Les dessins animés Disney continuent d’émerveiller les nouvelles générations d’enfants. Pourtant, une fois l’innocence du tendre âge envolée, ils suscitent plusieurs interrogations. Notamment sur la perception, très médiocre, de la figure maternelle. La majorité des œuvres Disney effacent les mères de l’intrigue et encensent le rôle du père. Décédées prématurément, sacrifiées ou dépeintes en être sans cœur, Disney déploie une image écorchée des mamans. Alors qu’en général, elles incarnent sécurité et douceur, dans les contes Disney, elles accusent un procès déguisé. Mais pourquoi un tel sort ?
Les mamans, ces mal-aimées des Disney
Les créations Disney sont remplies de symboles et de messages subliminaux. Évidemment, pendant l’enfance, impossible de les percer à jour. Seul le parcours trépidant des protagonistes nous importait. Mais avec un regard mûr et plus consciencieux, ce qui semblait relever du détail prend beaucoup plus de sens. Un constat est d’ailleurs criant : les mères sont totalement gommées du paysage. Celles qui convoquent habituellement confort et amour sans limites semblent avoir disparu des radars.
Soit elles font une brève apparition au début de l’histoire, soit elles sont inexistantes. Et lorsqu’elles s’épanouissent dans l’intrigue, c’est pour faire la misère à leur progéniture. À en croire les scénarios Disney, les mamans sont secondaires et incompatibles avec la féérie. Si d’ordinaire, celles qui portent la vie sont présentées en « piliers » de la famille, chez Disney, elles n’ont d’utilité qu’à semer la tristesse. Elles se départagent en plusieurs catégories, toutes peu élogieuses.
La mère absente
Dans les Disney, les mamans sont fantomatiques. Elles ne ravivent pas l’ombre d’un souvenir. Cendrillon, condamnée à vivre en souillon chez sa belle-mère, ne fait par exemple jamais allusion à sa maman. C’est le néant total. Même écho pour Belle, qui cultive un lien puissant avec Maurice, son papa poule. Là encore, aucune mère à l’horizon. Elle est éclipsée au profit de cette relation père-fille si unique.
Ariel, elle aussi, évolue aux côtés de son père, le roi Triton, sans émettre une once de regrets envers cette mère évaporée. Si les protagonistes ne sont pas pris sous l’aile de leur paternel, iels sont élevé.e.s par des figures parentales non biologiques. Cette absence de mère est souvent laissée sans réponse ou expliquée de manière sommaire, comme s’il s’agissait d’une simple banalité.
La mère maléfique
Lorsque les mamans ne sont pas dans une zone blanche, elles arborent le costume de la « méchante ». C’est le cas de la marâtre de Cendrillon, qui révèle son abominable visage à la mort de son mari. Même si elle n’est pas la mère biologique de la princesse au soulier de verre, elle s’érige en femme froide, austère et impitoyable.
Ces traits horrifiques sont similaires chez Ursula, la tortionnaire de la Petite Sirène. Présentée en sorcière des mers, elle incarne tous les péchés du monde. En résumé, Disney façonne un portrait régressif des mamans, alors confinées dans le cliché de la femme jalouse et égoïste.
La mère sacrifiée
Au-delà de ces deux visages maternels assez peu vendeurs, Disney s’attèle aussi à faire périr les mamans de manière brutale. Par exemple, la mère de Bambi est tuée impunément sous les coups de fusil d’un chasseur. La mère de Némo, elle, disparaît subitement, suggérant l’hypothèse d’une attaque mortelle.
Cette perte précoce de la mère peut être vue comme un moyen de créer un conflit émotionnel pour le personnage principal. Mais ce n’est pas forcément la seule intention. Le destin fatal réservé à ces mères fait aussi écho aux craintes masculines d’élever un enfant solo.
Évincer les femmes pour honorer les hommes
Si Disney perpétue un dédain déguisé des mamans, ce n’est pas par pur sadisme. C’est le reflet teinté d’une pensée patriarcale musclée. Sous leur aspect divertissant et leur morale soi-disant édifiante, les Disney font la propagande de stéréotypes de genre archaïques. Les pères trônent toujours sur un piédestal tandis que les mères sont considérées superflues ou nuisibles. Si les mamans sont si invisibles, c’est pour permettre aux hommes de s’imposer.
D’ailleurs, les Disney les plus iconiques ont été réalisés aux prémices du féminisme, alors que les femmes réclamaient plus de droits. Malgré leur nature « candide », ces dessins animés se sont servis de leur schéma narratif pour entacher ce noble combat. Les pères y sont alors couronnés de laurier et élevés en « rôle modèle ». Par opposition, les mères sont accusées de faire les mauvais choix et de déserter leurs responsabilités. Un contraste assourdissant qui vise à culpabiliser davantage les femmes.
Lorsque les pères tentent de contrôler leurs filles, c’est uniquement par amour et par bienveillance. À contrario, lorsque cette tâche incombe aux mères, elle sonne plus toxique et vicieuse. La domination des hommes est considérée comme normale alors que celle des femmes est tout de suite incriminée. Disney va même encore plus loin, en hissant les femmes en principales fautives de cette boucle patriarcale.
L’exemple le plus probant se trouve dans Raiponce. L’héroïne à la chevelure démesurée est enfermée par sa propre mère dans une tour inaccessible. Retenue en captivité avec le strict minimum, elle subit les pires traitements parentaux. Avec en prime, une incitation à la haine des hommes. Mère Gothel est une caricature grossière du féminisme radical et de la guerre des sexes. En clair, Disney égratigne volontairement le portrait des mamans pour accorder plus de mérites aux hommes.
Un écho à l’histoire personnelle de Walter Disney
En parallèle de leur dimension machiste, les Disney donnent aussi une étoffe morose aux mamans pour une raison plus intime. Ils retranscrivent les traumas de Walter Disney, le père fondateur de ces dessins animés emblématiques. À l’aube des années 40, alors qu’il règne en maître sur l’industrie du cinéma, Walter décide de faire une surprise à ses parents, qui vivent dans l’Oregon. Avec son pécule, il leur achète une maison flambant neuve.
Sauf que ce rêve d’une vie se transforme en cauchemar éternel. Pas de fins heureuses ni de paillettes dans cette sombre histoire. La première nuit après l’emménagement dans ce nouveau cocon, la chaudière, que Walter avait pourtant fait réparer, se met à fuir. Si son père s’en tire presque indemne, sa mère succombe à cette erreur technique. « Il ne se l’est jamais pardonné. Il n’en parlait pas, mais ça l’a vraiment hanté« , explique Don Hahn, réalisateur et scénariste emblématique des studios Disney au média Glamour UK.
Cette culpabilité dévorante l’a probablement amené à modeler ses scénarios sans cette figure, alors synonyme de douleurs et de souvenirs amers. Retirer les mamans de ses créations était certainement, pour lui, un moyen de se protéger et de fuir sa propre vérité.
Favoriser la sympathie envers les personnages clés
Les Disney retranchent aussi les mamans dans l’oubli pour stimuler l’empathie des spectateur.ice.s. La mère, allégorie du bien-être émotionnel, est supposée accompagner ses enfants sur le chemin de la vie et les soutenir dans les épreuves. Le fait de les supprimer revient à couper ce « cordon ombilical » si précieux qui les lie à leur enfant. Ce choix suscite une forme de pitié et de compassion commune. Le public développe alors une connexion plus intense avec le personnage central.
Mais comme l’évoque Don Hahn, ce parti-pris répond aussi à un besoin pratique. « Les films d’animation Disney durent entre 80 et 90 minutes et traitent du passage à l’âge adulte, et de la découverte de soi. Perdre un proche de façon brutale est simplement une ficelle scénaristique, un raccourci pour que l’héroïne prenne plus rapidement le chemin de l’indépendance », explique-t-il. Si Disney raye les mamans de ses récits, c’est donc aussi pour ne pas perdre le sujet essentiel : le délicat passage à l’âge adulte.
Bien que Disney tente de donner une vision plus progressiste de la société, ses créations « originales » renvoient un discours erroné et profondément désobligeant sur les mamans. Ce n’est d’ailleurs pas le seul reproche qui leur est assigné. Le baiser non consenti du prince dans La Belle au Bois Dormant ou le racisme avéré du Livre de la Jungle sont autant d’autres aberrations. Mais elles sont insidieusement assouplies par la portée « sympathique » des Disney.