Body neutrality : quel est ce mouvement qui gagne du terrain dans le discours sur l’image de soi ?

Sur les réseaux sociaux, les corps photoshopés et polis à coup de filtres se sont dissipés des pixels pour laisser entrevoir des courbes généreuses et de la chaire texturée. Les influenceuses se montrent avec leur bedaine moelleuse, leurs cuisses capitonnées et leurs bras flasques. Cette fierté corporelle, qui fait toute l’essence du mouvement body positive, est salutaire, mais elle n’est pas si facile à mettre en pratique. Se réconcilier avec ses formes est presque devenu une injonction. Pourtant, s’éprendre pour sa silhouette et en aimer chaque recoin relève plus du fantasme que de la réalité. Le courant body neutrality, lui, est une sorte de juste équilibre. Au lieu de nous réduire à notre physique et de nous forcer à faire la paix avec notre enveloppe extérieure, il insiste sur les autres qualités qui nous définissent.

Comment est né le mouvement « body neutrality » ?

Dans le fil d’actualité d’Instagram, les posts « à courbes découvertes » fleurissent. Impossible de passer à côté. En scrollant, il n’est pas rare de tomber sur des vidéos où les rondeurs s’agitent, les cuisses se frottent et la peau ondule. Ces publications qui font tomber les vêtements et révèlent des silhouettes à l’opposé des standards offrent un beau regain de self love. Mais si elles inspirent, elles peuvent aussi culpabiliser et nourrir une pression à adorer son corps dans les moindres détails. Face à cette promotion de l’auto-flatterie et ces déclarations d’amour propre, le sentiment d’impuissance est latent.

Malgré des post-its couverts de compliments dispersés du sol au plafond, des affirmations positives répétées assidûment devant le miroir et un fond d’écran « le corps idéal c’est le tien », rien n’y fait. Ce pacifisme corporel ne prend pas. Malheureusement, il n’y a pas de recettes magiques pour adhérer pleinement au crédo body positive. Sur la toile, l’exercice a l’air pourtant simple, mais dans les faits, c’est une tout autre histoire. Vous avez beau faire des efforts en caressant vos poignées d’amour ou en disant des mots doux à votre cellulite, vous n’éprouvez pas une once d’affection pour ce qui se répercute dans la glace. Inutile de vous forcer, il suffit juste de chercher la satisfaction ailleurs. C’est toute l’intention du mouvement body neutrality, qui fait front aux préceptes du body positivisme.

Le terme body neutrality s’est fait remarquer, pour la première fois, entre les lignes du magazine The Cut. Même si cette philosophie est née en 2015, dans le sillage de l’alimentation intuitive, c’est la journaliste Marisa Meltzer qui lui a donné de la résonance. Dans son article, elle brosse les tenants et aboutissants de ce concept, qu’elle a découvert lors d’une retraite bien-être 100 % féminine.

« C’est un terme qu’on utilise pour décrire un juste-milieu, c’est un moment de détente, un drapeau blanc », explique la coach à l’origine du programme

Concrètement, qu’est-ce que le « body neutrality » ?

Entre la haine profonde de son corps et l’acclamation franche de ses courbes, il y a un énorme fossé que la mouvance body neutrality entend combler. Moins rigide que le mouvement body positive qui prône l’amour corporel à tout prix, le body neutrality est un « entre-deux ». En clair, il s’agit ici ni de détester ni d’aimer son corps à 100 %, mais d’atteindre cet état intermédiaire. Finalement, ce n’est pas tant le fait d’être en parfaite harmonie avec ses formes qui compte, mais simplement d’avoir un corps et d’apprendre à s’en contenter. Le body neutrality envisage le corps comme un instrument, plutôt qu’un objet constamment évalué et critiqué.

« Le concept de neutralité corporelle encourage les individu.e.s à apprécier les fonctions de leur corps et décourage les jugements sur leurs caractéristiques physiques », précise Hillary Ammon, psychologue clinicienne, auprès de Women’s Health

Ce qui importe ce n’est pas l’apparence de votre corps, mais sa capacité à vous soutenir et à accompagner vos mouvements. La peau d’orange greffée aux fesses ou les amas de graisse qui absorbent le nombril deviennent alors des détails insignifiants, des éléments secondaires. L’essentiel, c’est que le corps soit en bon état de marche. L’idée avec le mouvement body neutrality, c’est de passer outre votre façade extérieure pour explorer vos forces intérieures. Ce qui est de l’ordre de « l’invisible ». Il met l’accent, non pas, sur votre peau en relief, mais sur ce qui se cache de l’autre côté, au plus profond de vous.

Le but n’est pas de déloger vos complexes, mais de les exposer en toute franchise et de vous faire à l’idée de ce corps imparfait. Au lieu de vous mentir à vous-même en vous déclarant un « je t’aime », le body neutrality vous autorise à l’insatisfaction, aux doutes et à la remise en question. Il met la balle au centre.

Pourquoi le body neutrality convainc plus que le body positive ?

L’âge d’or du body positive semble arriver à son terme. Certes, le mouvement a réussi à fédérer toutes les morphologies derrière un mot-dièse qui compte plusieurs millions de posts, mais aujourd’hui il vit des heures sombres. Certaines personnes pointent notamment son caractère utopiste et inatteignable. Elles estiment que le discours est passé d’un extrême à un autre. Du « sois belle, sois mince, sois éternellement jeune » le mot d’ordre s’est transformé en « aime-toi, accepte tes kilos en trop et trouve-toi sexy ». Une bascule sans transition qui force les corps à s’aimer tels quels.

Le body neutrality vient rajouter un pallier au parcours tortueux de l’acceptation de soi. Avant sa naissance, les corps devaient choisir entre deux camps opposés. Ils devaient soit se conformer aux standards et au culte de la taille fine, soit suivre le body positivisme et se gonfler en estime. Le body neutrality, lui, séduit puisqu’il sert de contrepoids. Il ouvre un nouvel espace entre l’amour inconditionnel de son corps et une haine sans fin de soi. Il fidélise davantage puisqu’il s’apparente à une trêve durable dans cette guerre physique.

Les influenceuses qui ont démocratisé le body neutrality

Le mouvement body neutrality a plusieurs ambassadrices dont certaines sont plus connues que d’autres. En Grande-Bretagne, l’actrice militante Jameela Jamil se fait la porte-voix de ce courant, qui remet l’estime de soi au niveau zéro. La journaliste Danae Mercer, est, elle aussi, une fidèle disciple du body neutrality. Sa formule ? Faire se côtoyer deux photos dont une où elle est à son « avantage » et une autre où elle est dans une posture moins flatteuse.

En France, des influenceuses au nom évocateur sont également partisanes du body neutrality, qu’elles jugent plus sain. C’est Louise Aubergy, derrière le compte mybetterself, qui a été la première à vanter le body neutrality, par ailleurs plus représentatif de la réalité.

« Parce que c’est vrai que si tu regardes la plupart des photos body positive qui circulent aujourd’hui sur Instagram, elles ramènent toujours au corps. Alors que notre corps, ce n’est même pas 1 % de qui on est », rappelle-t-elle sous un post Instagram

De plus en plus de personnes renoncent ainsi au mouvement body positive pour s’initier au body neutrality, une variante plus modérée et accessible. Après tout, le corps est amené à changer alors que l’âme, elle, reste intacte, qu’importe l’âge et les événements de la vie.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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