Nous sommes, dans la vie courante, tout à fait capables d’empathie, sensibles à ce que vivent les autres. Cependant, une situation bien particulière peut nous faire perdre cette bienveillance. Bien que nous ayons parfois du mal à nous l’avouer, la réussite des autres entraîne en effet parfois en nous des sentiments contradictoires.
Lorsque nous sommes face à la réussite d’ami·e·s, de connaissances ou même de célébrités, nous nous voyons alors devenir indifférent·e·s, secrètement jaloux·ses, critiques, parfois cruel·le·s. L’un de vos proches vous annonce que son roman va être publié, qu’il a obtenu une promotion extraordinaire, qu’il part vivre à l’étranger… et des émotions vous submergent. Que se passe-t-il ? Pourquoi cette réussite, qui ne nous enlève rien, vient-elle provoquer en nous de tels sentiments ambivalents ? Olivia Quetier, psychologue clinicienne, psychothérapeute et psychanalyste du comité psychologue.net, nous éclaire sur la question.
L’envie
Il s’agit d’une émotion qui s’avère très archaïque. Un sentiment de désir mêlé d’irritation, qui peut même, dans certains cas extrêmes, déclencher de la haine envers les personnes enviées. L’envie porte une forte charge émotionnelle, car elle est associée au plaisir. Prenons deux enfants se disputant un jouet à la crèche. « Il est à moi. », « Non, à moi ! » et nous retrouvons ce même mécanisme où l’on devient capable de détruire l’autre et de casser ce jouet qui ne servira plus à personne. L’envie revient à vouloir posséder quelque chose que nous n’avons pas et que l’autre possède.
À l’âge adulte, sorti des rivalités fraternelles, on envie les ami·e·s, les amours, la vie professionnelle, la personnalité, les passions, l’argent de l’autre. « Je devrais être là à cette place ». Cela nous est tou·te·s déjà arrivé·e en découvrant que son ex a un·e nouveau·elle partenaire, lorsque nos ami·e·s trouvent du travail rapidement après la fin de leurs études, lorsqu’il·elle·s se marient et/ou ont des enfants, quand un·e proche évolue très vite professionnellement.
« Je le mérite », « C’est la mienne », « Ce n’est pas juste », « J’aimerais tant… » sont autant de cris du cœur que l’on ne s’avoue pas vraiment et qui ouvrent le chemin au déploiement de l’indifférence, voire de l’agressivité. Même si nous sommes conscient·e·s que ce n’est pas un concours ou une compétition, nous pouvons très facilement développer ces sentiments d’amertume et d’irritabilité face à la réussite des autres. Cela est tout à fait normal et fréquent et ne fait en aucun cas de nous de mauvaises personnes.
Le sentiment d’échec
Qu’est-ce que réussir sa vie ? Nous pouvons répondre à cette question avec des stéréotypes qui vont toucher à la réussite professionnelle, familiale ou encore à des questions plus existentielles autour de la notion de bonheur ou d’équilibre. Quoi qu’il en soit, nous nous développons avec un idéal autour de ce qu’est notre réussite et lorsque nous avançons dans notre formation, notre métier, notre vie amoureuse, nous pouvons nous confronter à l’écart entre cette vie rêvée et ce qu’est notre vie réelle.
Être trop loin de cet idéal nous renvoie à un sentiment d’échec. Nous vivons dans une société méritocratique, ce qui signifie que chacun·e est responsable de son propre succès ou échec. Si vous travaillez dur et bien, vous le méritez, mais si vous travaillez aussi dur et que vous faites mal, c’est aussi votre responsabilité. Pourquoi y sont-il·elle·s arrivé·e·s et moi pas ? La réussite des autres vient ainsi mettre en lumière ce qu’aurait pu, ce qu’aurait dû être notre vie.
Frustration, tristesse, perte de confiance en soi nous assaillent inconsciemment et, pour lutter contre ces sentiments, notre capacité à nous réjouir pour autrui disparaît. On peut même chercher à nuire à la personne et laisser advenir haine et violence dans les cas les plus extrêmes. Nous nous identifions à l’autre, nous méritons sa place, la seule arme qui nous reste alors est une agressivité souvent passive face aux gens qui réussissent.
Chasser la négativité vis-à-vis des autres, mais comment ?
La réussite des autres vient nous remettre en question quant au bilan qu’on peut faire de sa propre vie. Elle peut venir malmener une estime de soi parfois déjà fragile. La plupart d’entre nous pensent que pour réussir, nous devons être « numéro un·e », mais ce n’est pas forcément la clé du bien-être.
Pour remédier à ces sentiments, il est bon de :
- Regarder nos propres réussites et le chemin parcouru : soyons fier·ère·s et bons avec nous-même,
- Aller vers son propre désir sans se soucier de l’évolution d’autrui : quels sont nos désirs dans la vie ?
- Ne pas se décourager devant le parcours des autres ou la grandeur de nos rêves
- Persister à avancer vers nos projets de vie
La bienveillance, la compassion envers les autres et un esprit de collaboration aident son entourage, mais améliorent également notre propre santé physique et mentale.
Bibliographie
Elena Pulcini, L’envie, Essai sur une passion triste, Ed.Le bord de l’eau
Francesco Alberoni, Les envieux, Pocket