Selon une étude réalisée par 2 chercheur.se.s du CNRS, Clotilde Napp et Thomas Breda, et publiée en mars 2022 sur Science.org, les filles attribuent plus souvent leurs échecs à « un manque de talent » que les garçons. Réalisée à partir d’une enquête posée à plus de 500 000 étudiant.e.s dans 72 pays, elle souligne la propagation des stéréotypes de genre et l’impact sur la dévalorisation des filles, toutes nationalités confondues. On vous en parle plus en détail.
Pays développés & stéréotypes
Globalement, les filles obtiennent de meilleurs résultats scolaires que les garçons. Et pourtant, elles continuent toujours de douter de leur valeur et de leurs compétences. Menée sur 3 ans, l’enquête demande de répondre à une affirmation simple : « quand j’échoue, j’ai peur de ne pas avoir assez de talent ».
Résultat sans appel : dans 71 des pays étudiés, même à performances égales, les filles attribuent l’échec à un manque de talent. Les garçons, eux, incriminent plus volontiers des facteurs externes à leurs propres performances. Dans le détail : 61 % des filles sont d’accord avec cette affirmation. Ils ne sont que 47 % de garçons, soit un écart de 11 %. Dans les pays hors OCDE (L’Organisation de coopération et de développement économiques), l’écart est toujours en faveur des garçons, mais réduit à 8 %.
Comment expliquer cet écart ? En commençant par la confiance en soi des jeunes ainsi que le choix de leurs études. S’il s’avère plus facile dans les pays égalitaires, l’écart est aussi plus creusé. Même si le pays se développe, les normes ne disparaissent pas, mais se restructurent petit à petit. Paradoxalement, les pays plus émancipés laissent finalement plus de place aux jeunes de retomber dans les vieux stéréotypes.
Interrogé par l’AFP, Thomas Breda, chercheur au CNRS et co-auteur de l’étude, estime que les pays développés sont aussi très portés sur la réussite individuelle et favorise donc le talent :
« Dans une société où on en n’en a rien à faire que les gens soient plus ou moins talentueux, il y a moins de place pour ces stéréotypes. »
Inévitable, dès l’école primaire ?
Comme le souligne Madmoizelle.com, cette dévalorisation prendrait racine dès l’enfance. Le média cite notamment « Éduquer sans préjugés« , un livre co-écrit par Amandine Hancewicz et Manuela Spinelli, qui démontre que l’on accorde plus de place dans la cour et en classe aux garçons qu’aux filles :
« Voici un exemple : les garçons sont sollicités plus souvent que les filles pendant les heures de cours. Si pendant les années 1970 on estimait entre les temps de parole accordés aux garçons et aux filles à deux tiers/un tiers, aujourd’hui la situation semble s’être légèrement améliorée : on est à 56 % contre 44 %. (…)
Leur indiscipline étant anticipée, elle est mieux tolérée : on la considère comme inévitable et naturelle. Les filles, au contraire, bien que rappelées à l’ordre moins souvent, le sont de façon plus dure et nette. Parler à voix haute, couper la parole : ce n’est pas un comportement digne d’une fille, voyons ! »
Ainsi donc, les filles feraient l’objet de plus d’injonctions (être sage, obéir, se taire, rester calme…). Et, en plus de cela, on les décrédibiliserait plus facilement en affirmant que « le bavardage est l’apanage des pipelettes, autrement dit des filles ».
À force d’entendre ces « contre-vérités », les filles finissent inconsciemment par les intégrer et à en faire un facteur de dévalorisation et de dépréciation, dès le plus jeune âge.
Plafond de verre & égalité des chances
Selon Clotilde Napp et Thomas Breda, auteur et autrice de l’étude, « on attend des garçons qu’ils soient talentueux et qu’ils réussissent ». Du coup, comme l’échec annule cette attente, il sera plus volontiers attribué par les garçons (et par les autres), à des facteurs externes ou à un manque de chance. Pour les filles, souvent perçues comme membres du groupe de statut inférieur, l’échec confirme aussi les attentes et sera attribué par elle-même (et par les autres) à un manque de talent inné.
Le problème étant que cette façon de penser insidieuse aura forcément un impact négatif que l’avenir professionnel des filles. Si, suite à un échec, un garçon ne se remet pas en question, une fille aura tendance à se dévaloriser et à penser qu’elle n’a pas les compétences naturelles suffisantes pour réussir dans la voie qu’elle a choisie.
Cette pensée les incitera à douter d’elles-mêmes et à se montrer moins compétitives, validant ainsi le stéréotype de l’homme ambitieux et de la « femme qui doit savoir rester à sa place ». Résultat direct : la majorité des filles ne se dirigera pas naturellement vers une carrière prestigieuse ou un poste plus élevé. Qu’importe le niveau d’études, inconsciemment elles pâtiront toujours de ce « talent inné », naturellement attribué aux hommes. Renforçant ainsi le plafond de verre et l’inégalité de genre dans le milieu professionnel.
Si vous êtes parent.e et lisez cet article : voilà une belle occasion de mettre un coup de pied dans la fourmilière en expliquant à votre fille qu’elle peut tout faire. À condition d’avoir confiance en elle et de se remettre en question pour les bonnes raisons, et non par rapport aux stéréotypes sexistes véhiculés par notre société.