« Quand on est enceinte, on n’existe plus ». Ce sont les mots récemment lancés par la volleyeuse française Kim Nowak d’Halluin dans une tribune pour Libération. Ces dernières années l’actualité ne cesse de révéler les nombreux obstacles auxquels sont confrontées les sportives de haut niveau dans leur maternité.
Ces sportives de haut niveau qui veulent normaliser leur grossesse
Il y a deux ans, une enquête menée par un groupe de travail associé au ministère des Sports affirmait qu’une majorité (61,6 %) des centaines de sportives estiment difficile de devenir mère pendant leur carrière.
En réaction, au cours d’une matinée de débats portant sur le sport féminin, la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castera, a déclaré que le ministère allait se pencher sur la question.
Sara Bjork Gunnarsdottir, la footballeuse contre l’OL
En janvier 2022, le scandale éclate : l’ancienne joueuse de l’olympique Lyonnais, Sara Björk Gunnarsdottir révèle que le club ne l’avait pas payé totalement durant sa grossesse. En effet, entre avril et novembre 2021, l’OL a drastiquement réduit son salaire. Décidée à obtenir justice, elle affirme dans une tribune publiée par la plateforme The Players’ Tribune :
« Cela fait partie de mes droits et cela ne peut pas m’être contesté, même par un club aussi grand que Lyon. »
Finalement, en mai 2022, la chambre de résolution des litiges du tribunal de l’instance rend justice à la joueuse. Elle oblige le club à lui verser environ 82 000 euros.
« Ce succès devant la FIFA sonne comme une garantie de sécurité financière pour toutes les joueuses qui veulent avoir un.e enfant durant leur carrière », a commenté la désormais joueuse de la Juventus Turin
Chloé Bulleux, envers et contre tou.te.s
Dans la Tribune de Libération, la handballeuse Chloé Bulleux, vice-championne olympique à Rio en 2016 et ex-capitaine de l’équipe de France témoigne :
« Le club n’a jamais eu pour objectif que je reprenne. Pendant ma grossesse, ils ne m’ont pas calculé, j’ai trouvé moi-même un kiné, une sage-femme et je m’entraînais seule la majorité du temps, rarement avec le préparateur physique. »
Elle confirme que toutes les sportives de haut niveau réclament la même chose : un meilleur accompagnement de la maternité.
Clarisse Crémer, déchue par la Banque populaire et le Vendée Globe
C’est le cas français dans la bouche de tou.te.s ces dernières semaines. Clarisse Crémer est la navigatrice la plus rapide de l’histoire lors du Vendée Globe. Alors qu’elle est devenue mère en novembre 2022, elle s’est vue débarquée quatre mois plus tard par son sponsor, la Banque populaire. La jeune femme devait symboliquement récupérer la barre de l’ancien Apivia, Imoca à foils des mains de Charlie Dalin.
Hélas, ses plans ont été bousculés quand la Banque populaire a décidé de la laisser à quai. La raison de cette décision ? Le groupe a estimé que la sportive de haut niveau n’était plus en mesure de se qualifier pour la course à cause de sa maternité. Elle s’est alors exprimée sur les réseaux sociaux :
« Je suis sous le choc. J’ai appris vendredi dernier que Banque populaire avait finalement décidé de me remplacer. Par leur décision, et malgré ma volonté constante, je ne serai pas au départ du Vendée Globe 2024. »
Pour se défendre, Ronan Lucas, le directeur du Team Banque populaire, a assuré avec ferveur qu’iels avaient tout tenté pour essayer de sauver la navigatrice. Selon lui, la source du problème se trouve dans un changement de réglementation. Durant sa grossesse, Clarisse Crémer n’a pas pu participer aux premières courses qualificatives pour la prochaine édition. Alors, la Banque rejette la faute sur le Vendée Globe.
En vérité, la question n’est pas de savoir qui est responsable, mais plutôt de constater que la maternité n’est pas protégée dans le sport de haut niveau. Dans ce cas, c’est la sororité qui a réagi et soutenu la navigatrice. Camille Lecointre, double médaillée de bronze en voile olympique a vite réagi au micro de l’AFP.
« Aucune femme ne devrait subir ce genre de décision. À quand un système qui puisse permettre aux femmes de retrouver leur place (…) après une pause maternité. »
Aussi, la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra a expliqué avoir échangé avec le président du Vendée Globe Alain Leboeuf. Ce dernier a reconnu que le règlement de la course « devra impérativement évoluer pour permettre aux navigatrices de vivre sereinement leur maternité« . Clarisse Crémer devrait finalement pouvoir être au départ du tour du monde en 2024 avec un autre projet.
Maryse Erwanje Epe, un problème systémique depuis toujours
Les limites de la maternité dans le sport de haut niveau ne sont pas récentes. Nous nous rappelons du cas de Maryse Erwanje Epee. Cette ancienne détentrice du record de France de saut en hauteur explique que lorsqu’elle est enceinte en 1981, elle se retrouve sans contrat pendant un an et donc sans aucune subvention. Depuis lors, elle se bat pour faire évoluer ces règles discriminantes.
Elle a ainsi demandé la mise à disposition d’une gynécologue par la fédération ainsi que la création d’une crèche à l’INSEP (Institut National du Sport de l’Expertise et de la Performance en France). Grâce à cela, les mères athlètes peuvent maintenir leur entraînement et leur suivi médical sans la charge de la garde d’un enfant. Ces revendications étaient ses conditions pour son retour au sein de l’INSEP. Et cette prise de risque a fonctionné puisque l’INSEP possède désormais une crèche et a mis une gynécologue à la disposition des athlètes.
Allyson Felix vs Nike
Les enjeux autour de la maternité et du sport de haut niveau ne sont pas uniques à la France. Ils sévissent aussi outre Atlantique. En mai 2019, la sextuple championne olympique Allyson Felix avoue avoir rencontré ses difficultés avec son équipementier Nike lorsqu’elle est tombée enceinte. Elle témoigne par ces mots :
« Si nous avons des enfants, nous risquons des coupes de nos revenus de la part de nos sponsors durant la grossesse et par la suite. (…) Donc, ce qui s’était passé en athlétisme, c’était que les femmes qui tombaient enceintes étaient soit réduites à ne gagner aucun salaire et être exclues du sport, soit à cacher leur grossesse afin d’obtenir un nouveau contrat. »
La jeune femme explique alors que les contrats en athlétisme sont basés sur la performance. Les médailles rapportent un bonus et ne pas en obtenir vaut une réduction. Fatalement, pour les athlètes de haut niveau, la maternité devient un véritable obstacle. Allyson Felix justifie ainsi le fait que de nombreuses femmes se sont vues forcées à quitter le sport, car elles ne pouvaient pas conjuguer maternité et carrière.
Dans la tribune publiée par Libération, les témoignages s’accumulent. La judoka Automne Pavia explique que son club a très mal pris sa grossesse. La sportive de haut niveau a donc changé de club afin d’être soutenue dans son projet de devenir mère. De son côté, Ana-Maria Filip parle des dogmes et attitudes qui régissent le sport de haut niveau :
« C’est mal vu de tomber enceinte quand tu es sous contrat. »
Pour de nombreux.ses athlètes professionnel.le.s qui choisissent d’avoir des enfants, la grossesse peut ainsi avoir des répercussions majeures sur leur carrière, et il n’y a que peu ou pas de garanties en place pour ces femmes.
Maternité et sport de haut niveau : l’allégorie d’une inéquation sociétale
Ce n’est pas un secret, notre société stigmatise les femmes pour un « risque de grossesse ». L’univers du travail en général continue de mettre des bâtons dans les roues des femmes. Encore en 2023, elles subissent toujours plus de discriminations que leurs homologues masculins.
La grossesse ne cesse d’être perçue comme un véritable obstacle pour certain.e.s employeur.se.s. Les femmes sont alors « punies » par des rémunérations inférieures et un moindre accès aux postes à responsabilités. La sociologue du sport Catherine Louveau explique que le sport de haut niveau partage cette vision de la maternité :
« Le sport est un milieu qui demeure conservateur. On y retrouve de nombreuses idées reçues sur ce que les femmes ne devraient pas faire ou ne pourraient plus faire une fois devenues mères. »
Cette stigmatisation est justifiée par la peur d’une baisse des performances, par les enjeux d’une pause prolongée dans un monde ultra-compétitif ou encore par manque de soutien des sponsors.
Quelles avancées ?
Tout semble jouer contre les sportives de haut niveau dans le champ de la maternité. La grossesse est clairement considérée comme une prise de risque, à tel point que beaucoup préfèrent y renoncer ou attendre la fin de leur carrière.
Quand les athlètes deviennent des modèles
Les nombreuses prises de parole de ces courageuses athlètes repoussent progressivement les murs sexistes. Enfin, l’équation devient possible. Les sportives de haut niveau peuvent davantage s’épanouir dans leur carrière comme dans leur maternité. Certaines femmes sont même devenues de véritables sources d’inspiration. Elles sont la preuve que la conciliation des deux est possible.
Par exemple, la boxeuse française Estelle Yoka Mossely est devenue une inspiration sur Instagram. Jusqu’à son septième mois de grossesse, elle continuait de partager ses entraînements et leur adaptation. Nous l’avons vue accompagnée de son kiné Aurélien Bulian. Celui-ci prodigue de nombreux conseils pour adapter ses exercices aux personnes enceintes.
L’engagement des fédérations pour la maternité
En France, Femix’Sports est la seule association portée sur « la femme et le sport ». Elle veut contribuer à une meilleure représentation des femmes dans le sport, encourager la mixité et l’équité. Elle désire également être un outil d’aide et d’accompagnement pour la promotion du sport féminin en général.
Le milieu du handball français a fait figure de pionnier en janvier 2021 par la signature d’une convention collective. Celle-ci prévoit expressément un congé maternité, avec un an de maintien de salaire. C’est la gardienne de l’équipe de France Cléopâtre Darleux qui a ouvert la voie en devenant la première à signer cette convention. Cette mesure n’a pas manqué d’inspirer la Ligue Féminine de Basket (LFB). Elle travaille désormais sur sa propre convention collective en intégrant des dispositifs sur la maternité.
Encore des progrès nécessaires ?
Il est indéniable que la considération de la maternité dans le sport de haut niveau des sportives de haut niveau s’est améliorée. Malgré tout, un long chemin reste à parcourir. Nous sommes encore les témoins d’aberration. Nous pouvons nous rappeler la réalisation de tests de grossesse à l’insu des femmes par l’académie de Handball de Nantes.
Aussi, les structures défendant les droits des femmes athlètes à mener une grossesse sans conséquences ne sont que minoritaires. Il est nécessaire de généraliser les congés maternité pour les athlètes de haut niveau, tous sports confondus.
Aussi, il serait bon de s’assurer que les engagements pris par les fédérations sont tenus. Par exemple, la FIFA s’est vue applaudie lorsqu’elle a imposé aux fédérations nationales un congé maternité rémunéré à la suite duquel la joueuse doit être réintégrée avec « un soutien médical et physique approprié ». Hélas, il semble que la Fédération française de Football (FFF) n’ait toujours rien signé depuis 2020. Dernièrement, Hervé Renard le nouveau sélectionneur de l’équipe de France féminine de foot a toutefois acté la possibilité pour les joueuses de venir avec leurs bébés au centre d’entraînement de Clairefontaine.
« La France est un peu en retard. Il faut arriver à avoir une structure organisée avec une nounou. Cela ne nuira pas au fonctionnement du groupe et psychologiquement, cela a une importance capitale »
Ainsi, le sport de haut niveau est très représentatif du traitement que fait la société de la maternité. Il prouve que leurs corps servent toujours de justifications pour les discriminations qui leur sont faites. La maternité, même si elle devient plus accessible, reste un véritable obstacle dans la carrière de ces sportives de haut niveau.