Le portrait-fiction « Blonde » qui pointe le projecteur sur la pin-up iconique Marilyn Monroe ne cesse d’agiter les polémiques depuis sa sortie sur Netflix le 28 septembre dernier. Le film étale sur trois heures, la vie tempétueuse de ce « sex symbole » aux cheveux d’or. Ce chef-d’œuvre reçu à la Mostra de Venise cumule les scènes chocs.
Avortements forcés, hypersexualisation, abus sexuels, domination masculine… la star d’Hollywood, connue pour ses rôles sulfureux, est réduite à une simple victime éplorée, dépendante au male gaze. Le long-métrage, romancé à l’extrême, joue la carte du sensationnel. Et ce parti-pris cristallise un peu plus l’image de la femme « objet ».
Un biopic noir qui abuse du mythe « Marilyn » ?
Applaudi pendant quatorze minutes à la Mostra de Venise, le film « Blonde », adapté du roman de Joyce Carol Oates, se hisse désormais au milieu de « La Ligne Verte » et « The Gray Man ». Cette réadaptation dominée par le tragique caracole même dans le top 10 de Netflix.
Pourtant, du tournage à sa sortie, le faux biopic réalisé par Andrew Dominik s’est attiré les foudres de l’opinion publique. Certes, une poignée de cinéphiles aguerri.e.s perçoivent en ce film un pur miracle artistique. Le magazine Vogue le dépeint même comme « le film de l’année ». Mais cette vision flatteuse ne fait pas l’unanimité.
Il suffit d’ausculter le hashtag #Blonde sur Twitter pour prendre conscience d’une fureur générale. « Honte », « une des pires représentations de Marilyn », « ramassis grotesque de bêtises »… les internautes mécontent.e.s fustigent surtout une mise en scène misogyne, idéalisant des actes odieux tels que le viol.
Fascination pour le viol, images pro-life et abêtissement de la figure de Marilyn Monroe, #Blonde sur Netflix est un enfer interminable durant lequel les gribouillages visuels de Andrew Dominik et une Ana de Armas convaincante ne suffisent pas à masquer la vacuité de l’ensemble. pic.twitter.com/ZZXhc4RYqy
— Mime van Osen (@MimeOsen) September 28, 2022
Dans « Blonde », le réalisateur fait renaître la légende des années 50 avec le filtre du « hors-normes ». On y découvre le destin brisé de Norma Jean alias Marilyn Monroe, ici portée par la talentueuse Ana de Armas. Loin de faire totalement corps avec la réalité, cette création tente une approche très osée, voire indécente.
Des scènes intimes problématiques
Toute l’énergie du film se concentre sur des épisodes sombres, volontairement amplifiés par des digressions purement fictives. Marilyn devient alors une sorte de « chose » fébrile, tombée entre les griffes d’un patriarcat rugissant. Dans « Blonde », celle que les hommes surnomment la « Sainte Nitouche » se cantonne à une image fantasmée de « nunuche » qui use et abuse du mot « daddy ».
Violentée, abusée, psychologiquement malmenée… le réalisateur fait un focus inhabituel, presque mystique sur les traumas de Marilyn. Une vision abrupte qui présente l’actrice de « Les Hommes préfèrent les blondes » sous un angle bien éloigné des paillettes.
Des scènes explicites d’ordre intime inondent aussi ce mélodrame surclassé, donnant une lecture encore plus gênante. Marilyn y apparaît tel un morceau de viande que des mâles Alpha se partagent dans une indifférence déconcertante. Cette incarnation radicale de la douleur féminine, à la fois réductrice et hypnotique, a déchaîné les critiques. La mannequin Emily Ratajkowski déclarait ainsi sur TikTok : « il s’agit encore d’un autre film fétichisant la douleur des femmes, même dans la mort ».
« Blonde » : dans le viseur du planning familial américain
En passant le cap des une heure de visionnage, les spectateur.ice.s ont vu défiler d’autres tableaux d’une violence inouïe, portés cette fois sur l’avortement. Durant sa courte existence, la vraie Marilyn aurait fait au moins deux fausses couches. En revanche, aucune source officielle n’a confirmé le sujet de l’avortement.
Là encore, « Blonde » arrange l’histoire à la sauce théâtrale. Dans le film, une scène toujours conjuguée au « too-much » montre Marilyn Monroe en pleine folie dépressive. Enceinte à ce moment précis, son fœtus se met à lui parler « Tu ne vas pas me blesser cette fois-ci, si ? ». Une réplique qui rappelle un avortement précédent, d’ailleurs forcé.
Le film, accusé de faire une propagande anti-avortement
Ce passage saugrenu et insensé, mais incontestablement fataliste n’a pas été au goût de Planned Parenthood, le planning familial américain. D’après l’organisme, cette scène au summum de la provocation contient un message pro-life indéniable. Selon l’organisme, cette allégorie de l’avortement, maladroite au possible, est d’autant plus problématique puisqu’elle survient en pleine répression de l’IVG aux États-Unis.
« Les fausses images ne servent qu’à renforcer la désinformation et à perpétuer la stigmatisation autour des soins de santé sexuelle et reproductive », s’alarmait Caren Spruch la responsable du planning familial américain dans les colonnes du Hollywood Reporter
Dans « Blonde », Marilyn est déchirée entre cette soif de gloire et ce désir de devenir mère. Elle subit alors deux avortements illégaux, dans des conditions relativement déplorables. Malgré cette grogne qui ne cesse d’enfler, le réalisateur se défend.
« Les gens sont évidemment préoccupés par les pertes de libertés. Mais tout le monde s’en serait foutu si j’avais fait le film en 2008, et probablement personne ne s’en souciera dans quatre ans. Et le film n’aura pas changé. C’est juste dans l’air du temps », expliquait-il au média The Wrap
Les réussites de Marilyn Monroe passées sous silence
Autre pièce manquante à « Blonde », peu relevée par les opposant.e.s du film : les exploits de Marilyn Monroe. Seuls ses déboires sexuels et professionnels transpirent derrière la caméra. Le long-métrage éclipse un pan important de son triomphe, au profit du « 100 % obscur ». Potiche en robe moulante, séductrice innocente, femme plurielle écorchée par l’enfance… « Blonde » porte son dévolu sur les failles profondes de Marilyn, sans faire de détour vers ses atouts.
Pourtant, au-delà de sa réputation de « bombe sexuelle », Marilyn a récolté une flopée de titres honorifiques au plus haut de son ascension. Récompensée d’un Golden Globe, mais aussi business-woman dans l’âme, elle est l’une des premières femmes à fonder sa propre maison de production dans les années 50.
Également investie dans la lutte pour les droits civiques, elle invite la chanteuse de Jazz Ella Fitzgerald au Mocambo, lieu UP de Los Angeles, alors hostile aux personnalités de couleurs.
« Blonde » fait parler de lui et remet la question du male gaze sur la table. Pendant toute sa carrière, Marilyn Monroe a subi ce regard masculin, souvent pervers. Une fois de plus mis dans les mains d’un homme, ce biopic fantasmagorique tire encore un portrait très sexy de cette pin-up aux névroses cachées. En France, moins de 15 % des fictions sont réalisées par des femmes.