Le témoignage de Martinus Evans, un homme obèse, publié sur le Huffington Post nous a bouleversés. Il y évoque un sujet tabou : avoir des seins lorsqu’on est un homme. Il les appelle « mes seins d’homme ». Il raconte son histoire et milite pour que les mentalités changent.
« T’es gros et t’as plus de seins que moi ! »
Comme beaucoup de personnes en situation d’obésité, Martinus s’est rendu compte de sa « différence » alors qu’il n’était encore qu’un enfant :
En CP, je me suis rendu compte que j’étais gros quand mon professeur a demandé à chacun de dire à toute la classe ce qu’il aimait le plus dans la vie (…). Moi, j’ai décidé d’annoncer à tous que j’avais le béguin pour ma plus jolie camarade.
La tête haute, il se rend au tableau et déclare :
J’aime Dee parce qu’elle est la plus jolie et la plus intelligente de la classe.
Sa réaction est immédiate et tranchante :
Beurk ! Moi, je t’aime pas ! T’es gros et t’as plus de seins que moi !
Toute la classe éclate de rire. Martinus regagne sa place, honteux, humilié et les yeux pleins de larmes. Depuis ce ce jour, ses camarades l’appeler « titty boy » qui veut dire « monsieur nichons » en français :
Mon professeur les a fait taire rapidement mais le mal était fait. Ce jour-là, j’ai compris que j’étais différent et ma vie a changé : j’ai commencé à mépriser le monstre que les autres voyaient en moi.
« Seins d’homme » : la gynécomastie touche aussi les hommes
Tous ceux qui sont touchés par l’obésité le savent pertinemment : notre quotidien consiste à surcompenser (avec l’humour par exemple) ou bien à cacher son corps pour éviter au maximum d’être le plus gros/la plus grosse de la pièce :
Je me suis privé d’aller nager parce que je n’avais aucune envie d’enlever ma chemise. J’ai fait de mes choix de vêtements et de chaussures des sujets de conversation et, quand j’ai vu que ça ne marchait pas, je me suis mis à faire le pitre. Je faisais rire les autres, parfois à mes dépens, pour détourner les conversations ou éviter les moqueries sur mon poids et ma poitrine.
Martinus Evans est victime d’une pathologie que l’on appelle « gynécomastie« . Elle affecte la poitrine et la fait ressembler à celle que possèdent naturellement les femmes. Une « malformation » qui a eu de graves conséquences sur l’estime de soi de Martinus :
La perception que les autres avaient de moi a fragilisé ma psyché. J’ai cru que, parce que j’étais gros, je ne valais rien, que mes pensées, mes sentiments et mes émotions étaient nuls et non avenus. J’étais gros et c’était ma faute.
Malgré ses tentatives de régime et ses pertes de poids, Martinus ne maigrit jamais des seins :
Pour moi, c’était un aveu d’échec. Tous les efforts que je déployais ne suffisaient pas à me renvoyer dans le miroir l’image que j’attendais. Mon corps ne ferait jamais la couverture de Men’s Health.
La grossophobie médicale
Peu à peu, il perd sa confiance en lui et fait le yo-yo avec son poids. Il est envahi par un sentiment de dévalorisation par rapport à ce que la société attend de lui, jusqu’à ce jour où il est victime de grossophobie médicale :
Ma vie a changé en 2012. J’attendais anxieusement le pronostic du docteur quant à un problème de hanche. Je pesais, à l’époque, près de 180 kilos. Celui-ci m’a dit en grommelant : « M. Evans, vous souffrez parce que vous êtes gros. Si vous ne commencez pas à marcher et à perdre du poids, vous allez mourir ». Sous le choc de cette réponse, gêné et en colère parce qu’il m’avait traité de gros, je lui ai répondu : « Non seulement je vais marcher, mais je vais courir le marathon ! ».
Le médecin éclate de rire et assène :
En vingt ans de carrière, je n’ai jamais rien entendu d’aussi bête.
C’est le déclic pour Martinus. De rage, il part immédiatement s’acheter une paire de chaussures de running. Il commence à s’entraîner et ouvre un blog appelé « 300 pounds and running » qui signifie « Courir avec mes 135 kilos » en français :
Quand j’ai démarré la course à pied, j’étais mal dans ma peau. Assailli par des pensées négatives, j’avais l’horrible impression que les gens me jugeaient en silence, regardaient de travers ce corps qui se traînait dans les rues. Le syndrome de l’imposteur s’emparait de moi et m’attristait dès que quelqu’un courait plus vite que moi sur le tapis de course voisin, ou quand je me disais que je bougeais comme un gros tas. J’avais l’impression de ne pas appartenir à ce club d’élite, même si je savais qu’il était accessible à tout le monde.
Faire du sport pour assumer ses « seins d’homme »
Après sa première course, il commence à prendre de l’assurance. Passé la ligne d’arrivée, il prend conscience de la puissance de son corps et se sent invincible. C’est le début d’une participation à beaucoup d’autres courses :
En un an, à la suite de mon rendez-vous chez ce médecin, j’ai perdu près de 45 kilos et participé à plus de 15 courses, dont un marathon à Detroit, ma ville natale. Je suis devenu l’image avant/après que tout le monde voulait voir.
Mais Martinus a toujours des « seins d’homme ». Il est très fier de son parcours mais rejette de toutes ses forces son image dans le miroir. En 2014, il est victime de deux accidents de voiture :
J’ai été obligé de me retirer de la course pendant quelques années et j’ai repris tous mes kilos, voire davantage. Quand j’ai pu courir à nouveau, on m’a vivement recommandé de refaire un régime. Cette fois, la pression de mes pairs m’a beaucoup plus dérangé. Il est vrai que, par le passé, la perte de poids avait été ma principale motivation mais elle ne l’était plus. La course à pied était devenue une passion.
En effet, lorsque son objectif se limitait uniquement à la perte de poids, il tombait automatiquement dans une spirale infernale. Il s’est donc uniquement concentré sur sa performance sportive et tout a changé :
Plus je courais et plus je me sentais fort, bien dans ma tête et dans mon corps. Chaque fois que je franchissais la ligne d’arrivée, je me sentais invincible.
« Ils me disaient tous de maigrir »
Étrangement, cette nouvelle façon de voir les choses n’est pas du goût de ses proches et même, de certains abonnés sur son blog qui ne le connaissaient pas avant ses deux accidents de la route :
Ils me disaient tous de maigrir. Je me suis rendu compte à ce moment-là qu’on cataloguait les corps hors normes : si un gros fait de l’exercice, c’est pour perdre du poids. S’il fait de l’exercice pour rester actif, il faut qu’il perde du poids car il ne correspond pas aux normes sociales.
Malgré l’explosion du mouvement body positif mené majoritairement par des femmes, en tant qu’homme, Martinus ne trouve aucune réponse à ses préoccupations :
Je me demande ce qui se passerait si les hommes se mettaient à parler ouvertement de leurs complexes sans craindre de violer les règles tacites de la masculinité. Accepterions-nous mieux nos imperfections et donc le fait qu’il existe plusieurs façons d’être en bonne santé ?
Puisqu’il ne trouve pas les réponses à ses questions, il décide de mouiller carrément la chemise :
J’ai enlevé ma chemise, attrapé mon téléphone et fait un selfie. Sans y réfléchir à deux fois, j’ai posté la photo sur Instagram. J’avais tout simplement envie de rendre hommage à mon corps.
La plupart des commentaires sont positifs mais pour Martinus, se montrer torse nu est déjà un véritable exploit :
À la suite de cette publication, beaucoup d’hommes m’ont contacté pour partager leurs histoires et exprimer leur sentiment d’inadéquation. Ils m’ont dit aussi qu’ils n’auraient pas eu le courage de faire ce que j’ai fait.
Montrer la vulnérabilité de l’homme
Très vite, Martinus Evans ressent le besoin de montrer la vulnérabilité de l’homme d’un point de vue masculin et plus précisément, des seins d’homme dans toute leur splendeur. métaphoriquement, il a franchi une deuxième ligne d’arrivée :
Pour certains, ce n’est peut-être pas suffisant. Pour d’autres, c’est peut-être trop. En tout cas, pour un homme qui a passé sa vie à se cacher, j’ai pris un risque nécessaire en m’exposant, nu, dépouillé de tous ces stéréotypes toxiques sur la masculinité.
Lorsqu’il a partagé ses photos de seins d’homme sur Instagram, certains lui ont reproché de faire l’apologie de l’obésité. D’autres lui ont dit que son corps était repoussant. Avec sa nouvelle confiance en lui, Martinus ne s’est pas laissé démonter par ces commentaires négatifs :
Regardons les choses en face : les hommes ne sont pas confrontés aux mêmes attentes irréalistes que les femmes, mais il reste difficile de s’extraire de l’injonction d’avoir un corps parfait. Quel est le dernier film de superhéros que vous avez vu avec un homme XXL dans le rôle principal ? Les magazines masculins continuent de mettre en avant l’hypermasculinité à travers des corps fermes, les tablettes de chocolat et le sexe. Ces images de la masculinité, associées aux valeurs traditionnelles de stoïcisme et d’autonomie, provoquent une augmentation des troubles de l’alimentation et de la dysmorphie corporelle chez les jeunes.
Assumer ses « seins d’homme » grâce à la photographie
Pour Martinus, le plus important est de permettre aux hommes d’aimer leur corps et d’exprimer leur potentiel :
Oui, ce corps de 160 kilos peut courir des marathons, finir un parcours du combattant, et plein d’autres choses encore. Cependant, je ne suis pas sûr qu’il existe des espaces neutres où les hommes peuvent s’accepter tels qui ils sont, loin des diktats de la masculinité, sans crainte d’exprimer leur vulnérabilité sous peine de répercussions négatives. Alors, comment créer de tels espaces ?
Pour Martinus, il faut d’abord accepter le fait que l’on mérite d’être aimé. On a besoin que quelqu’un nous le dise et Martinus souhaite être cette personne. Il faut ensuite se concentrer sur les capacités du corps plutôt que son aspect et plus généralement :
N’oubliez pas que les corps que nous montrent les médias ne sont pas ceux de Monsieur Tout le Monde. Les médias érigent des normes corporelles irréalistes, donnent une image inexacte du physique moyen. Vous pouvez tout à fait remettre en question ce que voyez à l’écran. Il faut se faire confiance, croire en ses efforts et ne pas se préoccuper de l’opinion d’autrui.
Il conclut en rappelant que nous avons tous le droit ne vous sentir vulnérable :
Cela ne remet absolument pas en cause notre masculinité. Partager ses expériences, qu’elles soient positives ou négatives, est un premier pas vers la guérison et le développement personnel. Ce n’est pas à la portée de tous de montrer sa vulnérabilité. C’est pourtant le pendant de la force.
Il n’y a rien de mal à vouloir partager publiquement ses régimes ou ses photos avant-après. Si cela peut aider quelqu’un à se lever de son canapé, c’est déjà quelque chose. Mais si vous ne parlez que de cela, si votre contenu n’est pas assez hétérogène, vous contribuez au problème.
Nous pouvons faire mieux.
Créons des espaces qui célèbrent les hommes pour ce qu’ils sont, avec ou sans seins.
Un magnifique message que nous validons à 100 %. Nous attendons tous nos lecteurs masculins sur nos forums et plus particulièrement dans la rubrique « Confiance en soi, s’accepter » afin de récolter leurs avis.