L’industrie du cinéma a-t-elle une dent contre les séniors ?

Alors que les séniors sont les plus friands de 7e art, ils s’érigent rarement en visage « vedette » des films à l’affiche. Et lorsqu’ils font une apparition sur les écrans, ils restent confinés dans des rôles stéréotypés. Ils sont rangés derrière des pelotes de laine ou des mots croisés, comme si leur vie s’était figée passé le cap des 60 ans. Les séniors animent l’intrigue par leur maladresse, leurs oublis ou leur humeur grincheuse. Ils alimentent le décor, mais n’ont jamais les pleines lumières. Le cinéma, lui-même, préfère falsifier rides et cheveux blancs sur des jeunes plutôt que de solliciter des séniors pur jus. Malgré des créations contemporaines à moitié élogieuses telles qu’Indiana Jones 5, nos aînés semblent condamnés aux archives et aux publicités sur l’incontinence. Mais pourquoi le cinéma détourne-t-il si souvent ses caméras des séniors ? 

Au cinéma, des séniors sous-représentés ou caricaturaux

À la télévision, pendant la page de pub, les séniors vantent les mérites des protections anti-fuites, des baumes pour dérouiller les articulations ou des monte-escaliers supersoniques. Un portrait assez réducteur qui s’étire jusque dans les salles obscures. Au cinéma, les séniors sont soit enfermés dans l’étoffe des grands-parents « gaga », soit ils s’érigent en vieillard aigri, dépassé par les technologies. Ou alors ils ont la mémoire qui flanche et sont des « boulets » pour leur famille. À cette vision engourdie s’ajoute un problème majeur d’incarnation.

Dans de nombreux films, les séniors sont « construits » de toute pièce avec des artifices et du maquillage. Lunette sur le bout du nez, rides apparentes, cannes… tout est soigneusement arrangé pour donner l’illusion d’une personne vieillissante, qui ne l’est pas vraiment. Le cinéma fait l’apologie de la jeunesse éternelle et creuse un peu plus le fossé des générations. C’est ce que démontre une étude réalisée à l’université de Caroline du Sud. Sur les 4300 personnages issus des 100 plus grands succès du box-office américain en 2016, seuls 11 % avaient plus de 60 ans. Plus décourageant encore, parmi ces films événements, 6 hissaient des séniors en protagoniste central.

Armé d’un script âgiste, le cinéma perpétue également des clichés humiliants sur les séniors. Présentés en « reliques » de la société, ils sont dépeints avec beaucoup de médiocrité. La dualité « homme sénile » et « femme fragile » est d’ailleurs récurrente sous les projecteurs. Libido en berne, santé décadente, apparence défraîchie… sur les 57 films présentant des personnages principaux ou secondaires âgés, 44 % comportaient des références âgistes.

Les séniors, plus dépeints en méchants qu’en héros

Au cinéma, les séniors sont également diabolisés sous le costume des « vilains ». Dans les films, 60,8 % d’entre eux sèment la terreur sur le monde tandis que l’autre ridicule moitié s’attèle à répandre le bien de manière héroïque. Dans les Disney, les séniors sont loin de se la couler douce derrière un déambulateur ou une grille de Sudoku. Ils se dévoilent en suppléants du mal, en figures impitoyables. Ce sont des allégories de la mort.

Cruella, « physiquement » âgée, tente de tuer des chiots pour s’en faire des manteaux tandis que la marâtre dans « Cendrillon » retient la fille à la pantoufle de verre dans des conditions inhumaines. Dans « Le Roi Lion », Scar s’oppose à son neveu Simba pour obtenir les pleins pouvoirs sur le règne animal, comme si l’ancienneté faisait toujours foi. Au cœur des Disney, les séniors sont loin d’évoquer la voix de la sagesse. Au contraire, ils semblent se venger de cette jeunesse égarée avec des méthodes monstrueuses.

En prenant le parti d’associer les séniors à des « marginaux » aux comportements immodérés, Disney cultive une vision rétrograde des personnes âgées. Ce choix de scénario n’est d’ailleurs pas anodin. Il fait directement écho à la peur quasi phobique de la vieillesse et du temps qui passe. En apposant le visage des séniors sur des êtres malfaisants, Disney induit que la vieillesse est la pire des horreurs.

Une industrie âgiste qui aborde la vieillesse comme un fardeau

Selon les codes du cinéma, les acteur.ice.s ont aussi une date de péremption qui se lit sur le physique. Dans une industrie qui laboure la Jouvence à chaque coin de films, les femmes sont d’ailleurs obsolètes plus précocement que leurs homologues. Les faits sont avérés et révoltants. En 2012, l’actrice Olivia Wilde a été vulgairement jetée du casting pour tenir le rôle de l’épouse de DiCaprio dans le « Le loup de Wall Street ». Du haut de ses 28 ans, elle était déjà étiquetée « trop vieille ».

Même son de cloche avec le nouveau « Top Gun Maverick ». Tom Cruise a été « recyclé » sans problème, mais pas sa partenaire Kelly McGillis, aux 65 printemps. L’actrice avait évoqué dans une interview : « Je suis vieille, je suis grosse, j’ai l’air de mon âge. Et cela n’est pas bien vu dans le monde du cinéma ». Elle a donc été remplacée par Jennifer Connelly, âgée de 52 ans. Le film d’action lui-même montre un Tom Cruise fringant et casse-cou qui tente de fuir la réalité de l’âge. Il n’a pas une articulation qui coince, même lorsqu’il fait les cascades les plus périlleuses.

Cet âgisme criant dévoile en filigrane d’autres invocations sexistes qui placent la femme « jeune » en trophée et la femme « vieillissante » en brave mère de famille. Lorsque ces mesdames passent la barre de la cinquantaine, elles semblent être « hors d’usage » ou inexploitables à l’écran. La preuve, cette tranche d’âge ne concerne que 9 % des rôles dans les films français. Le cinéma est dans le déni. Il gomme les séniors du paysage pour se conformer à un idéal de vitalité.

Un test pour un cinéma plus clément avec les séniors ?

Même si l’industrie du cinéma a longtemps classé les séniors en espèces en voie d’extinction, aujourd’hui elle tente de prendre le chemin inverse. En 2021, dans une ère refaçonnée par MeToo, Frances McDormans, 64 ans, s’est vue attribuer un Oscar pour son rôle puissant dans « Nomadland ». La même année Salma Hayek et Rachel Weisz, toutes deux âgées de plus de 50 ans, étaient portées en héroïnes badass. Des avancées encourageantes, mais encore insuffisantes.

Pour savoir si un film se moque des séniors ou au contraire les esquissent avec justesse, l’association AAFA-Tunnel de la comédienne de 50 ans a imaginé une sorte de décodeur inclusif. Ce test est sur le même modèle que le test Bechdel, voué à pointer le sexisme dans le 7e art. Il a été conçu spécialement pour le Festival de Cannes 2023. Il évalue la représentation des femmes de plus de 50 ans dans les films à travers une série de critères. Comme son statut social ou ses interventions. Un outil louable qui a pourtant succombé à son caractère éphémère.

Malgré quelques efforts naissants, le cinéma ne semble pas encore prêt à entamer l’âge de paix avec les séniors. Pourtant, nos aînés sont des figures enrichissantes qui peuvent transmettre de vraies leçons de vie sur les écrans.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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