En 2017, l’affaire Weinstein retentissait au-delà des frontières sous le hashtag libérateur #MeToo. Sur la toile, des femmes souillées par des agressions abjectes continuent de se livrer à coeur ouvert, laissant entrevoir des cicatrices invisibles longtemps sous-estimées. Et ces confidences fracassantes font aussi grand bruit dans les rayons des librairies.
Des autobiographies aux romans épistolaires nouvelle génération… les ouvrages font couler l’encre d’une vérité amère. Des mises à nu parfois rudes, abordés avec une hargne majuscule. Ces lectures qui touchent à l’intime sont capitales. Place à la sélection.
1 – Cher connard, Virginie Despentes
Incisive, mordante et vivement engagée, la plume affûtée de Virginie Despentes a encore frappé. Avec son nouveau titre, très évocateur « Cher connard », cette acharnée des mots taille le portrait d’un #MeToo généralisé et brillamment défendu au gré de la toile. Avec une écriture naturellement drôle et expressive, Virginie Despentes raconte l’histoire de deux stars en perte de vitesse.
Lui, Oscar Jayack, a vu son succès d’écrivain s’effondrer sous le poids d’accusations retentissantes. Il aurait harcelé sexuellement son ancienne attachée presse des années en arrière. Ce passé sombre résonne bien plus fort avec des confidences 2.0 larguées comme des bombes par la victime. Elle, Rebecca Latté, est une actrice cinquantenaire balayée de l’écran à cause de son âge. Leurs chemins se croisent par lettres interposées à la suite d’un message haineux laissé par Oscar sur le physique de Rebecca. Cette interpellation disgracieuse marque le début d’une longue traînée de mails éclairants et mélancoliques.
L’échange entre ces deux êtres liés par les déboires de la drogue mais aussi par le côté frivole des années 68, analyse à vif cette nouvelle société qui se dessine. Cette génération, perdue sous la masse libératrice des réseaux, entame une réflexion nécessaire autour du mouvement #MeToo. Un récit ludique, sincère et poignant qui ne tombe pourtant pas dans la gravité.
2 – Femmes en colère, Mathieu Menegaux
L’intrigue nous plonge dans le climat pesant et intimiste des chambres de délibération, plus précisément à la Cour d’Assises de Rennes. Dans ce huis clos, Mathilde Collignon, mère de famille et gynécologue de profession, est dans le viseur des juges. Son chef d’accusation ? Avoir fait justice elle-même, au détriment de sa carrière et de son confort de vie. La jeune femme se serait rudement vengée de deux hommes ayant abusé d’elle dans des circonstances floues. En plus d’affronter ses bourreaux, injustement transformés en victimes, elle doit composer avec la folie médiatique et le déferlement de souvenirs atroces qui se rallument dans sa mémoire.
Ce roman dépeint une face inédite du mouvement #MeToo. En immersion dans les coulisses de la « loi », nous sommes face aux émotions spontanées de Mathilde, qui subit une double peine. En attendant le verdict, elle se confie sur ce qui l’a conduit vers cet acte irrémédiable. Justice trop laxiste, peines ridiculement petites, procédures interminables… cet ouvrage post #MeToo plante le crayon dans une plaie encore bien ouverte aujourd’hui.
3 – Chavirer, Lola Lafon
Ce titre symbolique en dit long sur la portée de ce roman, qui aborde à la troisième personne le parcours houleux et tortueux de Cléo. En 1984, cette jeune femme issue d’un milieu modeste se laisse hameçonner par une curieuse Fondation. Une bourse miracle s’ouvre à elle, sur un plateau d’argent. Pour cette férue de modern jazz, cette offre alléchante s’affiche comme une issue au milieu d’une grande pénombre. Guidée par ce rêve d’une vie meilleure, Cléo met en réalité le pied dans un guet-apens bien pensé. Victime d’un cercle de prédateurs rodés en matière de discrétion, elle tombe dans un piège sexuel lucratif. Et elle se retrouve dans un engrenage indéfectible.
Ce roman #MeToo ne se contente pas de dépeindre la descente aux enfers d’une protagoniste naïvement maintenue par les espoirs. Il suit la victime sur le long terme, de ses 13 ans à ses 48 ans. Il illustre avec puissance la férocité des actes passés et ses répercussions inaudibles sur le quotidien. Devenue danseuse sur les plateaux lumineux de Drucker, elle rayonne en public mais sombre en coulisse. L’ouvrage alterne entre présent et passé, confondant les époques, comme un écho à ces bouts de vie agités.
4 – #MeToo, l’enquête qui a tout déclenché, Jodi Kantor et Megan Twohey
Ce livre est l’aboutissement d’un travail journalistique hors-normes. Plus encore, ce chef d’œuvre informatif a activement participé à la libération de la parole. Lorsque l’affaire Weinstein explose au grand jour le 5 octobre 2017, la vague #MeToo déferle, permettant ainsi aux femmes de sortir d’un silence pesant. Les deux investigatrices à l’origine de cet ouvrage révélateur, ont récolté de multiples témoignages, souvent dans le plus grand des secrets. Des actrices et anciennes employées de Weinstein y dévoilent un univers monstrueux. Au gré des pages, les découvertes sont saisissantes.
Les sources défilent sous nos yeux attentifs, sans jamais perdre le fil de l’objectivité. Chaque récit sonne comme un violent coup de poing dans la face du patriarcat. Grâce à leur sens de l’observation avisé, les auteures suggèrent une analyse mesurée et on ne peut plus fidèle à la réalité. Un recueil à dévorer pour mieux comprendre l’envers de #MeToo.
5 – Zone grise, Loulou Robert
C’est une écriture qui sort des tripes, singulière, spontanée et éprise d’une rage naturelle. Cette histoire, c’est celle de l’autrice elle-même. Un roman autobiographique cathartique qui montre avec ardeur le ressenti intérieur d’une victime, brisée par un prédateur. Loulou est à peine majeur lorsqu’elle tombe entre les griffes de « D », un photographe de mode. Le jour où tout bascule arrive. Intérieurement elle bouillonne de dégoût et de fureur mais sous la violence de cette agression, sa bouche reste scellée. Alors qu’elle exerce dans le milieu très sélectif et impitoyable du mannequinat, Loulou minimise les faits, se sentant coupable de ne pas avoir dit « non ».
Cette réalité refoulée car trop indigeste, remonte comme des flashbacks percutants. Avec un courage admirable, elle tente d’éclaircir cette fameuse zone grise. Ce récit #MeToo nous semble presque familier. Pour cause, Loulou nous fait entrer dans un espace qui lui est réservé, par nécessité. L’écriture est une arme infaillible pour aligner cette douleur, longuement enfouie. Ce livre est un upercute, il nous touche droit dans le cœur.
6 – Soir de fête, Mathieu Deslandes
L’Affaire Weinstein a permis de lever le voile sur des secrets de famille gardés bien au chaud. Ce fut le cas pour Mathieu Deslandes. Peu après la pluie de confidences derrière #MeToo, il apprend une nouvelle assourdissante : son grand-père était né d’un viol. Une fois la glace brisée, il démêle les souvenirs d’antan et s’élance à corps perdu dans une enquête personnelle survoltée. Dans son roman, il fait un bond 100 ans en arrière, au cœur du village de la Beauce, là où les vraies histoires sont restées bloquées.
Un soir de bal, en août 1922, les locaux se retrouvent autour de la piste pour se déhancher. Mais le tragique emboîte rapidement le pas à ces images heureuses. Des hommes alcoolisés embarquent les filles dans des rues somnolentes. Non consentantes, elles subissent, dans la pénombre la plus totale. Et cette agression restera longtemps piégée entre les murs de ce village.
Ce roman, rythmé par des archives et des témoignages enfouis, s’articule à la manière d’un documentaire. Il soulève l’importance du consentement et de son évolution en un siècle. Cette autopsie de la culture du viol délivre de nombreux enseignements, à garder précieusement sous le coude.
#MeToo, un mouvement qui a encore du chemin à faire
Si en France, le mouvement #MeToo a réussi à se faire entendre, ce n’est pas le cas dans tous les pays. Les régimes conservateurs à l’image de la Chine semblent encore dénigrer ce fléau dévastateur. Zhou Xiaoxuan, aussi appelée Xianzi, a récemment perdu son procès contre un présentateur star de la télévision chinoise qu’elle accuse d’agression sexuelle. Un triste sort pour la jeune femme qui rappelle à quel point l’autorité masculine est néfaste pour le progrès.
Rappelons que dans le monde, 1 femme sur 3 a été violée, battue, forcée à l’acte sexuel ou abusée au moins une fois dans sa vie selon l’UNIFEM.