Peut-on à la fois être la victime et le bourreau ? Il semble que oui. C’est ce que nous explique Lamis Hanafi à travers un témoignage extrêmement touchant sur la grossophobie paru chez nos confrères canadiens du Huffington Post. En lisant ce témoignage, il se peut que certains d’entre vous se reconnaissent, et c’est tant mieux.
« J’avais tendance à manger mes émotions »
C’est au collège que les intimidations dues à son poids commencent à pleuvoir sur Lamis Hanafi, jeune femme originaire d’Égypte. À l’adolescence, elle commence effectivement à développer des problèmes de poids :
Je n’avais pas une relation très saine avec la nourriture : j’avais tendance à manger mes émotions. Je gardais tout au fond de moi et, au lieu de vider mon cœur ou de faire du sport pour dépenser l’énergie négative, je préférais manger des sucreries pour combler ce vide qui m’envahissait petit à petit. Mais très vite, j’ai pu me débarrasser de ce surpoids à l’aide d’un nutritionniste.
Jeune adulte, Lamis Hanafi quitte l’Égypte et part pour le Canada où elle fait des études en psychoéducation et en psychologie à l’Université de Montréal :
Bien que j’avais un poids santé à ce moment-là, le problème de poids est vite réapparu malgré mes tentatives de régimes et de changement de mes habitudes de vie. Tout cela était trop difficile pour moi, j’étais maintenant très loin de mon objectif. Le principal obstacle à la stabilisation de mon poids, c’est la haine et le dégoût que je ressentais vis-à-vis de mon corps. Je ne m’aimais plus.
Grossophobie : « pourvu que je ne ressemble jamais à cette fille ou ce gars »
En effet, la jeune femme sent que le regard des autres sur elle change peu à peu. Ils semblent avoir pitié d’elle, se demandant comment elle avait pu se laisser aller à ce point. Elle se sent aussi complètement oppressée par les publicités télé et les magazines qui ne mettent en avant que des filles minces et ont tendance à se moquer des rondes :
J’ai donc appris à me construire une carapace et j’ai commencé à jouer le rôle de la « gentille fille drôle » qui a totalement confiance en elle pour avoir un genre de mécanisme de défense.
C’est à ce moment précis qu’elle comprend qu’elle alimente elle-même le fameux phénomène de grossophobie qui gangrène notre société :
Mais là vous allez me dire: « Mais attends, elle est grosse puis elle est grossophobe, ça ne marche pas ! ». Eh bien, figurez-vous que si… Moi-même, je commençais à éviter les personnes qui avaient un problème de surpoids. Dans ma tête, chaque fois que je voyais une personne plus ronde que moi, je me disais « pourvu que je ne ressemble jamais à cette fille ou ce gars ».
Voilà comment je suis devenue grossophobe
Petit à petit, elle en vient même à construire des préjugés sur les personnes rondes : pourquoi on nous imposerait ce genre de vue à la plage ? Une femme ronde en maillot, ce n’est pas esthétique. Y a-t-il vraiment quelqu’un qui trouve cela sexy ? Noyée sous les préjugés, elle a pourtant un jour le déclic qui lui changera la vie :
À force de réflexions, j’ai compris que l’intimidation dont j’avais été victime plus jeune m’avait particulièrement marquée et qu’elle était l’une des raisons qui m’avaient poussée à devenir grossophobe : pour me « punir » moi-même inconsciemment, en quelques sortes.
En effet, Lamis Hanafi n’acceptait pas sur surpoids. Cela l’amenait à considérer durement l’apparence des autres. En quelque sorte, elle jugeait les personnes rondes en fonction de tout ce qu’elle n’aimait pas chez elle :
La projection de mes problèmes sur les autres était devenue une sorte de mécanisme de défense, de mise à distance avec mon problème. En d’autres termes, je considérais ces personnes comme un miroir. Je critiquais en elles ce que je n’aimais pas de moi-même.
Ce cas-là n’est pas si rare. Il est même fréquent que nous ne tolérions pas chez les autres ce que nous n’arrivons pas à accepter chez nous-mêmes :
C’est pour cela qu’il est nécessaire d’écouter son monologue intérieur — avec détachement —, parce qu’il nous aide à cibler et à estimer le travail que l’on doit faire sur soi-même.
Arrêter la grossophobie pour se sentir mieux dans sa tête
Dans le cas de cette jeune femme, c’est le temps et la maturité qui ont tout changé. Lamis Hanafi a peu à peu appris à s’aimer telle qu’elle est, à faire du sport pour elle-même et à changer ses habitudes de vie. De fait, elle a arrêté de dénigrer les autres personnes qui vivent ce même problème avec le surpoids et/ou l’obésité :
Il est vrai de dire que j’ai fait un long travail sur moi-même, par le biais d’une importante réflexion. À force d’entendre et de voir partout dans notre société des commentaires négatifs sur les personnes en surpoids, je me suis dit que je ne devrais pas participer à cette grossophobie.
Elle est aussi très influencée par le mannequin grande taille Ashley Graham. Pour la première fois, elle se rend ainsi compte qu’une femme ronde peut être admirée de tous. Ashley Graham ne représente pas les normes de la société, mais fait chaque jour évoluer la perception que le monde a de la beauté :
Être désormais capable de regarder une personne ronde en bikini et de me dire que tant qu’elle est à l’aise avec son corps, pourquoi ne pas la laisser vivre en paix… Être capable de voir une femme très ronde dans le métro et regarder ses vêtements ou son sac à main comme je le ferais avec une femme mince et ne pas m’apitoyer sur son apparence… Toutes ces choses, j’ai été capable de les faire quand j’ai finalement réussi à être en paix avec mon corps.
Si Lamis Hanafi n’a pas encore atteint son poids santé à l’heure actuelle, elle est en mesure de dire qu’elle n’est plus grossophobe. De fait, elle se sent beaucoup mieux psychologiquement, et on la comprend !
« Ne jugez pas les gens à cause de leur poids comme je l’ai longtemps fait »
Pour conclure son très beau témoignage sur le Huffington Post canadien, elle a tenu a délivrer un message bien particulier :
Ne jugez pas les gens à cause de leur poids comme je l’ai longtemps fait. La santé n’est pas une question de poids. C’est une question de bien-être, d’habitudes de vie, d’ajout du sport dans sa routine… Évitez les commentaires et les jugements sur le poids, c’est délicat et ça ne regarde que la personne concernée.
Ayant aussi vécu plusieurs années en France, elle raconte que nous utilisons beaucoup le mot « gros » ou « grosse » pour rabaisser la personne. À tel point que c’est devenu une insulte alors que ça n’est qu’un adjectif à la base ! À contrario au Québec, la tolérance et le respect semblent être de mise :
Ce que j’aime ici au Québec, c’est que les gens utilisent moins le terme « grosse » et disent plutôt « forte » ou « ronde » pour décrire une personne en surpoids. Ces termes me paraissent bienveillants et, par conséquent, plus faciles à entendre ou à accepter. Par pitié, suivez cet exemple si vous ne l’avez pas déjà fait, car le mot « grosse » peut paraître péjoratif pour plusieurs.
Elle va même plus loin et invective carrément les lecteurs :
Si vous avez déjà été grossophobe, je vous invite à arrêter de l’être. Commencez par vous occuper de votre santé et laissez les autres en paix. « Gros » n’est pas synonyme de « maladie ». Il y a plein de personnes rondes qui sont mieux dans leur peau que des personnes minces, car elles font du sport, elles ont une grande flexibilité, elles mangent mieux ou elles n’ont pas de problèmes de santé.
« Sachez que votre poids ne vous définit pas, vous êtes bien plus que ça »
Vous êtes très nombreuses à avoir ouvert le débat. Doit-on ou pas utiliser le mot « grosse » ? À cela, la jeune femme a une réponse limpide :
Ce mot ne devrait même pas être blessant de nos jours, car, si on y pense bien, c’est un adjectif comme un autre pour décrire une personne. Bien souvent, c’est l’intention qui l’accompagne, l’intention de blesser ou de rabaisser l’autre qui pose problème.
En tant qu’ancienne victime, Lamis Hanafi invite tous les élèves subissant la grossophobie à la dénoncer auprès d’un adulte qui saura les écouter et régler le problème. Elle en profite aussi pour rappeler une chose essentielle :
Sachez que votre poids ne vous définit pas. Vous êtes beaucoup plus que ça. Ne gardez pas toutes ces émotions dans votre cœur, comme je l’ai longtemps fait. Faites du sport ou quelque chose que vous aimez pour ventiler et vous débarrasser de toute cette énergie négative.
Sa dernière pensée va aux élèves qui pratiquent la grossophobie dans le but de blesser leurs camarades :
Quant aux élèves qui ont une attitude discriminatoire envers les élèves en surpoids : essayez de vous mettre à leur place rien qu’une seconde — nous avons tous des complexes — et vous comprendrez sans doute les difficultés et le mal-être que peuvent vivre ces jeunes (et moins jeunes). Au lieu de dépenser votre énergie pour intimider, utilisez-la pour les aider, pour dénoncer toute forme d’intimidation et, pourquoi pas, pour apprendre à mieux les connaître ! Ne jugez pas trop vite : chaque personne a une sensibilité et dissimule un long vécu derrière son surpoids.
Une réaction à ce témoignage ? Des choses à dire à propos de la grossophobie ? On vous attend sur nos forums et plus particulièrement dans la rubrique dédiée. Rejoignez-nous !