Surveiller son enfant sur Internet : est-ce vraiment une bonne idée ?

Il existe aujourd’hui une multiplicité d’applications pour donner aux parents la possibilité de surveiller ce que font leurs enfants en ligne. Sans parler des nombreux autres moyens plébiscités pour espionner son enfant sur Internet. Mais est-ce réellement un moyen de contrer les dangers du web, ou bien une intrusion dans l’intimité de l’enfant pouvant nuire ? 

Quand le profit domine la bienveillance

Aujourd’hui, on trouve des applications pour tout : évaluer son activité physique, sa santé, son sommeil, son alimentation, ses menstruations, et même sa vie sexuelle. Le réel problème intervient dans le cas des applications conçues pour épier les autres. Par exemple, celles qui permettent aux parents de surveiller leurs enfants sur Internet.

Vous pouvez facilement vous procurer des logiciels pour pister leur position GPS, leurs appels, leurs sms, les utilisations qu’iels utilisent, les sites qu’iels consultent ou encore les numéros qu’iels enregistrent. Hélas, ces applications pour surveiller les enfants sont l’étendard de nombreux écueils.

Des enjeux commerciaux plus qu’éthiques

Le but élémentaire des applications n’est pas d’assurer la sécurité des enfants ou d’aider les parents. Elles visent en premier lieu la génération de profits et la collecte d’informations à monnayer par la suite. Un rapport publié en 2017 par une firme en marketing montre que les technologies d’autosurveillance dédiées à la santé devraient à elles seules atteindre des recettes de 71,9 milliards de dollars (65 milliards d’euros) en 2022.

Ces applications investissent des fortunes afin d’obtenir le plus de données possible. Par la suite, elles sont revendues à des compagnies (dont les agences de publicité et les instituts de communication politique). Donc l’objectif de ces logiciels n’est pas de veiller au bien-être de tou.te.s, mais de générer des bénéfices de leurs données personnelles.

Le risque d’une fuite de données privées

Il existe également des risques significatifs dans le champ de la protection de la vie privée. Selon une étude publiée en 2014 par la société de sécurité Symantec, tous les équipements peuvent être tracés, même hors connexion. Nous devons cela à l’insuffisance des fonctions de confidentialité. Dans le même temps, une autre étude de l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign prouve que de nombreuses applications pour la santé envoient des informations non cryptées sur Internet.

Or, la majorité d’entre elles nous géolocalisent. Qui plus est, des chercheur.se.s du MIT ont déterminé que seules quatre positions suffisent à identifier 95 % des individu.e.s. Il est impossible de rester anonyme. Dans le cas d’enfants, les applications utilisées pour les surveiller pourraient émettre des données de suivi servant aisément d’autres personnes que leurs parents.

La création d’une peur panique

Au-delà des débordements technologiques, les risques psychologiques et relationnels s’accumulent. La psychologue Lisa Damour dirige le Centre de recherche sur les filles qui contribue au blog sur la parentalité du New York Times Motherlode. Pour elle, ces méthodes de surveillance des enfants sur Internet ne sont pas des solutions.

En tant que parent, il est normal de vouloir s’assurer que son enfant n’est pas en danger. Mais il faut veiller à ne pas lui transmettre nos angoisses et notre panique. Même si surveiller son enfant sur Internet peut réduire l’anxiété des parents, cela a l’effet inverse sur leur enfant.

« Cette fonction envoie un message fort que l’enfant est en danger. Développer une angoisse inutile et la reporter sur autrui peut être un moyen de créer des névroses, plutôt que d’aider l’enfant à conscientiser le danger. »

La psychologue rappelle que même si les risques et dangers sur Internet existent, ils sont largement surévalués. Les parents expérimentent donc une peur panique qui les terrifie, mais peut aussi déteindre sur les enfants.

Et si on permettait à l’enfant d’apprendre ?

Dans son livre Antifragile, Nassim Nicholas Taleb considère que supprimer tout risque et incertitude empêche les enfants d’apprendre par l’expérience. La surveillance des enfants sur Internet ne serait alors pas un principe d’éducation en tant que tel. L’apprentissage de l’autocontrôle, des normes, des limites, des comportements à adopter, etc., l’est en revanche.

« Les parents font cela par amour, mais n’arrivent pas à réaliser combien la surveillance est une forme d’oppression qui limite la capacité des adolescents à faire des choix autonomes », explique l’ethnographe américaine Danah Boyd

Les parents qui utilisent ces technologies cherchent à protéger leur enfant. Mais par ce biais, iels les empêchent justement d’apprendre à « trouver un juste équilibre entre la confiance et le risque », à « exercer leur autonomie et leur indépendance ». Le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada développe dans une étude que :

« La surveillance est souvent vécue par les enfants comme une forme de contrôle qui limite leurs choix et entrave leur capacité d’agir en toute autonomie. »

La fabrication d’une entrave à la notion de privé

L’étude canadienne détaille tant les raisons que les effets de la surveillance sur Internet de nos enfants. Elle souligne ente autres que cet usage pourra avoir des effets nocifs sur « l’attitude à l’égard de la notion de vie privée ».

« Les enfants apprennent par expérience et s’iels ne grandissent pas dans un cadre où l’on respecte la vie privée, iels ne peuvent pas apprendre ce qu’on entend par là. »

Une autre étude du Edge Lab de l’Université canadienne Ryerson, le confirme.

« Une expérience authentique de la vie privée fait partie intégrante du succès futur de l’enfant dans la prise de décisions réfléchies. »

Alors, dans l’usage de la surveillance sur Internet, les enfants pourraient ne pas être en capacité d’établir et de défendre leurs limites et leur vie privée voire même de prendre conscience de celles des autres. Les chercheur.se.s considèrent qu’en cherchant la protection des enfants par la normalisation de la surveillance, la société ronge la notion de vie privée.

Le risque de briser la confiance

C’est le principal reproche fait à la surveillance des enfants sur Internet : elle peut rompre le lien de confiance qui unit les enfants à leurs parents. Plusieurs études montrent que la surveillance d’un.e enfant peut détériorer sa confiance et son attachement à l’égard des parents.

« À mesure que les enfants grandissent, la confiance peut poser problème si les parents s’en remettent à la technologie plutôt que de s’adresser directement à elleux afin d’obtenir des renseignements. »

C’est un cercle vicieux qui s’opère, plus les parents surveillent leur enfant sur Internet, moins iel leur fera confiance. Les psychologues arguent par ailleurs que les enfants qui n’ont pas de soucis à partager les détails de leur vie ne sont pas celleux qui sont surveillé.e.s. Au contraire, iels ont été éduqué.e.s sur des principes de confiance mutuelle.

Dans ce cas de figure, les parents considèrent que leurs enfants feront preuve d’un bon comportement. En retour, les enfants leur donnent volontiers accès à leurs vies réelles comme virtuelles. C’est un modèle éducatif qu’Anne Cordier, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication et auteure de Grandir connectés valide.

« On n’éduque pas dans la méfiance et la défiance. »

Enfin, nous pouvons observer comme certains parents se permettent des comportements en ligne qu’iels n’oseraient jamais appliquer dans la vie réelle. Iels n’hésitent pas à consulter la messagerie de leur enfant, mais ne songeraient jamais à lire leur journal intime. Anne Cordier considère que le contrôle parental n’est pas systématiquement rejeté. Quand il est discuté et délimité en symbiose, la relation s’ancre dans la pérennité. Il est donc possible de protéger ses enfants sans aller jusqu’à recourir à leur surveillance sur Internet.

Charlotte Vrignaud
Charlotte Vrignaud
En tant que journaliste spécialisée dans les médias et la culture, mon quotidien est une aventure passionnante au cœur de l'évolution culturelle et médiatique de notre époque. Mon rôle consiste à décrypter et à partager les tendances émergentes, les innovations et les récits captivants qui façonnent notre société.
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