À l’heure où les interactions sociales ont été rendues compliquées par la pandémie, le numérique a pris une place prépondérante dans notre quotidien. Et cela, même du côté de nos amours. Preuve en est avec l’essor du géant Tinder. On connait le refrain : après une rupture compliquée, une petite inscription histoire de rebooster notre ego et de se changer les idées… Nous voilà pris.es dans la matrice. Mais en connait-on vraiment tous les rouages ?
Les applications, ou l’amour à l’ère moderne
Qu’on le veuille ou non, ou plutôt qu’on l’assume ou non, les applications de rencontre sont un élément phare de nos amours contemporains. Un sondage de l’Ifop indique qu’en décembre 2020, un tiers des Français.es était inscrit sur une de ces applis. Le principe est simple. Plusieurs profils défilent successivement. Un prénom, un âge, quelques photos et une biographie. Lorsque l’attirance est réciproque, on match et on peut commencer à échanger plus amplement. À l’inverse, un simple swipe vers la gauche et vous voici débarrassé.e de cette personne à jamais. C’est ainsi que, chaque jour, les utilisateur.rice.s Français.es engrangent près de 45 millions de swipes.
La journaliste indépendante Judith Duportail faisait partie de ce tiers de Français.es qui passe des heures à swiper à la recherche de l’amour, ou du moins de quelqu’un capable de briser leur sentiment de solitude de manière plus ou moins agréable. Comme beaucoup, elle avait choisi pour cela l’application la plus rentable de l’Apple Store, à savoir (roulement de tambour) Tinder.
Tout se passait plutôt bien jusqu’à ce qu’elle découvre l’existence de ce qu’on appelle le score de désirabilité. Elle se lance alors dans une enquête publiée en 2019 dans un livre nommé L’amour sous algorithme. Plus récemment, le réalisateur Jérôme Clément-Wilz adapte librement son oeuvre dans documentaire de 52 minutes diffusé le 19 janvier dernier sur France 2.
Tinder, mon cher Tinder, dis-moi si je suis… désirable
Algorithmicien, sociologue, P.D.G. d’une application de rencontre similaire à Tinder, journaliste data… dans ce documentaire, expert.e.s et utilsateur.rice.s racontent ce qu’est vraiment Tinder. Commençons par le commencement…
Tinder est une application qui comme toute technologie repose sur un algorithme régi par des règles précises et établies préalablement. La manière dont les profils proposés n’est donc absolument pas due au hasard, mais plutôt à ce qu’on a pris l’habitude d’appeler à un « score de désirabilité ». Du moins, c’était le cas au moment de l’enquête de Judith Duportail. Depuis 2019, Tinder indique ne plus l’utiliser.
Lors de son enquête, la journaliste est tombée sur les 27 pages du brevet de Tinder. Elle découvre à cette occasion que le score est établi non seulement en fonction de notre « attractivité » (toute relative d’ailleurs), mais aussi en fonction de notre niveau de revenus, d’études, de notre intelligence ou de notre QI en analysant, en autres, notre façon de nous exprimer, les fautes de grammaire que l’on fait ou la longueur de nos réponses sur l’application.
« Il faut comprendre que chaque fois que votre profil est présenté à une personne se joue un mini-tournoi, comme un match de foot ou une partie d’échecs. (…) Si la personne ‘contre’ vous a une cote haute et vous like, vous gagnez des points. Si elle a une cote basse et vous ignore…. vous en perdez », explique la journaliste dans son ouvrage
Dans l’immensité de Tinder, nous n’étions donc que des notes.
Un environnement toxique
Cela va même plus loin. Si l’on continue de vouloir caractériser Tinder, il est important de mentionner qu’il s’agit d’une entreprise dont le but est le profit. Le score de désirabilité permet d’optimiser l’ordre d’apparition des profils. Le but : que ceux considérés comme les plus attrayants n’arrivent pas trop vite… Eh oui, cela signifierait de fait la fin de la séduction et donc du commerce virtuel. D’un point de vue objectif, ce n’est pas bon pour l’application au 61 millions d’utilisateur.rice.s. En résumé, c’est un « business model construit sur notre désarroi, notre solitude« , comme l’explique Judith Duportail.
Le problème est que ces sentiments de désarroi et de frustration d’être seul.e et de le rester, notamment de la part des hommes qui sont bien trop nombreux face au nombre de profils féminins, provoque un climat toxique et sexiste.
« J’ai remarqué une agressivité, une impatience quand on ne répond pas tout de suite, des incivilités. Indéniablement, même », détaille l’investigatrice dans une interview accordée à Marie-Claire
Si vous avez du mal à visualiser ce que cela peu donner, voici un échange qu’a eu Judith Duportail avec l’un de se match et qu’elle retranscrit dans son livre.
« Match 440 : Hello Judith ! J’aime beaucoup tes photos, qu’est-ce que tu nous prépares de bon ?
Hello, hello, tu réponds pas ?
Hey, t’aimes pas parler ?
Boooorrrrrriiiiiiiiiiiiiiiiinnngggggggg
Salope, de toute façon t’es trop grosse ! Suce ma grosse queue ! »
Équivoque non ? Malheureusement, ces micro-agressions sont totalement ignorées par la société, car toutes ou presque relèvent d’échanges privés. La faute à une pensée patriarcale encore très ancrée, parfois même inconsciemment, et qui pousse à la culpabilisation des utilisatrices.
« Parce qu’une femme célibataire et en recherche dans notre société, elle est encore considérée comme étant fautive ou méprisable, enfin de moindre valeur », explique merveilleusement bien Judith Duportail toujours à Marie-Claire.
En bref, L’amour sous algorithme est un documentaire à voir d’urgence pour comprendre les dessous de vos matchs et de vos (futurs) dates. À vous ensuite d’en tirer vos propres enseignements. Parce qu’il n’y a pas de mal à se servir de ces applications, quel que soit notre genre, mais qu’il est important de le faire en pleine conscience afin de prendre le recul nécessaire et ne pas en sortir plus blessé.e qu’on ne l’est à l’origine.
L’amour sous algorithme est disponible gratuitement en replay sur France.tv, jusqu’au 21 mars 2022.