Malgré les soulèvements et les victimes élevées en martyre, le racisme continue de souiller les relations humaines. Ce terme, véhicule d’indifférence et d’animosité, a été retourné dans tous les sens aux creux d’ouvrages salutaires. Qu’il s’agisse de livres fictifs, d’essais nerveux ou d’échanges épistolaires, de nombreuses oeuvres littéraires se sont attelées à faire tomber le masque du racisme. Des récits absorbants et révélateurs qui tendent la plume comme un relai de mémoire. Voici 7 livres incontournables à parcourir pour s’éveiller au respect mutuel.
1 – La prochaine fois, le feu – de James Baldwin
Ce livre, érigé en best-seller dès sa parution en 1963 dresse un portrait frontal et éclairé sur la place des Noirs dans les États-Unis des sixties. Il révèle avec un réalisme assourdissant la difficile acceptation des droits civiques sur cette terre enlisée dans un racisme aigu. James Baldwin, écrivain militant, qui a lui-même grandi au plus fort de la Ségrégation, montre la vraie face de cette Amérique rigide avec une plume aux airs de poudre à canon.
Au gré de son ouvrage, découpé en deux lettres, il dégage une analyse à double voie : personnelle et politique. Bien loin de l’essai soporifique et insaisissable, « La prochaine fois, le feu » renferme une éloquence presque romanesque. Ce livre, rédigé à l’occasion du centenaire de la proclamation de l’émancipation, est un témoignage d’alerte sur les revers d’un racisme métastatique.
Au-delà de sa tonalité parfois menaçante, ce livre appelle à surpasser la haine et le désir de vengeance. Au lieu de raffermir l’hostilité dans les deux camps, James Baldwin invite à prendre le parti du « vivre ensemble ».
2 – My life matters – Jay Coles
Ce roman gravite autour d’un fait divers tristement commun aux États-Unis. L’histoire s’ouvre sur le quotidien blafard de Marvin et Tyler, deux frères jumeaux de 17 ans. Depuis leur jeune âge, ils ont toujours baigné dans des ghettos alias le royaume des gangs. Les façades y sont éborgnées par des tirs et les coins de rue y transpirent de danger. C’est au cœur de ce décor dépravé que le drame se tiendra.
Lorsque Tyler se rend à une soirée organisée par un gang du quartier, Marvin le suit malgré lui pour veiller sur son double. Mais la fête tourne court. La police s’empare du lieu, armé d’une rage anti-noirs palpable et enchaîne les coups de feu. Entre les mouvements de foule et la fumée, Marvin finit par perdre son frère. Il revient chez sa mère la culpabilité à la gorge, en espérant le revoir dès le lendemain. Il n’en sera rien.
Après des jours de recherche acharnée, Marvin apprend finalement le pire : son frère a été abattu de sang-froid par un policier. Un récit âpre et poignant qui sonne comme un hommage universel à toutes les victimes de violence policière. Sous sa substance fictive, il incarne de nombreux faits réels. Ce livre dévoile avec franchise un racisme dévorant qui ronge même les soi-disantes « figures de l’ordre ».
3 – Une colère noire, lettre à mon fils – Ta-Nehisi Coates
Cet essai déguisé en correspondance entre l’auteur et son fils est une déclaration d’identité des Afro-Américains. Ce « livre phénomène » déchiffre avec une habileté rafraîchissante les rapports troublés entre les noirs et les blancs. Ta-Nehisi Coates, hissé en réincarnation « moderne » de James Baldwin, ne se restreint pas à une période précise. Il balaye des années de lutte pour la juste reconnaissance des Noirs en tant qu’humain.
Ce livre, écrit avec l’encre du cœur, conjugue confidences intimes et constats glaçants. L’auteur explore à pic des faits récents tels que la mort de Michael Brown, adolescent noir impunément abattu dans le Missouri. Pour donner plus de profondeur à cette missive déjà inflammable, il y dilue ses propres expériences.
De son enfance à Baltimore à son adolescence à l’université noire d’Howard en passant par l’histoire des États-Unis, l’auteur révèle un racisme en kaléidoscope, aux multiples réverbérations. Un livre de « proximité » qui perfore toutes les vérités de ce racisme infernal.
4 – Peau noire, masque blanc – Frantz Fanon
Ce livre, écrit en 1952 est une analyse psychologique à chair ouverte qui se donne l’objectif de comprendre l’Homme noir de l’intérieur. Malgré son ancienneté, il conserve toujours un écho actuel. Cet essai de « pensées » effeuille l’identité noire dans toute son immensité. Rédigé dans la continuité de la décolonisation, « Peau noire, masque blanc » lève le voile sur l’impact psychique de ces années de persécution.
Ce livre va au plus près de l’état d’esprit des communautés noires après des décennies d’aliénation et de liberté volée. Dans son ouvrage, à vocation presque thérapeutique, Frantz Fanon donne des pistes de lecture pour se reconquérir et ainsi surpasser le complexe d’infériorité. Un livre intelligent et sensible qui sert de loupe grossissante à ces maux « invisibles » légués par le racisme.
5 – Beloved – Toni Morrison
Avec son style littéraire enragé et franc, qui lui a d’ailleurs valu le prix Pulitzer de 1988, Toni Morrison déploie une intrigue aux multiples nuances. « Beloved » suit les pas de Sethe, une esclave échappée qui tente de réapprivoiser sa liberté après une longue période d’enfer. L’histoire s’esquisse dans les États-Unis de 1870, entre les murs de demeures dépouillées. À cette époque, le pays garde encore à vif les stigmates de l’esclavage, fraîchement aboli. Sethe, elle, reprend sa vie à zéro dans une maison de la « deuxième chance ».
Elle partage son quotidien avec ses enfants, quelque peu agités. Mais ce bonheur si fébrile n’est qu’un rideau social sous lequel se cachent des souvenirs crus. Dix-huit ans plus tôt, Sethe a égorgé son enfant pour lui épargner le destin fatal de l’asservissement. Depuis, l’âme de la petite fille semble habiter chaque millimètre carré de vie. Beloved, une inconnue sortie de nulle part, pourrait bien conjurer ce passé traumatique. Un livre autour du racisme enrobé d’un esprit solidaire et d’un amour maternel qui soulève quelques larmes.
6 – Kiffe ta race – Grace Ly et Rokhaya Diallo
Inspiré du podcast éponyme, le livre « Kiffe ta race« est à mi-chemin entre le guide de bonnes pratiques et le dictionnaire amélioré. Il arbore toutes les questions raciales sans tabou et sans détours. Des différentes formes de racisme aux outils pour les endiguer, ce livre est un parcours initiatique littéraire qui mène droit vers la tolérance.
Chaque page ouvre un peu plus les consciences. Un livre documenté à l’accent familier qui trace un bel itinéraire en direction de la justice sociale.
7 – Le premier qui pleure a perdu – Sherman Alexie
Ce livre aux consonances candides brosse une histoire en porcelaine, hautement délicate, sur l’acceptation de soi et l’amertume du racisme. Il enfile le costume de Arnold, plus communément appelé Junior, un jeune indien fruit du miracle. Issu du peuple amérindien Spokane, il naît dans la vétusté d’une Réserve, avec un lot de problèmes incalculables. Il possède 42 dents au lieu de 32, il est myope d’un œil, presbyte de l’autre, les parties de son corps sont disproportionnées et pour couronner le tout, il bégaye autant qu’il zozote.
Dès son tendre âge, il se heurte ainsi aux brimades de ses homologues et se pense condamné à ce rôle de souffre-douleur. Jusqu’au jour où il quitte sa terre natale, assez communautaire, pour se mêler aux autres cultures. Lorsqu’il rejoint Reardan, une école de renom surtout côtoyée par des Blancs, Junior se détache de ses origines et devient un produit dérivé de la Suprématie blanche.
Ce roman qui se superpose à la vie réelle de l’auteur donne une silhouette aux combats contre soi-même. Un livre gorgé d’humour et de réflexions qui raconte le déracinement forcé du racisme.
Même si aujourd’hui le mot « racisme » ressort en trombe sur les réseaux, il n’est pas rare qu’il se fasse déposséder de son sens. Ces livres le remettent à sa place à coup d’explications et de discours éloquents. Une lecture inestimable à l’heure où le racisme se fait plus rugissant. Pour rappel, 12 600 infractions à caractère raciste, xénophobe ou antireligieux ont été enregistrées par les services de police et de gendarmerie en 2022.