Vous vous souvenez de cette scène mythique dans « 7 ans de réflexion » où la robe de Marylin Monroe se soulève ? Eh bien, la manière dont sont filmées ses voluptueuses jambes a un nom : le « male gaze » ou le « regard de l’homme ». Ce terme utilisé en cinéma fonctionne aussi bien pour la publicité ou les médias. Il fait référence à la manière dont les femmes sont perçues et représentées dans l’audiovisuel. Zoom sur ce phénomène qui ne date pas d’hier.
Le « male gaze » et le fantasme féminin
Pendant longtemps, au cinéma notamment, la femme est représentée comme une mère au foyer soumise, mais dévouée. La vision de la « bonne épouse » s’est ensuite muée en personnage fantasmé et sexualisé. La femme est alors présentée aux yeux du public comme un objet de désir, malléable aux envies de l’homme. Grande, mince, mais avec un soupçon de formes, souvent blanche, qui a très peu de caractère et qui n’attend qu’une chose : être sauvée par un homme. Rien qu’avec cette description, une liste de films devrait se créer dans votre tête…
En effet, ce « male gaze » existe depuis bien longtemps. Il a été nommé pour la première fois en 1975 par Laura Mulvey pour la revue britannique « Screen ». Dans son essai intitulé « Visuel Pleasure and Narrative Cinema« , la militante féministe londonienne constate ainsi l’existence de cette pratique à travers des classiques hollywoodiens.
« Le voyeurisme, la place du personnage principal masculin dans la lutte pour être l’objet du regard et créer l’énergie de l’histoire… La femme comme spectacle… Tout y était, en quelque sorte », raconte-t-elle.
Comment reconnaître un film « male gaze » ?
Elle distingue trois types de regards : celui de la caméra sur les acteurs et actrices, celui des personnages entre eux et celui du public. À chaque fois, c’est la vision subjective de l’homme qui prévaut sur le point de vue féminin. On peut aussi s’inspirer du test de Bechdel pour analyser ce type de film. Il doit y avoir au moins deux personnages féminins qui portent un nom, qui ont au moins une discussion, et que celle-ci ne concerne pas un homme.
On reconnaît aussi les films « male gaze », car ils mettent en avant des personnages principaux masculins en action et à l’opposé des personnages féminins passifs, toujours cantonnés à de seconds rôles et à jouer les faire-valoir pour leurs partenaires. Par exemple, le rôle de Pamela Anderson dans « Alerte à Malibu » où les images sont mises au ralenti pour que le spectateur se concentre sur le mouvement de ses seins…
« Lorsque nous voyons un film, nous voilà pris au piège d’un dispositif qui vise presque uniquement à satisfaire les pulsions voyeuristes des hommes (hétérosexuels) », écrit Laura Mulvey.
La théorie de Laura Mulvey est donc d’autant plus d’actualité des années plus tard et fait l’objet des mêmes travers.
Pourquoi est-ce un problème ?
La cinéaste anglaise affirme que cette image du sexe féminin au cinéma ne fait qu’accroître les violences à l’encontre des femmes, car véhiculant l’image patriarcale du « sexe faible ». À la question du recul cinématographique et de la fameuse réponse « mais c’est qu’un film, c’est fait exprès« , pose la problématique de la récurrence.
Le « male gaze » n’est pas un cas isolé surtout quand on sait que 80 % des films français sortis en salles en France sur la période de 2011 à 2015 ont été réalisés par des hommes selon une étude du CNC. À force d’une sur médiatisation, les hommes, tout comme les femmes, peuvent penser qu’il est normal d’observer un corps de cette manière de façon consciente, voire pire, inconsciente. Et là, Houston on a un problème…
Le « female gaze » et le renouveau du cinéma au féminin
Heureusement, de nombreuses réalisatrices, mais aussi réalisateurs, se mettent de plus en plus à choisir un « regard féminin » ou un « female gaze ». Cette fois-ci les personnages féminins ne sont alors plus considérés comme des objets à regarder, mais des protagonistes à part entière. On rentre dans l’intimité du personnage, on en apprend plus sur ses failles, ses rêves, et l’on finit par ressentir de l’empathie pour elle. Elle s’exprime librement et agit sans pour autant piétiner le rôle masculin. Les personnages genrés évoluent ainsi côte à côte.
Le « female gaze » implique que l’on raconte les histoires de personnages féminins qui peuvent résonner chez les spectatrices. Mais aussi délivrer leur expérience en profondeur et non plus en surface. Il n’est pas question de bannir désir et fantasme, mais bien de montrer qu’ils peuvent être présents sans objectivation. Montrer le corps féminin, la sexualité féminine à travers les yeux d’une femme.
Des exemples de « female gaze » à l’écran
On peut notamment voir cela dans les séries qui laissent exprimer de nouveaux points de vue comme « The Handmaid’s Tale ». Dans la première scène, on assiste au viol de la servante stoïque et résignée, les yeux grands ouverts. Le.la spectateur.trice est choqué.e devant cette scène intenable, car c’est le point de vue de la victime qui est pris. Et le but est justement de transmettre le plus justement possible une émotion. Rien de romantique, minimisé ou adouci, mais la vérité brute.
Dans la même veine, certains films ont aussi un regard sincère sur les femmes. On retrouve notamment les longs-métrages d’Amy Shumer, de Tina Fey, d’Amy Poehler, de Céline Sciamma, de Chloé Zhao… Mais aussi de réalisateurs comme Jason Moore et son film « Pitch Perfect ». Le film dépeint l’évolution de Becca, une musicienne qui cherche sa voix. Elle gravite aussi autour d’autres personnages féminins, toutes très différentes.
Pour aller plus loin, n’hésitez d’ailleurs pas à jeter un coup d’oeil au livre « Sous nos yeux, petit manifeste pour une révolution du regard » par Iris Brey et Mirion Malle.
Le « female gaze » s’inscrit donc comme un outil utile dans la lutte pour l’égalité des genres et l’émancipation des femmes dans toutes les formes d’arts. Car le « male gaze » ne se retrouve pas seulement à l’écran. Mais aussi dans nos manuels d’Histoire où le point de vue masculin l’emporte souvent. L’idée est donc de prôner différents points de vue, devant être représentés de manière équitable. Tout cela pour correspondre à l’ensemble des regards présents dans notre société.