Il a fait une apparition timide dans les salles obscures à l’automne dernier. Ce film presque passé inaperçu à l’affiche des cinémas pointe pourtant les caméras sur un scandale qui a dépassé les frontières et changé les mentalités à tout jamais. Il retranscrit avec justesse l’affaire Weinstein et le mouvement #MeToo qui lui a succédé. Loin de tomber dans le « hors normes » ou de déformer le récit originel, « She Said » reste fidèle à la réalité et va à l’essentiel. Ce film met en lumière le travail journalistique de fourmis qui a permis de faire chuter le producteur américain. En 2h09, il reconstruit, pierre par pierre, cette enquête d’envergure menée entre les murs du New York Times par deux journalistes, devenues des justicières de l’ombre. Si vous avez manqué « She Said », vous pouvez le voir sur Netflix et plonger dans les coulisses de cette investigation révélatrice.
She Said : un film qui dépeint la chute de Harvey Weinstein
Ce film n’a pas eu l’attention escomptée à sa sortie sur écran large. Pourtant, il brosse d’une main de maître l’affaire la plus retentissante du 21e siècle. Le 15 octobre 2017, deux journalistes du New York Times, Megan Twohey et Jodi Kantor, révélaient au grand jour le vrai visage du producteur Harvey Weinstein. Avec des témoignages cinglants à l’appui et une enquête de fond minutieuse, les deux femmes aux allures de « lanceuses d’alerte », frappaient fort. À elles seules, elles avaient fait le job de toute une brigade policière.
Cette publication marquait d’ailleurs l’arrêt de mort de la carrière Weinstein, rebaptisé, à juste titre, « goret du cinéma ». Un article « coup de poing », qui a massacré la réputation d’un homme sans cesse « couvert » et immunisé pour ses délits sexuels. Forcément, il a eu une déflagration médiatique puissante et une résonance outre-Atlantique. Il a fait renaître le hashtag #MeToo de ses cendres et a ouvert un champ d’expression précieux aux victimes d’agressions sexuelles. « She Said » prend le pari audacieux de rejouer cette enquête et de remonter à la source de cette affaire sismique qui a métamorphosé la société.
Ce film sillonne l’arrière-scène du mouvement #MeToo. Il se tient là où tout a commencé, là où la vérité « crasse » d’un cinéma faussement ignare a éclaté. Il revient à la racine d’un scandale, qui a suscité une prise de conscience collective et secoué bien au-delà du 7e art. Entre difficile recueil de la parole, devoir de discrétion et menace de voir l’article étouffé… « She Said » explore la partie immergée de l’iceberg #MeToo. Ce film sans fioritures présente le mode opératoire de ces journalistes pour renverser Weinstein et c’est brillant, sensible et honnête.
Une immersion dans un travail journalistique courageux et poussé
Dès le départ, le décor est planté. L’intrigue se trame derrière les grandes baies vitrées du New York Times, dans la confidentialité du média le plus noble des États-Unis. L’objectif se focalise sur Jodi Kantor, journaliste pugnace qui a une vive appétence pour les sujets sur le harcèlement au travail. Elle s’élance dans cette enquête périlleuse après la lecture du témoignage de Rose McGowan, une des victimes de Harvey Weinstein. Pour s’attaquer à ce magnat hollywoodien, jusqu’alors épargné par la presse, elle sollicite l’aide de sa collègue Megan Twohey, campée par la talentueuse Carey Mulligan.
Ensemble, ce tandem d’investigatrice creuse le dossier Weinstein et tente de l’alimenter tant bien que mal. Malgré de multiples prises de contact, les ex-collaboratrices du producteur refusent de parler « publiquement ». Mais sous anonymat les déclarations ont toujours moins d’impact et de crédibilité. Cependant, à force de persévérance, de mise en danger et de combativité, elles parviennent à rassembler des pièces à conviction en béton armé. Petit à petit, les langues se délient, les documents compromettants s’empilent et l’article gagne en aplomb.
« She Said » met aussi en relief la brume épaisse d’un système, qui entretient soigneusement le silence et se défend par la loi du plus fort. Les deux femmes, couronnées plus tard du Prix Pulitzer, n’ont jamais baissé la plume malgré les pressions et les tentatives d’intimidation. Le film retrace avec un réalisme scotchant l’évolution de ce travail journalistique titanesque. Parti sur des bases fébriles, il s’est clos sur une compilation de près de 85 témoignages, dont plusieurs à noms découverts. « She Said » est un hommage à ces détectives féminines qui se sont fait le relais des victimes. Avec leur article, elles ont aussi pris les devants d’une justice un peu trop poussive face à ces « monstres » du cinéma.
Une oeuvre portée par des actrices fortes
« She Said » doit aussi sa réussite à sa narration intelligente et son casting de qualité. Maria Schrader, cinéaste allemande aussi aux commandes de la mini-série Unorthodox, est à l’origine de cette œuvre qui dresse les poils et soulève les cœurs. Elle s’est entourée de deux actrices de caractère pour enfiler le costume de ces protagonistes inspirantes et initiatrices du changement. Carey Mulligan, qui prête ses traits à Megan Twohey, est réputée pour ses rôles aux accents militants. Visage phare du film « les Suffragettes » mais aussi héroïne féroce dans « Promising Young Woman« , Carey Mulligan est souvent à la tête de personnages féminins éloquents.
Zoé Kazan, elle, a un palmarès de rôles un peu plus large et varié à son actif. Elle s’est fait connaître et acclamée à travers son jeu convaincant dans « Les Noces Rebelles », drame datant de 2007. Mais c’est grâce à « Elle s’appelle Ruby » que sa carrière a décollé. Si elle n’a pas eu la même success story que sa consoeur, elle livre tout de même une performance franche et percutante. Ces deux actrices américaines étaient prédisposées à être en vedette de « She Said ». D’ailleurs, elles confèrent une énergie galvanisante au film.
Alors que le hashtag #MeToo se remplit chaque jour de déclarations « choc » et ne cesse de se décliner, le film « She Said » reprend l’histoire du début. Il remémore le moment clé qui a fait tomber les garde-fous du cinéma et qui a renversé un des innombrables prédateurs sexuels du 7e art. Mais la traque n’en est qu’à ses prémices.