéma doit faire une sacrée mise au point pour se dire inclusif.    

Quelle est la place des acteur.rice.s trans dans le cinéma ?

Pendant longtemps, iels ont été éclipsé.e.s des décors et laissé.e.s à bonne distance des tournages prestigieux. Malgré leur talent indéniable, les acteur.rice.s trans sont encore les « vilains petits canards » du 7e art. Pourtant, les chiffres recueillis par IMDb semblent dire le contraire. Au 24 novembre 2023, 968 films portaient l’étiquette « transgender », c’est presque 300 de plus qu’en 2021. De prime abord, c’est plutôt une bonne nouvelle. Mais il suffit de creuser un peu et de passer la loupe sur ces données pour s’apercevoir des failles qui persistent.

Alors que les romances gays enrichissent de plus en plus les catalogues des plateformes de streaming, les trans n’ont pas la même « chance » et se limitent à des rubriques plus « graves », qui plombent le moral. Iels s’érigent dans des drames ou des documentaires, mais sont absent.e.s des histoires d’amour. Soit iels habitent des héro.ïne.s tourmenté.e.s et malheureux.ses, soit iels prennent l’allure d’attractions humaines. Il y a toujours une curiosité malsaine en toile de fond ou un message induit de mal-être. D’ailleurs, parmi les 15 mots-clés qui reviennent le plus souvent, cinq font référence à la nudité. Ce qui traduit une sorte de voyeurisme « crasse ».

Le cinéma dresse un portrait difforme des personnes trans et surfe sur des clichés qui sont bien en-dessous de la réalité. Et ce n’est pas le seul défaut sur la pellicule. Les acteur.rice.s trans ne sont pas les premier.ère.s sollicité.e.s pour revêtir les rôles trans, ce qui semble pourtant relever de l’évidence. C’est pourquoi le collectif « Représentrans » a créé l’équivalent du test Bechdel pour mesurer l’ampleur du « cis gaze » dans une oeuvre. Sur le même principe que l’outil destiné à pointer le sexisme dans un film, il permet d’évaluer la manière dont un long-métrage traite la transidentité. Sans surprise, le cinéma néglige les représentations trans.

Utiliser des acteur.rice.s cis pour jouer des personnages trans, une aberration

À sa sortie en salle en 2015, le film « Danish Girl » a été acclamé par la critique. Mais de l’autre côté, il a soulevé la grogne des personnalités trans. Pourquoi ces deux sons de cloche différents ? Ce biopic aborde la véritable histoire de Lili Elbe, une artiste danoise des années 20 qui a été la première personne à recourir à une opération de réassignation sexuelle. Le choix de l’acteur a fortement déplu à la communauté trans. C’est en effet, Eddie Redmayne qui a prêté ses traits à cette peintre rentrée dans l’Histoire LGBT+. L’acteur, aussi aperçu dans « Les Animaux Fantastiques », s’est grimé en femme pour s’approprier ce rôle. Malgré une performance convaincante et plusieurs nominations aux Oscars 2016, ce film a été la « goutte de trop ».

Déployer des histoires trans sans faire appel aux acteur.rice.s qui sont les mieux placé.e.s pour les incarner est une fâcheuse habitude dans le cinéma. Le film « Danish Girl » n’est pas le seul à faire cette entorse. « A good man » hisse à l’affiche Noémie Merlant dans la peau d’un homme trans enceint. Du côté de l’Hexagone, ce n’est guère mieux. Dans « Un homme heureux », c’est la lumineuse Catherine Frot qui, sur un ton humoristique, arbore le costume d’un homme en plein parcours de transition. Des exemples comme ça, il en existe par dizaines. Le monde du cinéma boude les acteur.rice.s trans, même lorsque leur présence est nécessaire.

Or, en faisant du favoritisme avec les acteur.rice.s cis, le 7e art froisse l’image d’une communauté entière, entretient les fausses idées et camoufle le travail des trans. Des acteur.rice.s cis qui se déguisent pour imiter un.e trans, dans la vraie vie ça s’appellerait de la transphobie. Mais là, il est question de jeu, d’acting défend-on. Les acteur.rice.s cis, peuvent interpréter des veuf.ve.s imploré.e.s, des gangsters ou des tueur.se.s en série. En revanche, iels n’ont pas le « vécu » nécessaire, ni la légitimité pour jouer un.e trans. C’est ce que soutiennent les collectifs. C’est exactement comme attribuer un rôle d’esclave noire à un homme blanc, c’est incohérent.

La création d’un annuaire pour jeter les lumières sur les acteur.rice.s trans

Pour que le cinéma s’ouvre à la diversité et arrête de donner une lecture unique au discours trans, le collectif « Représentrans » a sorti un annuaire un peu « spécial ». Il s’agit en fait d’une vitrine avec tous les contacts des acteur.rice.s trans. Ce répertoire aux accents militants a pour vocation de rouvrir des portes aux acteur.rice.s trans et non binaires, trop souvent laissé.e.s sur la touche.

Loin de se compter sur les doigts de la main, iels attendent tou.te.s le coup de fil qui déclenchera leur carrière. Et grâce à cet annuaire, iels ne sont plus tapi.e.s dans l’ombre et profitent d’une précieuse mise en avant. En plus de leur façonner une rampe d’accès au succès, il les lance dans l’industrie audiovisuelle. Il est urgent que le cinéma intègre les acteur.rice.s trans, ne serait-ce que pour avoir des récits authentiques et crédibles.

« Il y a une question de vraisemblance et d’authenticité, qui est importante, comme on le voit dans la série espagnole « Veneno », entièrement jouée par des comédiens trans », explique Gabriel Harivelle à Télérama

Ces films et séries qui honorent les rôles trans

Si le cinéma nécessite quelques corrections pour dépeindre dignement les trans, il y a tout de même des œuvres qui célèbrent cette identité de genre, sans tomber dans la caricature. Des films et séries servent d’exemple, de modèles positifs. Pour l’heure, rares sont les créations qui traitent le sujet sans prendre parti. Mais il en existe quelques-unes qui rattrapent les erreurs criantes du passé.

Il y a « Tangerine », un film de Sean Baker qui met en vedette deux prostituées trans et noires. Les deux femmes, campées par des actrices trans amatrices, s’y dévoilent dans un conte moderne qui mêle combats personnels et histoire de vengeance. Habile, ce film capture la réalité brutale de leur quotidien, tout ça avec fraîcheur et dynamisme. Il y a aussi « Port Authority », qui évoque une histoire d’amour tortueuse entre un homme blanc miséreux et Wye, une fille trans qui fait du voguing à Harlem. Lui n’ose pas avouer qu’il est sous liberté conditionnelle et elle dissimule sa transidentité. Un questionnement profond et vibrant sur l’acceptation de soi.

La série « Euphoria » a également révélé la brillante Hunter Schafer, une actrice trans versatile qui est plus connue en tant que Jules Vaughn, son alter ego de fiction. Au-delà de magnifier une partie de la série phénomène, elle transpose son histoire intime sur son personnage, ce qui lui donne encore plus de reliefs. Certain.e.s réalisateur.rice.s vont également jusqu’à imposer des « quotas de personnes trans » on stage et en back. C’est ce qu’a exigé la créatrice de la série « Transparent ».

Le cinéma a encore des efforts à faire pour valoriser les personnes trans. En perpétuant de vilaines représentations, le 7e art induit le public en erreur. D’où l’importance de lever les filtres ultra normés qui collent aux caméras.   

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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