Léon Gaumont, les frères Lumière, Alfred Hitchcock ou encore Stanley Kubrick s’érigent dans le top des réalisateurs. En revanche, pour leurs homologues féminines, c’est silence radio. Les exploits des réalisatrices semblent avoir été passés en mode accéléré au cours de l’Histoire. À tort. Ces mesdames, aguerries ou non, ont de nombreuses fois surplombé les hommes dans l’univers du 7e art. Réalisatrices méconnues, elles méritent enfin de quitter l’obscurité pour rayonner. Moteur, action !
Alice Guy, réalisatrice pionnière
Aujourd’hui son visage s’affiche au Festival Lumière de Lyon et ses exploits défilent derrière des documentaires du monde entier. Mais de son vivant, Alice Guy, contemporaine de George Méliès, n’a pas connu les mêmes louanges. Pourtant c’est à elle que l’on doit les prémices des fictions.
Véritable emblème du cinéma muet de la fin du XIXe siècle, cette passionnée du 7e art insuffle son lot d’idées fraîches dans une industrie en pleine mutation. D’abord secrétaire pour un certain Léon Gaumont, cette femme inexpérimentée, mais résolument audacieuse devient la clé de voûte de la maison Gaumont. Réalisatrice méconnue, mais affranchie d’un style moderne, elle prend rapidement les rênes de la production.
Ses initiatives courageuses et son tempérament explosif la hisseront au rang de 1re réalisatrice. À seulement 23 ans, elle réalise son premier film de fiction « La Fée aux choux ». L’année suivante, cette prodige du grand écran s’envole outre-Manche pour vivre son « american dream ». Elle y crée sa propre société de production et ses studios.
C’est le début du phénomène « Alice Guy ». Depuis 2018, cette grande visionnaire injustement évincée de l’Histoire donne son nom à un prix qui récompense les films réalisés par des femmes. Une revanche tardive, mais salutaire.
Agnès Varda, cinéaste de la Nouvelle Vague
Son nom résonne sûrement familier. Agnès Varda a rejoint l’au-delà en mars 2019, laissant derrière elle des œuvres singulières teintées de tendresse, de mélancolie et de réalisme. Agnès Varda, c’est un monument du 7e art révélé dans les années 50 alors que les femmes sont soumises aux dures lois du foyer.
Armée de son oeil de photographe et de sa signature profondément touchante, elle fait un coup de maître, avec « La Pointe Courte ». Si ce premier court-métrage est lourdement dénigré, il marque pourtant le point de départ de la Nouvelle Vague. La réalisatrice, d’abord méconnue, est tirée de l’ombre par son chef-d’œuvre ultime « Cléo de 5 à 7 ».
Le film s’attaque à un thème cru puisqu’il suit en direct la vie d’une héroïne qui apprend qu’elle est atteinte d’un cancer. À mi-chemin entre le documentaire informatif et le scénario romancé, cette création est nommée au Festival de Cannes pour la Palme d’Or l’année de sa sortie. Ces films trouvent un écho féministe et politique. Dans « L’une chante, l’autre pas », elle porte à l’écran l’émancipation des femmes et l’avortement, alors illégal.
Loïs Weber, première personne à réaliser un long-métrage
Avec son film « Le marchand de Venise » de 1914, Loïs Weber devient officiellement la première personne à avoir réalisé un long métrage dans le monde du cinéma. Un éclat de génie qui n’a pas eu la lumière escomptée. Elle coche, elle aussi la case, de réalisatrice méconnue.
Cette héroïne du 7e art venue des États-Unis ne parle certainement à personne. Pourtant, à la sortie de son film « The Hypocrites » en 1915, la jeune trentenaire lance un pavé dans la mare, suscitant quelques suées à l’Amérique puritaine de l’époque. Un corps féminin en tenue d’Ève, des émeutes généralisées sur tout le pays. En levant le voile sur cette réalité abrupte, la réalisatrice méconnue aux racines religieuses devient un péché vivant.
Qu’importe. Pour elle, c’est une façon comme une autre de secouer le cinéma alors sur la corde raide. Encouragée sur cette voie par son amie Alice Guy, Loïs Weber braque les projecteurs sur des phénomènes de l’ombre. De l’hypocrisie de la religion à la prohibition, elle se fait lanceuse d’alerte avant l’heure.
Et cette marque de fabrique un brin désinvolte lui accorde le titre de « Maire d’Universal ». Avec ses œuvres aux accents féministes, elle questionne le mal-être quasi inaliénable des femmes au crochet de leur mari. Son talent, balayé par la frénésie hollywoodienne, est monumental. La preuve, on la surnomme aujourd’hui « La réalisatrice aux 300 films ».
Germaine Dulac, une Française à l’origine du premier film féministe
Journaliste, écrivaine, cinéaste, théoricienne, philosophe, militante féministe et politique, directrice des actualités chez Gaumont, documentariste… avec une carrière aussi longue, on pourrait croire que cette Amiénoise a eu autant de vies qu’un félin. Malgré ce parcours bouillonnant, le nom de Germaine Dulac respire le mystère.
Réalisatrice méconnue, elle a pourtant bousculé les codes à bien des égards. D’abord rédactrice pour un des rares médias féministes des années 1900, Germaine Dulac tombe dans le bain du 7e art grâce à son amante, l’actrice Stacia Napierkowska. Eh oui, cette érudit à contre-courant était aussi une lesbienne accomplie. En 1915, elle réalise son premier film « Les soeurs ennemies”, un essai juste et sans fioritures, éclaboussé sur grand écran.
Sa filmographie est un palmarès à elle seule. Entre « la Fête espagnole” premier film impressionniste, « La Souriante Madame Beudet”, premier film féministe et « La Coquille et Clergyman”, premier film surréaliste, c’est le carton plein. Germaine Dulac, avant-gardiste jusqu’au bout des doigts, se fraye un chemin prestigieux dans l’univers sélectif du 7e art. Le sang du féminisme coule dans ses veines et elle saisit cet art de l’image pour éveiller les consciences. Elle sera aussi l’une des figures majeures à défendre la classe ouvrière.
Sarah Maldoror, porte-parole des militant.e.s africain.e.s
À l’affiche au Palais Tokyo en février dernier, le cinéma provocateur, enragé et militant de Sarah Maldoror était vaillamment honoré. Cinéaste française d’origine guadeloupéenne, la jeune femme née en 1929 a activement participé à la lutte anti-raciste. « Réaliser un film, c’est prendre position. Lorsque je prends position, j’éduque », confirmait-elle. Un engagement décliné derrière la caméra avec des récits à l’esthétique poétique, porteurs de messages percutants.
Réalisatrice méconnue du grand public, elle a pourtant donné naissance à 42 films, aux connotations féministes et anticolonialistes. Femme libre, indépendante et motivée, elle arbore le cinéma comme un outil de « dénonciation ». La caméra devient cette petite souris, discrète, se faufilant dans une société sans pitié pour les gens de couleurs.
Les conditions de vie chaotiques des minorités percent l’écran et le cœur. Ses films qui datent pourtant des années 70-80 trouvent tristement un écho dans notre monde moderne. Regarder ses œuvres sans frontières, c’est une invitation à ouvrir les yeux.
En 2024, les réalisatrices se font de plus en plus remarquer, à la croisée des tapis rouges et des cérémonies honorifiques. Grâce à leur talent et à leur vision unique, elles transforment le paysage cinématographique mondial. L’industrie du cinéma prend, de plus en plus, conscience de la nécessité de la diversité et de l’inclusivité derrière la caméra, permettant à ces réalisatrices de se faire une place de choix dans un milieu longtemps dominé par les hommes.