Sur de nombreux portraits de famille, le père est fantomatique. Son absence prend toute la place. Qu’il s’agisse d’un père courant d’air, jamais là dans les moments importants, d’un père divorcé désinvesti ou d’un sombre inconnu, qui a lâchement fui son rôle de parent, cette désertion du foyer laisse des traces, parfois indélébiles. En France, 85 % des familles monoparentales sont composées de mères seules, qui se retrouvent à occuper deux postes à la fois. Récemment, le président de la République Emmanuel Macron a évoqué vouloir mettre en place une mesure obligeant les pères de famille absents à rendre visite à leur(s) enfant(s) jusqu’à leur majorité. Mais cette relation « forcée » ne risque-t-elle pas de provoquer encore plus de dégâts psychologiques et d’incompréhensions ? Ce père absent est-il l’auteur principal de tous les maux de l’âge adulte ?
Le rôle du père, entre mythes virilistes et réalité
Dans la famille, le père incarne l’autorité, l’ordre et la sécurité. C’est lui qui fait la loi sur le foyer, qui hausse le ton quand il y a du grabuge et qui dicte les règles. Du moins, c’est la description qu’en fait notre société, bercée par le patriarcat. À en croire cette conception, le père est le leader de la maison, celui qui impose les limites et force à la débrouillardise.
Dans l’imaginaire collectif, le père est une figure aussi respectée que crainte. Il est à la fois sévère et joueur, à mi-chemin entre le bon copain de classe et le dictateur. Ça, c’est le portrait-robot « générique » du père. En réalité, il n’a pas toujours cette attitude « militaire ». Au contraire, aujourd’hui, les papas s’émancipent de ce costume strict, tiré à quatre épingles pour explorer la tendresse et la dévotion. Loin de là l’époque où le père n’était qu’un simple pourvoyeur d’argent, monopolisé par son travail.
Dans le couple hétéro, le père et la mère ne sont plus en déséquilibre, ils sont complémentaires. Ils ont des approches éducatives différentes qui fonctionnent en « stéréo ». Selon une étude américaine, les pères ont plus tendance à interagir à travers le jeu physique, ce qui favoriserait les liens sociaux de l’enfant dès le plus jeune âge. Ces échanges complices et récréatifs avec le père auraient aussi une incidence sur la capacité d’adaptation, le développement de l’autonomie et la confiance en soi.
Des chercheurs suggèrent aussi que le père pourrait aider l’enfant à perfectionner son élocution et à mieux articuler par le biais du « challenge ». Tout ça à condition que le père ne démissionne pas au premier obstacle ou à la moindre lassitude. Inévitablement, lorsque le père est absent et renonce à ce lien paternel, l’enfant le vit comme un « abandon » et tous ces bienfaits ne sont que résiduels.
Avoir un père absent ou grandir sans, ça change quoi ?
Il y a une nuance entre ces deux situations. Les enfants qui sont né.e.s sans l’ombre d’un père voient cet homme comme un simple « géniteur », rien de plus. Bien sûr, ils peuvent se poser des questions sur son identité et fouiller dans son passé, mais ça ne le ramènera pas pour autant. La distance est irréversible. À contrario, d’autres enfants voient leur papa de temps à autre, sans jamais réussir à tisser une affinité. Cet homme, supposé être un « modèle », reste un étranger, un mystère.
Le côtoyer ponctuellement dans le désintérêt le plus total est encore plus douloureux. Les enfants ont alors l’impression d’être rejeté.e.s, de camper sur un échec. Leur demande d’affection est laissée sans réponse. Mais ils avancent avec cet espoir éternel de voir leur père faire un pas vers elleux ou leur tendre la main. Une vaste désillusion, assortie d’un amer sentiment de frustration. Ce père absent est là, mais il est totalement transparent. Il est partout et nulle part en même temps.
Père absent, quelles conséquences à l’âge adulte ?
Que le père soit absent pour des raisons professionnelles, à cause de frictions familiales ou par mépris volontaire, ce vide est assez lourd à porter. Même si la mère est sur tous les fronts de la parentalité, elle ne peut pas toujours combler cette carence paternelle. L’enfant qui se construit sans l’image du père est susceptible de devenir un adulte tourmenté. Selon les psychologues, voici les maux communs des adultes qui ont grandi avec un père « effacé ».
Mauvaise estime du sexe opposé
Ce père absent peut provoquer une haine, sans distinction, des hommes. Les adultes mettent tous ces messieurs dans le même panier, faisant de leur cas « personnel », une sombre généralité. Pour elleux, les hommes sont « tous pareils », des lâches. C’est un discours assez récurrent.
Sentiment d’insécurité
Les adultes qui ont évolué avec un père absent ont souvent peur de perdre leurs proches et de subir ce même scénario indéfiniment. Mais paradoxalement, iels affichent aussi une certaine méfiance envers leurs pairs. Iels ne font pas confiance facilement.
Attirance pour les relations toxiques
Naturellement, les adultes qui ont subi l’absence d’un père vont chercher à résorber ce manque en se tournant vers des partenaires plus âgés, qui prennent presque l’étoffe de « mentor ». Les histoires amoureuses tombent donc souvent dans le schéma dominant-dominé. Avec une dépendance émotionnelle en toile de fond, les victimes collatérales d’un père absent ont du mal à mettre un terme à ces liens nocifs.
Difficulté à exprimer ses émotions
Les adultes ne font que reproduire, par mimétisme, ce qu’elleux-mêmes ont enduré : l’indifférence. Puisque ce père absent a réprimé toutes leurs émotions, sans jamais y faire de cas, iels ont pris le réflexe de ne rien laisser transparaître. C’est un mécanisme de protection.
Problèmes relationnels
Les adultes qui ont souffert de ce père qui n’était que mirage ont généralement du mal à créer des liens solides et durables. Iels se préservent elleux-mêmes inconsciemment par crainte de vivre une déception de plus. Iels peuvent donc paraître froid.e.s, peu avenant.e.s et en retrait.
L’exemple des familles homoparentales, tout aussi épanouies
Ce père absent, que les enfants ont attendu désespérément de l’autre côté de la porte, laisse seulement des séquelles en guise de souvenirs. Cependant, des études relativisent cette insuffisance paternelle.
Selon des recherches menées aux Pays-Bas auprès de 190 familles, les enfants qui ont deux mamans se portent aussi bien que celleux issus de familles hétérosexuelles. Un constat qui fait l’unanimité dans la sphère psychologique. L’année dernière encore, une enquête publiée dans la revue BMJ Global Health, dégageait même les atouts de l’homoparentalité sur l’ouverture d’esprit de l’enfant.
« Grandir avec des parents de minorité sexuelle peut conférer certains avantages aux enfants. Iels ont été décrit.e.s comme plus tolérant.e.s à l’égard de la diversité et plus attentionné.e.s envers les jeunes enfants que les enfants de parents hétérosexuels », ont expliqué les chercheurs dans un communiqué
Finalement, ce n’est pas tant le modèle de parentalité qui importe, mais la qualité des liens qui s’y brodent. Un.e enfant qui grandit avec une mère attentive et débordante d’affection pourra plus facilement faire le « deuil » de ce père absent. Comme l’ont rappelé les collectifs de protection de l’enfance dans la foulée de l’annonce de Macron « un lien défaillant est plus dangereux que l’absence ».