L’arrivée d’un.e enfant bouscule tout le quotidien. Le rythme s’accélère, les priorités changent, les activités se métamorphosent… dans ce grand tourbillon parental, les amitiés, même les plus tenaces, finissent généralement balayées. Le bébé, très énergivore, dicte chaque faits et gestes. Ce cadeau précieux de la vie remodèle l’emploi du temps du couple, alors mué en parents responsables. Les liens amicaux se fissurent, une barrière du langage s’installe et les groupes Whatsapp prennent la poussière. Mais ce changement de cap marque-t-il forcément un point final sans retour à la ligne ? Les amitiés sont-elles toujours incompatibles avec la parentalité ? Avec un peu de travail, elles ont des chances de résister. Voici comment.
Parentalité et amitiés, une équation impossible ?
Lâcher sa chrysalide d’adultes insouciant.e.s pour sauter dans le rôle du parent est une sacrée transformation. L’enfant devient l’oxygène du couple. Les nouveaux parents se synchronisent sur ses besoins et ses exigences, qu’importe les sacrifices que cela implique. Ils sont happés par les gazouillis, les jouets qui couinent et les couches-culottes. Ils ne vivent plus pour eux, mais pour ce petit être inestimable.
Pendant les premiers mois, les parents ont d’ailleurs tendance à s’enfermer dans leur bulle pour trouver des repères à cette famille en devenir. Les amitiés passent donc à la trappe, par « dépit ». La naissance d’un.e enfant incite à revoir chaque centimètre de sa routine.
Les virées shopping entre ami.e.s cèdent doucement leur place aux balades en poussette et les séances de rééducation du périnée remplacent les apéros du soir. Les parents n’ont plus les mêmes centres d’intérêt. Inévitablement, une crevasse se creuse avec les ami.e.s sans enfants, alors déconnecté.e.s de la réalité parentale. C’est comme si la transmission était totalement brouillée. Et ce n’est pas seulement une impression.
Des liens sociaux en suspens
Selon une étude portée par Anne Cronin, sociologue à l’université de Lancaster, la parentalité émiette les liens amicaux, qu’ils soient robustes ou superficiels. Les femmes interrogées au gré de cette enquête ont toutes « décrit la manière dont l’arrivée des enfants, qu’il s’agisse des leurs ou de celleux de leurs ami.e.s, était le facteur le plus important dans la modification de leurs habitudes et pratiques amicales« . Selon un sondage de l’ONG Action for Children, 68 % des nouveaux parents ont même déclaré se sentir « coupés » de leurs ami.e.s proches et de leurs liens sociaux après l’arrivée de leur bébé.
Les amitiés se brisent en mille morceaux sur fond d’incompréhension, de rancœur, de lassitude et de divergences. Les sans-enfants fustigent l’indisponibilité des jeunes parents tandis que les parents, eux, attendent du soutien et de l’empathie de la part de leurs ami.e.s. Résultat : deux mondes se croisent sans jamais se superposer. Finalement, la parentalité est un excellent « crash-test » pour déceler les amitiés en béton armé et celles en toc. La parentalité peut être un catalyseur de liens, ou au contraire, un dissolvant.
6 conseils pour concilier amitiés et parentalité
Les anciennes amitiés, celles qui se sont forgées à coup de « croix de bois, croix de fer » et de promesses éternelles, sont capables de traverser la parentalité sans prendre un pli. Même si les nouveaux parents tendent à se fondre dans la grande meute des parents, les vieilles amitiés peuvent ressortir intactes de la parentalité. Pour chérir cette famille du coeur malgré les contraintes de la vie parentale, voici 6 conseils précieux.
Garder des sujets de conversation variés
En général, les jeunes parents n’ont de salive que pour leur enfant. Tous les exploits y passent et pas seulement les premiers pas. À chaque conversation, ils font un compte rendu intégral de la vie de leur petit bout en allant jusqu’aux détails. Même les anecdotes les plus accessoires sont étalées en public. Les parents racontent comment l’enfant s’assoit sur le pot ou la manière dont iel mange sa purée de carotte avec un enthousiasme rafraîchissant.
Mais en face, ils ne récolteront que quelques sourires timides ou des hochements de tête courtois. Cependant, il ne faut pas s’attendre à des applaudissements ou des acclamations. Évidemment, les temps forts de l’enfance comme les premiers mots ou la première dent tombée valent le récap. Toutefois, les sujets ne doivent pas graviter continuellement autour du bébé. Les ami.e.s pourraient s’en lasser.
En parallèle, la parentalité force à une certaine maturité, or les amitiés sont souvent nourries au second degré et à la dérision. Les rendez-vous entre ami.e.s font aussi sas de décompression. Même si une petite voix intérieure est constamment braquée sur bébé, le laisser-aller est aussi légitime. Inutile donc d’appeler la nounou toutes les deux secondes ou de rester agrippé au babyphone. Les parenthèses entre ami.e.s sont supposées créer une coupure avec le cocon familial.
S’autoriser des sorties sans enfant
Après un long moment de léthargie, les retrouvailles amicales nécessitent calme et confidentialité. Si bébé est là, l’ami.e n’aura pas la pleine attention du parent, alors rivé sur les moindres rictus de son enfant. Les discussions risquent d’être interrompues par les cris stridents du nourrisson, les changements de couches intempestifs et les sessions biberon avec option « rototo ».
Le parent sera présent physiquement, mais mentalement « indisponible ». Et échanger devant les fesses fripées et malodorantes de bébé a de quoi couper l’envie aussi sec. Lorsque les enfants sont en bas âge, ce n’est guère mieux. Ces petites piles électriques courent partout et menacent les parents à coup de « je m’ennuie ».
En plus, certain.e.s ami.e.s peuvent être « allergiques » aux enfants et éprouver un malaise en leur présence, ce qui effrite un peu plus le dialogue. Certes, faire une sortie sans enfants induit de traîner les casseroles de la culpabilité. Mais c’est aussi la garantie d’un instant posé et sans aléas extérieurs.
Les amitiés carburent à l’estime mutuelle et à l’écoute interposée. Si l’un.e des deux ami.e.s n’est pas réceptif.ve.s aux aveux de l’autre, les frustrations jaillissent et les liens se détraquent. En faisant appel à une babysitter ou au cœur charitable des grand-parents, les amitiés pourront se ressouder au-delà de la parentalité.
S’affirmer face aux jugements
Lorsque les amitiés se heurtent à la parentalité, les reproches font le terreau fertile des discordes. Les ami.e.s sans enfant se sentent à l’écart, voire concurrencé.e.s par le bébé. Iels accusent les jeunes parents de « vivre, manger et boire bébé » et de laisser les amitiés prendre la tasse. Cette crise de jalousie déguisée marque souvent un point de rupture. Chaque nouveau dialogue prend l’allure d’un bureau des plaintes.
Les ami.e.s revêtent leur robe de juge et refont poliment le portrait des nouveaux parents. L’empathie, elle, est six pieds sous terre. Dans ce climat tendu, les parents préfèrent généralement s’économiser et taire ces ripostes qui démangent plutôt que de s’embarquer dans débats éreintants.
Pourtant, en restant mutique, les parents ferment toutes opportunités d’échange « constructif ». À l’inverse, en mettant les problèmes sur la table ils limitent les attitudes passives agressives médiocres et ouvrent la relation sur une communication plus profonde. Les parents ne doivent surtout pas faire de mea-culpa ni s’agenouiller. Ils peuvent simplement expliquer à quel point ce nouveau quotidien est prenant et que la seule chose qu’ils aimeraient c’est faire une énorme grasse matinée. Les amitiés peuvent survivre à la parentalité seulement si les efforts vont dans les deux sens.
Privilégier la qualité à la quantité
Être parent est un travail à plein temps. Alors, forcément, les créneaux réservés rien que pour soi sont rares sur le planning. Selon un sondage relayé par le New York Post, les parents ont en moyenne 32 minutes à eux chaque jour. Cette demi-heure de répit ne suffit pas pour un brunch entre ami.e.s ou une sortie au musée. Les parents ont à peine posé leur corps sur le canapé qu’ils doivent déjà se remettre au garde-à-vous.
Pour éviter que les entrevues entre ami.e.s ne se fassent en courant d’air, mieux vaut miser sur la qualité que sur la quantité. En voyant les ami.e.s régulièrement par lot de vingt minutes, les conversations baignent dans les formalités et les parents semblent « ailleurs ». À contrario, en prévoyant un week-end entièrement dédié aux amitiés une fois tous les trois mois, les relations sonnent plus intimes et complices. L’occasion de poser sa casquette parentale pour se consacrer entièrement aux amitiés, sans nuisance autour ni pression du chronomètre. Les amitiés ressortent endurcies et la parentalité adoucie.
Planifier ses sorties d’avance
Les jeunes parents ont un emploi du temps de ministre. L’agenda est plein à craquer. Même les Elon Musk et Mark Zuckerberg n’ont pas autant d’impératifs. Pas étonnant que les parents perdent 6 ans de sommeil après la naissance d’un.e enfant. Évidemment, les sorties improvisées se soldent quasi toujours sur une réponse négative, faute de disponibilités. Il est préférable de prendre rendez-vous avec le parent au moins trois semaines à l’avance pour espérer obtenir un « oui ». Après la naissance d’un.e enfant, les entrevues amicales s’anticipent.
Les parents doivent avoir un champ de tir assez large pour se projeter. Entre les aller-retour à la crèche, les visites chez le.a pédiatre, les tâches quotidiennes et les exigences professionnelles, les parents sont sous l’eau. Ils vivent au rythme des tableaux Excel, des « to do list » et des Trello. Alors, plutôt que de repousser l’échéance, les parents peuvent prendre les devants et suggérer une date qui les arrange à leurs ami.e.s. Amitié et parentalité font bon ménage lorsque l’organisation s’en mêle.
Entretenir les amitiés avec le digital
Ce n’est pas parce que les rencontres physiques se raréfient que les amitiés doivent périr. Aujourd’hui, plus besoin de cartes postales ou de pigeons voyageurs pour communiquer, les nouvelles technologies assurent la connexion en permanence.
À moins de vivre dans une caverne ou une zone blanche, les échanges peuvent se faire par téléphone. Un SMS suffit à revigorer des amitiés, longtemps désertées. Inutile d’écrire des pavés Baudelairien à n’en plus finir ou de passer des heures en FaceTime, un simple message est capable de le relancer la machine amicale la plus rouillée.
À l’orée de la parentalité, les amitiés font le yoyo. Certaines s’adaptent et d’autres s’évaporent. Ce rôle de parent ouvre aussi une grande fenêtre sur de nouvelles amitiés, tout aussi salvatrices. École, crèche, groupes d’éveil deviennent des entremetteurs de liens sociaux. Et en cas de chagrin amical, il existe plusieurs façons de rebondir.