Rencontre avec des femmes de petite taille contraintes de s’habiller au rayon enfant

Les femmes de petite taille sont marginalisées dans le monde de la mode. Celles qui mesurent moins d’1m60 ont ainsi autant de mal à remplir leur vestiaire que celles qui ont de grandes jambes ou des rondeurs. Dès que les silhouettes vont en deçà ou au-dessus des mensurations « moyennes », la quête de vêtements se mue en challenge. Les femmes de petite taille, las de faire des ourlets sur chaque pièce et de ruser pour ne pas finir englouties par leur tenue, se retrouvent parfois forcées de faire une escale au rayon enfant.

Au milieu des hauts floqués « Minnie » et des bas candides parsemés de papillons se trouvent aussi des vêtements neutres, sans parti pris enfantin. Porter des vêtements à destination des petites têtes blondes, dont l’étiquette affiche un 14 ou un 16 ans est plus une contrainte qu’un choix personnel. Ces femmes, qui composent leur look au rayon enfant, partagent leur récit, dans les tumultes d’une mode fermée d’esprit.

Les premiers pas un peu honteux au rayon enfant

Si les femmes rondes sont souvent freinées dans leur recherche de bon goût, les femmes de petite taille, elles aussi, sont sujettes à cette discrimination vestimentaire sournoise. Toutes deux ont en commun de devoir s’adapter aux bouts de tissus qui leur sont exposés sur les cintres. Les femmes qui ont une carrure menue doivent sans cesse revoir le stylisme de ces pièces pour ne pas ressembler à un épouvantail ou disparaître sous la matière.

Les pantalons masquent totalement leurs pieds et manquent de les faire trébucher tandis que les hauts débordent sur leur main et tombent mal sur leurs épaules. Au lieu de les mettre en valeur, ces articles de mode les ensevelissent et font défaut à leur charme. Pour y remédier, ces femmes de petite taille sont parties explorer une terre inconnue : le rayon enfant. Motivées par un ras-le-bol commun, elles ont tourné leur talon en direction de cet Eldorado du tendre âge fait de motifs innocents et de couleurs arc-en-ciel.

Valentine, 26 ans, freelance en stratégie de communication et créatrice de la communauté Daily Petite n’y est pas forcément allée de gaîté de cœur. « C’est en réalisant que j’avais besoin de solutions mode ‘hors normes’ que le rayon enfant est apparu comme une option ». Même écho pour Salomé, 24 ans, attachée de presse en région parisienne. « J’en avais marre de devoir acheter des pantalons au rayon femme et de les retrousser. Je ne trouvais pas ça tellement élégant ». Une expérience dépeinte, presque à l’unanimité, comme « gênante » et « intimidante ». Vanessa, vendeuse de 35 ans et maman d’une petite fille, se souvient d’une situation particulièrement humiliante chez Desigual.

« Il me fallait une robe habillée pour une soirée. Mais le vendeur s’est pointé avec des modèles en 16 ans tous plus fantaisies les uns que les autres dont une robe tutu bien trop ridicule pour mon âge »

S’habiller au rayon enfant, du complexe à l’acceptation

Ces femmes, marginalisées par des standards de taille qui ne reflètent pas la diversité des morphologies, se retrouvent face à un dilemme quotidien : choisir entre des vêtements pour enfants, souvent inadaptés à leur style et à leur âge, ou tenter de retoucher des vêtements pour adultes, au risque de ne jamais obtenir un ajustement parfait. Pousser les portes du rayon enfant, sans tenir la main d’un bambin ni tirer une poussette, s’apparente, pour beaucoup, à un acte coupable.

Mais si certaines femmes veulent se faire encore plus petites qu’elles ne le sont pendant ce shopping insolite, d’autres relativisent. C’est le cas de Jacqueline, 29 ans, en SAV chez Fenwick à Dijon. Partisane de l’autodérision, elle préfère en rire qu’en pleurer. « Tout a commencé avec une blague entre copines. Je leur ai dit ‘je suis sûre que je rentre dans du 12 ans’« . Depuis cette note d’humour, elle fait ses emplettes au rayon enfant, en même temps que ses filles.

« Au moins je peux acheter les mêmes vêtements et être matchy matchy avec mes filles qui ont… 8 et 5 ans ! »

Ces femmes, d’abord embarrassées dans ce rayon enfant où elles n’avaient pas mis les pieds depuis la primaire, ont finalement dédramatisé cette « pratique » en passant à la caisse. Le prix affiché au dos des étiquettes a balayé les rougeurs sur leur joue illico presto. C’est en partie ce qui a séduit Manon, 25 ans, jeune architecte. « En plus d’avoir des vêtements ajustés, on peut faire de belles économies pour des modèles semblables à ceux du rayon adulte ». Toutes s’accordent à dire que les vêtements puisés entre les imprimés Lady Bug et les froufrous sont moitié moins chers.

Autre point positif relevé : avoir un style singulier. Toutes parviennent à dénicher des pièces esthétiques, en osmose avec les tendances. Un luxe permis grâce à la folie du « mini-moi », ces enfants qui calquent les looks des grands. Valentine a d’ailleurs presque pris goût à sillonner ses étales de tissus réduits. Pourtant, à l’époque, elle usait de tous les stratagèmes pour éviter de s’y éterniser. Elle repérait d’ailleurs la pièce en ligne avant de se rendre en boutique afin d’aller droit au but et zapper la case essayage.

« Au début, je ne l’aurais vraiment pas crié sur tous les toits. Mais avec le recul, j’y trouve une certaine fierté, voire même un plaisir »

Des inconvénients et la peur du regard des autres

Les femmes de petite taille qui façonnent leurs tenues au rayon enfant peuvent enfin arborer des vêtements compatibles avec leur gabarit, à quelques détails près. Un.e enfant n’est pas taillé.e comme un.e adulte, cela va de soi. Ces habits ne prennent donc pas en compte les formes de ces mesdames. Ils sont cousus pour des corps qui n’ont pas encore été sculptés par les hormones. Les hanches, les poignées d’amour et la poitrine sont parfois un peu à l’étroit. Valentine en a déjà fait les frais.

« J’ai des jambes courtes avec des hanches assez développées alors il arrive que certains bas ne me conviennent pas et soient peu flatteurs »

Il y a aussi toujours cette hantise de se faire « prendre » la main dans le sac, ou plutôt dans le panier. Se retrouver dans les cabines d’essayage aux allures de maison de poupée avec des enfants en voisin ne met pas forcément à l’aise. Certaines femmes, venues, non pas pour acheter une carte cadeau ou refaire la garde-robe de leur enfant, craignent souvent d’être « démasquées ». C’est ce qui est arrivé à Vanessa.

« J’entends parfois des petites filles dire à leurs mamans ‘t’as vu la dame elle a le même legging que moi’. Mais désormais je ne trouve pas ça rabaissant, au contraire c’est plutôt amusant »

Le second degré est donc une qualité requise pour aller à la chasse aux hits mode au rayon enfant. Malgré ces quelques désagréments, ces femmes, qui n’ont pas mangé assez de soupe pendant l’enfance (comme certaines personnes s’amusent à le répéter), se sentent chanceuses d’avoir ce plan B. « Je pense aux femmes qui, à l’inverse, n’ont pas de solution quand les grandes tailles ne sont pas disponibles partout », ajoute Manon.

À chacune sa stratégie pour tourner cette tare en avantage

Dans l’imaginaire collectif, les femmes qui s’habillent au rayon enfant s’esquissent tout de suite en robe à pois, en salopette à tête d’ours ou affublées d’un t-shirt licorne. En réalité, leurs looks ont parfois bien plus de panache que celui des modeuses les plus en vogue de la toile. « Les grandes enseignes de mode nous facilitent la tâche aujourd’hui. Il y a naturellement du mimétisme entre les collections principales et les collections enfants », constate Valentine. Manon, de son côté, puise son inspiration chez les influenceuses présentées sous le hashtag #teampetite à l’effigie de Inés Richard. Jupe plissée empruntée aux courts de tennis, t-shirt évasé et cascade de colliers… à première vue, rien ne porte à croire que cette tenue provient du rayon enfant. C’est un sacré coup de bluff.

Salomé, elle, préconise d’aller dans le rayon enfant d’une grande griffe pour que la transition soit moins brutale. Les vêtements y sont plus neutres et moins bariolés que dans les enseignes « dédiées ». Et lorsqu’ils font un peu trop leur âge, il existe des ruses pour les métamorphoser en pièce intemporelle. Valentine, par exemple, est désormais sa propre styliste. Elle ne se prive plus des modèles à la patte naïve, mais au design prometteur. Elle les arrange à sa manière.

« Il m’est arrivé de customiser ou détourner une pièce mode. Par exemple retirer un col en moumoute trop enfantin, selon moi, sur un manteau pour le transformer en bon basique. Ou encore, porter une robe dos nu à l’envers afin d’obtenir un beau décolleté »

Si toutes ces femmes qui s’habillent au rayon enfant déjouent brillamment les pièges de la mode, cela met tout de même en lumière les lacunes d’une industrie encore loin d’être réellement inclusive. Cette situation souligne non seulement le manque de considération des marques pour les diversités corporelles, mais aussi l’impact psychologique sur ces femmes, qui peuvent se sentir invisibles et non représentées. La mode se doit d’être inclusive et développer des lignes de vêtements qui incluent toutes les morphologies, afin de permettre à chaque femme de se sentir belle et à l’aise, quelle que soit sa stature.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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