Dans une ère où lingerie sexy et confortable se chevauchent, les marques se réinventent pour offrir aux femmes des dessous qui correspondent à leurs attentes. Si la lingerie représentait 2,38 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019, ce n’est pas pour rien. Mais enfile-t-on nos sous-vêtements pour séduire ou pour des raisons pratiques ? Au fond doit-on vraiment choisir ?
54 % des femmes déclarent que c’est à travers la lingerie que l’on se sent séduisante
Janvier 2018. Les cinq sœurs Kardashian posent lascivement en boxer en coton. Regards langoureux, poses suggestives et formes généreuses, la marque Calvin Klein casse les codes du sexy avec cette campagne promotionnelle.
« Les sous-vêtements, j’associe cela à quelque chose qui est pour mon usage personnel, là où la lingerie sera plus liée à la séduction. Quand je pense à de la lingerie, je pense instinctivement à quelque chose qui n’est pas confortable. Or, c’est complètement en train de changer aujourd’hui », confie la journaliste de mode Elvire Emptaz, qui résume parfaitement la situation
On a toutes besoin à un moment d’enfiler des sous-vêtements, quels qu’ils soient. Dans l’imaginaire collectif, sous-vêtements et lingerie ne représentent pas les mêmes dessous. La lingerie est associée à la séduction, tandis que les sous-vêtements ont un usage dédié au confort. Comme nous l’explique Maéva, jeune femme âgée d’une vingtaine d’années : « c’est parce que ça nous a été intégré par la société ».
Dans une étude de l’IFOP menée en 2016 par Fabienne Gomant, il reste indéniable que lingerie et séduction font la paire. Pour 54 % des femmes, c’est en effet à travers la lingerie que l’on se sent séduisante. Pourtant, toujours selon cette étude, les attentes des Françaises en termes de lingerie ne sont pas étrangères à la notion de confort. 71 % des femmes interrogées le recherchent même en priorité.
Et ce n’est plus seulement une question de génération. « Maintenant des femmes de tous âges cherchent des sous-vêtements confortables« , avance Samantha Montalban, fondatrice de la marque de lingerie confortable Mina Storm. Un changement qui devrait s’inscrire sur la durée puisque comme l’explique Louise Jussian, chargée d’étude à l’IFOP : « une fois que ces jeunes vont grandir, il y aura un remplacement générationnel et je pense que ça va participer à diffuser encore plus ces manières de faire ».
Mais alors qu’en est-il de la séduction ? La lingerie confortable l’efface-t-elle totalement ou en propose-t-elle une autre définition ?
Et si on écrivait la lingerie au pluriel ?
S’il y a une dizaine d’années nous aurions immédiatement brandi les sous-vêtements d’Aubade ou Chantelle, corsets et porte-jarretelles compris, en entendant le terme « lingerie de séduction », depuis quatre ans les frontières se floutent. Tandis que certaines maisons institutionnelles comme Lejaby se meurent, d’autres marques prennent le créneau du confort.
« Toutes ces jeunes marques ont été révolutionnaires pour plusieurs raisons. Dans un premier temps, elles ont privilégié cette notion de confort. Puis, elles prônent l’inclusivité, avec des tailles très différentes en s’adaptant à la morphologie des femmes », nous explique Elvire Emptaz
Toute la différence est là. La lingerie version 2.0 ne s’attache pas à une élite à la fois sociale et esthétique, mais aux femmes dans toute leur pluralité, non seulement de corps, mais aussi d’envies.
« Chez nous on s’amuse avec les codes de la lingerie de séduction en les réinterprétant avec nos codes, notamment concernant le confort », lance Samantha Montalban. Comme le confirme une étude de marché datant de 2019 par la Fédération de la Maille et la Lingerie, le confort devient un incontournable quand on parle de lingerie. En effet, 42 % des femmes se résoudraient à porter un article confortable au détriment du style. L’exemple parfait de ce « boom du confortable » est la popularité soudaine de la marque Sloggi.
« En 2017, il n’y avait pas vraiment, voire pas du tout, de brassières sans armatures, sans coutures visibles, sans agrafes dans le dos ou avec des coques amovibles. C’était un vrai parti pris d’appliquer cela avec notre ligne Zero Feel », nous confie Amandine Viroux, la chargée de marketing de la marque
Le moins que l’on puisse dire c’est que le pari est gagné. La marque peut se targuer d’être aujourd’hui la numéro une au niveau européen. Chez Mina Storm, même impression. Samantha Montalban passe d’ovni à poisson dans l’eau.
Ainsi, la lingerie de séduction s’adresse aujourd’hui à toutes les femmes, de la plus mince à la plus ronde, de la plus jeune à la plus âgée, de la citadine à la vie sociale effrénée, à la mère de famille et ses réunions Tupperware du dimanche matin. Lorsque nous avons interrogé ces femmes sur leur pièce de lingerie rêvée, nous avons vu se dessiner un ensemble à la fois joli et agréable dans le quotidien, aussi valable pour un repas en amoureux.ses que pour le cours de marketing. « Un soutien-gorge à la fois beau et sexy sans armature que l’on peut mettre quotidiennement sans qu’on le sente pour autant », demande Mathilde tandis que Rosalie fantasme sur « un body qui maintient la poitrine sans baleines ou bretelles qui scient les épaules » tout en la mettant en valeur. En d’autres mots, elles ne veulent plus choisir, elles veulent pouvoir être tout à la fois.
Une lingerie féminine à tous points de vue
Ce changement de paradigme a été impulsé par l’émergence de nouvelles marques de lingerie prônant le confort comme premier critère. Mina Storm, Je ne sais quoi, Girls in Paris et des dizaines d’autres ont entendu et compris le besoin des femmes de simplement être à l’aise dans leurs dessous. Comment les nouvelles marques sont-elles à l’origine de ce bouleversement ? La réponse se trouve dans les fondateurs, ou devrait-on dire les fondatrices, de ces nouvelles marques.
Ces nouveaux acteurs du marché changent la donne, car ils sont créés par des femmes, pour des femmes. Conséquence directe de l’émergence du female gaze dans la société. Quelle meilleure personne qu’une femme pour répondre aux besoins d’une femme ? Ces marques novatrices développent des produits pour satisfaire la demande des clientes. « Nos modèles de tanga seconde peau, c’est venu d’une demande des clientes qui voulaient avoir une trace plus invisible et quelque chose qui coupe moins la fesse », explique en ce sens Samantha Montalban.
Aujourd’hui, ces marques ont cassé les codes en proposant des gammes de produits diversifiées afin de permettre aux femmes d’avoir du choix. Le coton et le lycra sont les matériaux phares de ces nouveaux modèles de lingerie. « Nous utilisons principalement du coton, car c’est une matière en fibre naturelle qui permet de suivre aisément les courbes du corps », poursuit Samantha Montalban. Avec le bouleversement que cela a causé, la tendance au confort a contribué à redéfinir le concept de séduction en lingerie.
« Je pense que ça redéfinit d’une certaine manière le rapport, du moins, que les femmes ont elles-mêmes avec leur séduction, leur corps, leur féminité. Mais je ne pense pas qu’on soit encore, du moins pas pour l’instant, dans une redéfinition complète de la séduction », explique Louise Jussian
Car oui, cela prendra encore du temps avant que le concept de séduction imposé par les maisons de lingerie institutionnelles ne soit qu’un lointain souvenir. L’image de la femme séductrice a été façonnée par les hommes et pour les hommes. « Si on prend la marque de lingerie Aubade, leur campagne des leçons de séduction, ‘pratiquez l’hypnose’ c’est en fonction d’un homme, ‘le déshabiller du regard’ c’est encore par rapport à un homme », analyse Samantha Montalban. Les diktats masculins ont fait de la lingerie le reflet d’un phénomène de société.
« La lingerie et notamment le corset c’est un vrai symbole de l’aliénation du corps de la femme par l’homme et par la société depuis toujours », constate Elvire Emptaz
Si pendant des années la lingerie féminine était à destination des hommes, elle était en décalage avec les attentes de leurs héroïnes. Les résultats d’une étude de l’IFOP démontrent que les attentes vis-à-vis de la lingerie sont en miroir selon que l’on pose la question aux hommes ou aux femmes. Pour 71 % des femmes interrogées, le confort est le premier critère alors que la sensualité intervient en second plan avec 44 %.
En revanche, 66 % des hommes privilégient la sensualité quand seulement 40 % favorisent le confort. « Lorsque j’achète de la lingerie, je recherche quelque chose de beau qui va me mettre en valeur et où je suis confortable à l’intérieur », confirme Chloé, 24 ans.
« La lingerie a été réalisée pour eux. Quand on voit le confort des pièces, ce n’est pas de la lingerie pensée pour les femmes, mais pour la séduction, mais encore une fois pour certaines images. Je me sentirais offensée s’il n’y a que dans la lingerie comme ça que je peux me sentir séductrice », confie de son côté Samantha.
La lingerie confortable n’est pas encore en terrain conquis, mais elle a toutes les cordes à son arc pour accompagner les femmes dans leur conquête de la redéfinition du concept de séduction.
S’adapter ou mourir
Si les marques veulent continuer à vendre, elles doivent se mettre au pas. « On est à l’écoute des femmes, de nos clientes. Si un mouvement de société fait qu’elles ont besoin de se sentir plus libres d’avoir plus de confort, on développe cela », confirme Coralie Debruyne, chargée de l’image de la marque Rouge Gorge depuis 2017. Chez Darjeeling, filiale du groupe historique Chantelle, même son de cloche. Audrey Bousseyrol indique que les nouveaux mots d’ordre depuis 2019 sont « authenticité » et « approche des corps plus réalistes« . Ce sont deux exemples parmi tant d’autres puisqu’à l’IFOP, les conclusions sont les mêmes. Louise Jussian nous indique :
« Les marques surfent évidemment sur la tendance au confort, surtout les marques de soutiens-gorge, car elles n’ont aucun intérêt à ce que les femmes n’en portent plus »
Certaines nouvelles marques ont ainsi devancé les anciennes et ont su s’adapter plus rapidement aux envies des femmes. « Elles ont utilisé des moyens qui étaient à leur portée : en communiquant sur les réseaux sociaux, en créant une communauté, en proposant des campagnes avec des filles que l’on peut retrouver n’importe où dans la rue. Finalement, on passait devant Etam et on voyait une affiche avec une mannequin comme Constance Jablonski qui est sublimissime, mais ça nous parlait pas forcément, parce qu’on a pas les mêmes mensurations, on ne fait pas 2m et un 34. Les jeunes marques se sont mises à parler à tout le monde« , développe Elvire Emptaz.
Message reçu. S’adapter oui, mais comment ? La marque Rouge Gorge prend par exemple un nouvel envol. « L’image d’une femme plus libre est au coeur de nos campagnes. Notre signature est ‘Être femme’. C’est tout. Nos clientes font ce qu’elles veulent. Pour leur laisser cette liberté, nous mettons en avant de plus en plus de modèles sans armatures et sans push-up », développe Coralie Debruyne. La lingerie et ses évolutions esthétiques récentes redéfinissent donc l’image de la femme séductrice.
« C’est le rôle des marques d’accompagner les femmes dans cette volonté d’être confortable et de se sentir sexy avec leur lingerie », surenchérit Amandine Viroux de chez Sloggi
Le bien au service du beau
Les divers confinements ont été pour tou.te.s une parenthèse intime. Le télétravail engendré par la pandémie a permis à de nombreuses femmes de se libérer des diktats de beauté de la société patriarcale. Une tendance au confort se développe désormais. L’ère du no bra en est une preuve irréfutable. D’après des chiffres de la marque Mina Storm, le nombre de femmes pratiquant le no bra au quotidien a augmenté de plus de 50 % après la fin du confinement. Il a été l’occasion pour l’ensemble des Françaises de porter un regard nouveau sur leur corps.
Samantha Montalban explique que l’absence du regard des autres, si ce n’est des personnes avec qui l’on est confiné.e.s, a permis de se libérer d’un poids. « Après deux mois de confinement, les femmes ont réellement eu le déclic de ne plus vouloir remettre des soutiens-gorge », continue-t-elle. Plus question de se sentir serrées, compressées ou contraintes.
Mais si la lingerie doit maintenant permettre de se sentir bien, le rapport à la séduction ne disparait pas. Pour Lucie, 21 ans, la lingerie est un sous-vêtement dans lequel elle se sent « belle ». Elle n’est pas seule. Lorie, Monique, Corinne… en 2022, toutes font encore le rapprochement. Audrey Bousseyrol constate que « la lingerie reste encore rattachée à la séduction, peu importe ce qu’on dit, il a ce côté où on a besoin de se sentir confiante, mais la confiance en soi c’est pour soi avant tout et pour le sexy, on dit sexy pour soi d’abord ».
Aujourd’hui les marques veulent s’adapter aux créneaux en mixant les catégories de produits de sexy à invisible avec la touche de confort. Nos tiroirs deviennent des alliés de taille pour booster notre confiance. Elvire Emptaz explique : « aujourd’hui, je peux me dire que j’ai envie de porter un joli ensemble. Avant je ne le faisais pas, car je n’allais pas m’embêter à mettre un truc qui me tiraillait sous la poitrine. Maintenant, je peux le faire parce que j’ai quelque chose de confortable et joli à ma disposition ».
Elle poursuit : « si j’ai un rendez-vous important, parfois j’ai envie d’être vraiment nickel de partout même si ce n’est que pour moi. C’est pour ma confiance en moi ». Finalement, à chacune de faire comme il lui plaît pour atteindre sa vision de la Wonder Woman. Et qui pourrait nier que Wonder Woman est sexy, ou du moins badass à souhait ?
La mode est un cycle et les tendances mènent la danse. Le concept de séduction se réinvente. Séduire est possible avec des sous-vêtements confortables, « autrement dit, on peut être sexy dans une culotte Petit Bateau. Et ce n’est pas parce que la lingerie est dite ‘sexy’ qu’on le sera… », lance Catherine Örmen, une styliste ayant rédigé plusieurs livres sur l’histoire de la lingerie. En 2022, le sexy c’est aussi une histoire d’attitude.