À en croire les polémiques, donner le sein à son enfant en dehors du cadre familial est une aberration totale. Mais quand bébé a faim, le lait maternel n’attend pas. L’allaitement dans l’espace public sonne alors comme une évidence pour les mamans. Pourtant, même dans la plus grande discrétion, elles s’attirent les foudres d’inconnu.e.s scandalisé.e.s. Ce regard hostile a de quoi rester en travers de la gorge. Une étude révèle d’ailleurs l’impact de cette peur injuste et oppressante du jugement.
L’allaitement dans l’espace public, sans cesse pointé du doigt
En janvier dernier, par temps glacial, une maman albigeoise s’est vue refuser l’accès à une salle de restaurant au motif que l’allaitement n’y était pas bien vu. Même son de cloche à Disney ou une maman a été priée de se cacher, pour nourrir ses enfants par le sein. Ces polémiques, imbibées d’une pudeur injustifiée, sont récurrentes.
La célèbre réplique de Molière « cachez ce sein que je ne saurais voir » a la peau dure. Et de plus en plus de mères renoncent à l’allaitement public pour se préserver des regards pervers ou des remarques acerbes. Une étude révèle d’ailleurs que 17 % d’entre elles ont déjà reçu des critiques. L’allaitement, dépeint de façon mystique dans les œuvres de la Renaissance, a toujours alimenté la curiosité collective.
Aujourd’hui, il s’affirme sur la toile au gré des posts de l’actrice Marion Cotillard ou encore de la chanteuse Pink. Et ce ne sont pas les seules à prendre le parti de l’allaitement. En France, 88 % des mamans ont choisi d’allaiter, principalement pour offrir à leur bébé une meilleure santé. Le lait maternel, fabriqué sur mesure grâce à la magie de l’anatomie, ne fait pas le poids contre les poudres du commerce.
Sortir son sein pour le bien de son enfant, choquant ?
Avec sa teneur en protéines, en glucides, en matières grasses, en vitamines et en minéraux, il assure le bon développement de l’enfant. L’OMS préconise même un allaitement maternel exclusif jusqu’à six mois et partiel jusqu’à deux ans. Cependant, cette prouesse du corps humain n’est pas adulée de tou.te.s. Pire encore, 69 % des mères qui allaitent ne se sentent pas soutenues par la société.
Pour cause, lorsqu’elles dégainent leur sein pour répondre à la faim de leur nourrisson dans l’espace public, c’est le drame assuré. Elles se font régulièrement réprimander, comme s’il s’agissait d’un acte criminel. Ce droit est trop souvent entravé. L’espace public est devenu un lieu d’insécurité pour les mères qui allaitent.
En mai 2021, une maman bordelaise en a subi les frais. Alors qu’elle allaitait son nouveau-né dans la file d’attente d’un point relais, elle se prend une gifle, gratuite, de la part d’une femme « indignée ». Ce témoignage publié sur le compte Instagram de Doctissimo, largement soutenu, est un cas extrême, mais il est loin d’être isolé. Si 68 % des mamans pensent qu’il est naturel d’allaiter en public, 15 % trouvent que la situation est embarrassante.
Allaiter dans l’espace public : un droit pas assez valorisé
Les phrases « pas devant les enfants », « vous n’avez pas honte » ou « vous risquez de heurter la sensibilité des jeunes » bercent l’allaitement dans l’espace public. Des interventions non sollicitées qui pourraient bientôt être punies. La députée du Val-d’Oise, Fiona Lazaar (ex-LREM), a déposé le 15 juin 2021 à l’Assemblée nationale une proposition de loi pour créer un délit d’entrave à l’allaitement passible de 1500 € d’amende.
Pour que les mères disposent enfin librement de leur corps, elles donnent naissance à un second bébé que l’on pourrait nommer militantisme anti-tabou. Il prend la forme de hashtag à l’image du #NormalizeBreastfeeding qui visait à une prise de conscience générale. Mais malgré ces mises en avant valorisantes, 92 % des mères jugent que l’allaitement n’est pas présenté de manière assez réaliste dans la publicité. La campagne « The Uncover » entend bien y remédier.
« The Uncover », une campagne rusée pour normaliser l’allaitement dans l’espace public
Il est temps de couper le cordon avec les tabous. C’est en tout cas ce que clame la campagne « The Uncover », qui résulte d’un brillant mariage entre l’association CoFam (Coordination Française pour l’Allaitement Maternel), la marque de vêtements spécialisée dans l’allaitement FRIDA Etc, le média parental Magicmaman et le collectif les Allaitantes des bancs publics. Main dans la main, iels ont concocté une campagne symbolique, gorgée de créativité, sortie le 8 septembre dernier.
Le concept ? Reprendre les codes de la presse papier pour dédiaboliser l’allaitement dans l’espace public. Une sur-couverture représentant une mère en plein allaitement, sert de trompe-l’oeil. Une fois dépliée, la personne qui tient ce papier malin entre les mains donne l’illusion d’elle aussi allaiter. Ce support, à l’allure d’un magazine, a un pouvoir de résonance particulièrement puissant.
Une création à grande portée pour en finir avec les injonctions
Déployé au détour d’un parc, d’un café ou d’un passage dans le métro, il ne passe pas inaperçu. Et c’est justement le but. C’est une manière « détournée » d’ancrer davantage l’allaitement dans l’espace public comme un geste banal. Finalement, c’est aussi commun que feuilleter un journal ? À l’heure qu’il est, ces couvertures se passent à la manière de relais positifs dans les grandes villes françaises, dont Paris, Rouen, Strasbourg, Reims, Aix-en-Provence, Lyon et Marseille. Le hashtag du même nom #TheUncover, recense déjà une centaine de publications, preuve d’une viralité naissante.
Et pour ne pas laisser les lecteur.rice.s sur leur faim, à l’intérieur, on s’enrichit d’informations autour de l’allaitement, mais aussi de témoignages de parents et de professionnels de santé. Cerise sur le gâteau : un QR code donne accès à des vidéos explicatives de la plus haute importance.
Ingénieuse, édifiante, bienveillante et surtout nécessaire, la campagne « The Uncover » réécrit l’histoire de l’allaitement public avec un grand H. Les détracteur.e.s, enragé.e.s au moindre bout de sein qui dépasse sont rhabillé.e.s pour l’hiver.
L’allaitement ne date pas d’hier, mais il est toujours sexualisé. Certaines femmes ont d’ailleurs révolutionné son image au fil des siècles. La reine Elizabeth II a par exemple brûlé les règles royales pour allaiter sa tribu, un rôle d’ordinaire déporté sur la nourrice. Mais la route pour changer les mentalités est tortueuse.