Pendant 30 ans, Dino Scala a violé une soixantaine de femmes sur les bords de la rivière de la Sambre sans jamais être inquiété. Jean-Xavier de Lestrade s’est attaqué à cette affaire laissée longtemps en suspens pour « rendre hommage aux victimes ». Plus de 3 millions de spectateur.rice.s étaient devant leur télé pour le final de la série « Sambre » le 27 novembre 2023. Par la suite, c’est un record de visionnage en replay sur france.tv avec 4 millions de clics. Une œuvre audiovisuelle inattendue de la part d’une production publique française qui laisse de côté le sensationnalisme. Voici donc 3 raisons de regarder en replay « Sambre », cette série glaçante sur les violences sexuelles.
La parole des victimes au centre du récit
Pour cette nouvelle création, Jean-Xavier de Lestrade s’est associé à Alice Géraud, autrice de « Sambre : Radioscopie d’un fait divers » (JC Lattès, 2023). Dans son livre-enquête, la journaliste s’attardait à récolter les témoignages des victimes pour faire la lumière sur les dysfonctionnements de la justice face aux cas de violences sexistes et sexuelles.
S’étalant, à coup d’ellipses, de 1988 à 2018, « Sambre » introduit une nouvelle victime à chaque épisode. Ces 6 femmes deviennent le visage de la soixantaine de victimes laissées pour compte par les institutions. Pas de voyeurisme : aucune scène d’agression explicite. Le scénario se concentre davantage sur les répercussions de l’agression et de l’abandon judiciaire sur la vie des femmes victimes.
L’histoire commence avec Christine (interprétée par Alix Poisson) pour nous dépeindre avec sobriété ses traumatismes, ses mécanismes de survie et son intimité affectée. Chaque personnage féminin présenté à l’écran permet la nuance. Chacune raconte la diversité des conséquences, la vie modifiée et les traces que la violence laisse.
L’illustration des manquements de la police et de la justice
Après les agressions physiques, il y a le désert judiciaire. Les policiers locaux se montrent inaptes à recevoir les témoignages. Entre maladresse, moqueries et gêne, les enquêtes meurent dans l’œuf. Quand les preuves sont récupérées, elles sont oubliées entre deux petits-déjeuners entre collègues et un apéritif après le travail.
Plusieurs personnages féminins tentent pourtant de changer la donne. Une juge, une mairesse, une scientifique… toutes s’approchent pas à pas du coupable. Pourtant, le sexisme systémique ne cesse de les stopper dans leur élan. Pas prises au sérieux, écartées de l’affaire ou considérées comme trop impliquées. Il faudra attendre 2012 et la réouverture du dossier par le département des affaires classées pour voir les pistes être suivies. Là, un commandant de la Police judiciaire décide de s’y atteler avec fermeté, mais compréhension face aux victimes. Une série donc, qui dévoile combien la misogynie affecte chacune des strates de la société. Même celles que l’on penserait les plus justes.
La démystification du personnage de l’agresseur
La série true crime « Sambre » délivre une information des plus glaçantes. La création prend, en effet, le soin de préciser combien Enzo Salina (Dino Scala dans la vraie vie) est un homme comme un autre. Père de famille, entraîneur de foot de l’équipe locale. Serviable et amical ; non, il n’a pas « le profil » d’un violeur. Et c’est tout le sujet.
Après la fascination morbide pour les tueurs en série qui a connu un réel essor entre 2015 et 2018, fini de glorifier les criminels au cinéma. Ils ne sont pas plus attirants, leur vie n’est pas plus excitante. De l’autre côté, cette constatation permet d’achever d’imaginer les violeurs tels des créatures de l’ombre qui n’attaquent qu’à la nuit tombée. Il s’agit d’un voisin, d’un oncle, d’un cousin. Information d’autant plus essentielle quand « plus de 9 victimes sur 10 connaissent leur agresseur ».
C’est précisément parce qu’Enzo Salina est un homme « bien sous tous rapports » aux yeux du public qu’il passe entre les mailles du filet pendant tant d’années. Mais « la démystification des criminels participe à la levée des mécanismes de déni qui ont permis à la violence faite aux femmes et aux enfants de se perpétuer ».
« Sambre » s’émancipe du « fait divers ». La télévision française met enfin les mains dans un sujet essentiel – et elle le fait avec justesse. Pas de sensationnalisme : des faits et des points de vue qui jusqu’ici, tardaient à être vraiment représentés.