Pour lancer la 45e édition du Festival international du film d’animation, un diamant audiovisuel s’est glissé sur grand écran, déversant des vagues de frissons. Ce rendez-vous annuel qui se tient à Annecy donne un coup de projecteur sur des œuvres singulières ornées de dessins aériens. En tête d’affiche, une héroïne solaire au regard timide écrase ses homologues de fiction.
Cette jeune femme mystérieuse se prénomme Kumiko. Contrairement aux autres personnages, elle est clouée à un fauteuil roulant. Paraplégique de naissance, elle déploie les ailes du courage pour préserver son moral du naufrage. Figure centrale du film « Josée, le tigre et les poissons », elle remet ainsi les pendules de la diversité à l’heure. Une création haute en couleur qui illustre avec onirisme les déboires et les évasions imaginaires de cette sirène terrestre.
Handicap et 7e art, un duo qui se fait rare
Au XIXe siècle, les particularités physiques et le handicap étaient relégués au rang de curiosité. Les caméras étaient braquées sur ces différences, telles des armes déshumanisantes. Considérés comme des bêtes de foire ou des animaux de cirque, ces êtres de l’ombre étaient domptés à la baguette. Sous des projecteurs aveuglants, des bruts enragés usaient également de méthodes de traitement barbares. En témoigne l’incontournable film « Elephant Man ». Cet homme au faciès difforme, transformé en attraction populaire, affolait les habitant·e·s. Une retranscription crue qui matérialise une hostilité ahurissante.
Ces histoires inaudibles tant elles ruissellent d’intolérance sont restées enfermées dans le grimoire du passé. Désormais, les films se positionnent sur le redoutable échiquier de l’inclusivité. « Intouchable » retrace par exemple une amitié atypique entre un tétraplégique aigri et un auxiliaire de vie original. « La Famille Bélier » met l’accent sur une famille malentendante fantasque. « Mention Particulière » valorise le parcours d’une femme trisomique débordante d’optimisme.
Mais malgré ces efforts, le handicap reste implanté dans les bas-fonds des brouillons. En 2019, seul 0,7 % des personnes vues à l’écran étaient concernées par le handicap (source : Conseil Supérieur de l’Audiovisuel). Dans les dessins animés, le constat est sans appel. Hormis la jeune cousine de Heidi, aucune autre référence ne fait écho à cette minorité invisible. Depuis le 16 juin, un film d’animation intitulé « Josée, le tigre et les poissons » répand un parfum de renouveau.
« Josée, le tigre et les poissons », une bouteille à la mer
Avec son scénario poétique, ses métaphores discrètes et ses personnages vifs d’esprit, il redore le blason du handicap. Une découverte portée en avant-première sur les toiles blanches du Festival d’Annecy. Les critiques tirent un trait en demi-teinte. Certaines dépeignent une œuvre incomplète émaillée de passages lents. D’autres soulignent le propos puissant et la plume délicate du réalisateur Kotaro Tamura. Malgré quelques longueurs, « Josée, le tigre et les poissons » a sculpté un havre de tolérance au milieu des bâtisses audiovisuelles de l’ignorance.
Kumiko, héroïne, prisonnière de son handicap
Kumiko, reine du film, a toujours vécu avec son supporter à quatre roues. Depuis sa venue au monde, elle n’a jamais posé un pied sur terre. La partie inférieure de son corps est paralysée, ses jambes sont alors plongées dans un sommeil éternel. Elle vit aux côtés de sa grand-mère dévouée et stricte, en marge de la société. Assistée quotidiennement, la jeune femme de 24 ans est privée d’indépendance. La maison de son aïeul s’apparente alors à une muraille protectrice. Il lui est formellement défendu de côtoyer le monde extérieur, d’avoir un travail ou de surfer sur internet.
Kumiko est enfermée dans cette prison dorée et doit faire appel à son imaginaire pour s’évader. Elle se pare de livres volumineux, de stylos biseautés, de feuilles blanches et le bouton « déconnexion » s’enclenche. En un claquement de pages, elle s’offre un voyage instantané dans les abysses de l’océan. Elle transperce les teintes azur aux côtés de poissons néon et de créatures imposantes.
Une rencontre qui déclenche une pluie de bonheur
Comme les artistes affranchi·e·s, Kumiko porte un nom de scène peu commun pour une femme. Elle se fait appeler Josée. Un clin d’œil à l’héroïne qui trône dans les recueils de l’écrivaine française Françoise Sagan. D’où le titre « Josée, le tigre et les poissons ». Cet énoncé un brin énigmatique prend tout son sens au fil de l’histoire. L’eau, élément naturel fascinant, est au centre de l’intrigue.
La routine assommante de Kumiko prend une tournure ébouriffante lorsque Tsunéo débarque dans sa vie. L’homme brun étudie la biologie marine et rêve d’une odyssée au cœur de ce monde aquatique en ébullition. Véritable ange gardien, il remue ciel et terre pour concrétiser les souhaits de Kumiko. Mais telle une porte blindée, la jeune introvertie semble totalement fermée à ces décisions spontanées.
Une morale optimiste qui résonne au-delà de la fiction
En apparence timide, elle cache en réalité une personnalité dominatrice. Au départ, Tsunéo joue les larbins, puis il devient une béquille nécessaire pour escalader la pente du progrès. Ici, le handicap a une double signification. Au-delà de la frustration physique, il symbolise aussi la peur d’avancer. « Josée, le tigre et les poissons » est une fable de la Fontaine des temps modernes. Ce conte en 2D, à la frontière du réel et du mystique, nous délivre une leçon de vie édifiante.
Kumiko alias Josée représente la stabilité tandis que Tsunéo incarne la témérité. Ainsi, ils unissent leur trait de caractère contrasté et bâtissent une complémentarité indestructible. Main dans la main, ils se jettent dans le grand bain. Malgré les remous, ils gardent le cap et voguent vers des jours glorieux.
« Josée, le tigre et les poissons », diffusé en salle depuis le 16 juin 2021, vaut le détour. La séance s’annonce riche en enseignements ! Rendez-vous sur notre forum pour en parler.