Il y a encore quelques années, l’intelligence artificielle (IA) n’avait sa place que dans les scénarios de science-fiction. Mais aujourd’hui, elle gagne de plus en plus de domaines artistiques, dont le 7e art. Elle recrache des histoires sur-mesure, génère des images plus que réalistes et articule des intrigues qui ont de quoi berner le grand public. Les films réalisés entièrement par l’IA n’en sont encore qu’à leur balbutiement, mais ils font déjà frémir Hollywood. Dans un futur proche, ils pourraient peut-être même empocher des prix. Alors Quentin Tarantino et Steven Spielberg ont-ils du souci à se faire ?
Les films réalisés par l’IA, encore rares sur les écrans
L’intelligence artificielle plane dangereusement sur le monde du cinéma. Ces outils, que beaucoup pensaient voir émerger dans 40 ou 50 ans, ne sont pas seulement voués à créer des CV ou des dissertations de toute pièce. Ils ont bien plus d’ambitions. Certes, la plupart du temps, l’IA est utilisée de façon « récréative » pour transformer du papier toilette en Pokémon ou donner à Emmanuel Macron l’allure d’un Simpson. Mais elle peut aussi remplacer toute une équipe de tournage et concocter des films de A à Z. Et ça, c’est un peu plus effrayant (ou réjouissant selon le point de vue).
Les films réalisés par l’IA se comptent presque sur les doigts de la main et n’en sont qu’à leur phase « expérimentale », mais ils suscitent déjà un mélange de fascination et d’inquiétude. S’ils n’ont pas encore investi les salles obscures, leur qualité n’est pas forcément toujours médiocre. L’an dernier, le court-métrage « /Imagine », issu d’une collaboration un peu spéciale entre l’IA et la cinéaste Anna Apter, avait ainsi raflé deux prix lors du Nikon film festival. Preuve qu’ils ont de l’avenir sur les toiles de projection même si tous ne se valent pas.
Coût moindre, possibilité de création illimitée, casting sans prise de tête, scénarios sur commande… Alors que les films classiques mobilisent souvent un budget à six chiffres et nécessitent des moyens humains hors normes, l’IA « s’auto-suffit ». Si les films réalisés entièrement par l’IA restent des œuvres de « niche », ils pourraient se démocratiser à vitesse éclair. Surtout avec l’émergence de nouveaux logiciels comme Sora, un outil imaginé par les créateurs de ChatGPT qui convertit des descriptions en images animées troublantes de réalisme ou WellSaid Labs qui se charge de la voix off. Certains studios en viennent même à se dédier totalement aux vidéos générées par l’IA à l’instar de Fictions.AI.
Quelques couacs dans les scénarios et des étrangetés visuelles
Les films réalisés par l’IA n’ont pas encore l’étoffe de chefs-d’œuvre cinématographiques, loin de là. Ils ne sont pas totalement au point et nul besoin d’être du métier pour le remarquer. En Inde, le long métrage « Maharaja in Denims » a été réalisé à 99 % avec de l’intelligence artificielle. C’est le premier du genre. Même s’il fait l’effet d’une bombe dans le cinéma, il n’a pas de quoi tourmenter un Martin Scorsese ou un David Fincher.
La bande-annonce, elle-même, laisse entrevoir d’innombrables failles et autres défauts de conception. Les personnages ont la bouche et les sourcils qui vrillent, leur peau semble plastifiée et leurs mouvements ne sont pas tout à fait limpides. Ils sont plus proches des avatars de jeux vidéo que des protagonistes de chair et d’os. Les plans sont très simplistes et les effets visuels font « cheap ». Le scénario, quant à lui, est assez « brouillon » et comprend pas mal d’incohérences. Rien de bien convaincant donc.
Les films réalisés par l’IA restent « à perfectionner ». Ils sont encore bancals malgré les progrès et la diversification des outils. Cependant, certains films de courte durée ont tout de même de la consistance. C’est le cas de « The Frost », qui, pendant douze minutes, soutient une ambiance moite et pesante. Ce court-métrage de science-fiction se trame au cœur de sommets enneigés, dans un blizzard qui fige le sang. Le décor donne l’illusion de vraies chaînes de montagnes. Le script, lui aussi, est bien construit, même s’il ne vole pas très haut et reste assez « lambda ». Au moins, il tient la route du début à la fin. Ce n’est donc pas un supplice de le regarder, au contraire, c’est une agréable surprise.
South Park, Indiana Jones… l’IA appelée en renfort dans les films
Les films réalisés par l’IA nécessitent toujours un œil humain en toile de fond. Ils ne sont pas le fruit des robots comme beaucoup l’imaginent. Cependant, dans la majorité des cas, l’intelligence artificielle n’intervient que partiellement, pour vieillir un acteur sans devoir sortir toute l’artillerie de make up, par exemple. Elle est rarement employée pour façonner un film de fond en comble. Elle arrive plus en « soutien », pour faciliter la tâche des producteur.ice.s ou affiner certains éléments d’un film.
D’ailleurs l’IA a été sollicitée dans des œuvres bien connues du grand public. Ainsi dans le cinquième opus de la saga « Indiana Jones », aucune maquilleuse n’a été réquisitionnée pour donner 50 ans de moins à Harrison Ford. Ce visage de jeunot est un coup de passe-passe de l’IA. Les algorithmes ont aussi aidé à construire des foules de synthèse dans « Le Seigneur des Anneaux ». Cependant, même si l’IA est parfois bienvenue dans les backstages d’un film, elle menace tout un secteur. Selon un rapport rédigé par CVL Economics, 204 000 métiers du cinéma pourraient subir les conséquences de cette montée en puissance de l’IA dans les trois prochaines années.
Les films réalisés par l’IA donnent des sueurs froides à Hollywood
Ce n’est pas pour rien si Hollywood était à l’arrêt de juillet à novembre 2023. Cette grève historique marquait l’entrée en guerre du 7e art contre l’intelligence artificielle, un ennemi invisible, mais féroce. Même si les films réalisés par l’IA n’en sont qu’à l’état d’ébauche et inspirent plus à la moquerie qu’à l’extase, ils mettent toute une industrie en péril.
D’ailleurs, plusieurs grands noms du cinéma ont partagé leur crainte quant à la propagation de ces nouvelles technologies. Parmi eux, James Cameron, à l’origine de « Titanic« , a avoué ne pas croire en ces « productions » du futur, pondus par des machines sans émotion.
« Je ne crois pas qu’un esprit désincarné qui régurgite ce que d’autres esprits incarnés ont dit – sur la vie qu’ils ont eue, sur l’amour, sur le mensonge, sur la peur, sur la mortalité – et qui rassemble tout cela dans une salade de mots pour ensuite le régurgiter. Je n’imagine pas que ce soit quelque chose qui puisse émouvoir le public », souligne James Cameron à la chaîne canadienne CTV News
Après de nombreux remous et plusieurs tournages reportés ou annulés, les grévistes avaient été entendus et « exaucés » avec, notamment, la mise en place de « garde-fous ». Désormais, les studios doivent demander le consentement des acteur.ice.s pour utiliser leur réplique numérique.
Les films réalisés par l’IA ne sont pas encore aux portes de nos cinémas ou des cérémonies prestigieuses, mais ils sont déjà redoutés. En plus d’inciter à la paresse intellectuelle, ils risquent de laisser de nombreuses chaises vides de l’autre côté des caméras. Ils pointent un pistolet à bout portant dans le cœur de tout un secteur. Mais d’ici à ce qu’ils arrivent à la cheville des films cultes comme « Citizen Kane » ou « Fight Club », nous ne serons peut-être plus là.