Imaginez une scène : vous marchez dans la rue et croisez une mère qui tend fièrement des photos de son enfant à des inconnus. Elle y ajoute des détails précis : le nom de sa fille, son école, et même ses activités favorites. Absurde ? C’est pourtant ce que beaucoup de parents font… sans même le réaliser, en postant des clichés de leurs enfants sur les réseaux sociaux. Ce phénomène porte un nom : le « sharenting », contraction de « share » et « parenting ». Et ses conséquences peuvent être bien plus graves qu’on ne le pense.
Un geste anodin, des conséquences dramatiques
Chaque jour, des millions de parents, enthousiasmés par les exploits de leur progéniture ou leur dernier sourire espiègle, partagent ces moments sur Instagram, Facebook ou encore TikTok. Or, derrière l’écran, ce geste innocent peut être une véritable mine d’or pour les prédateurs sexuels et les cybercriminels. Près de 53 % des parents français ont déjà posté des photos de leurs enfants sur internet. 43 % d’entre eux commencent à le faire dès la naissance ! Et avant même que votre bambin souffle ses 13 bougies, il est déjà apparu sur 1 300 photos en ligne, en moyenne. Ces chiffres, tirés de l’Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation Numérique, révèlent l’ampleur du phénomène.
Quand vous partagez une photo de votre enfant en maillot à la plage ou soufflant ses bougies, ce n’est pas qu’une simple image que vous mettez en ligne. Vous partagez aussi un ensemble d’informations cruciales : le prénom de votre enfant, son âge, ses habitudes, ses lieux de fréquentation. Ces données peuvent être exploitées de manière malveillante. Un chiffre qui glace le sang : 40 % des individus ayant consommé du contenu pédocriminel passent ensuite à l’acte en essayant de contacter des enfants. Ce qui n’était qu’un moment de fierté parentale peut donc ouvrir une porte inquiétante aux mauvais regards.
Une campagne qui donne des frissons
Pour frapper les esprits, l’association Caméléon a lancé une campagne choc intitulée : « Les prédateurs sexuels vous disent merci ». Une mère distribue joyeusement des photos de sa fille à des inconnus dans la rue. Lorsqu’un passant s’interroge sur le consentement de l’enfant, elle répond, sourire aux lèvres : « Elle a 6 ans, bien sûr qu’elle est d’accord ! ». L’absurdité de la scène reflète cruellement ce que nous faisons quotidiennement en publiant des clichés de nos enfants sur internet. Le spot se termine sur une image glaçante : un homme qui empoche des photos, accompagné du message : « Sans le savoir, c’est ce que vous faites en exposant vos enfants sur les réseaux. Les prédateurs sexuels vous disent merci ».
Et ce n’est pas tout. La campagne inclut également 4 affiches saisissantes générées par intelligence artificielle, représentant des prédateurs cachés en pleine lumière : un père ordinaire à la sortie d’une école, un retraité souriant sur un terrain de sport, ou encore un jeune homme sympathique près d’une aire de jeux. Leur banalité est ce qui effraie le plus : les prédateurs sexuels peuvent être n’importe qui, n’importe où.
Mais alors, que faire ?
Le constat est alarmant, mais pas de panique ! Voici quelques réflexes simples pour protéger vos enfants sans renoncer totalement à partager des moments de leur vie :
- Paramétrez vos comptes en mode privé : cela limite l’accès à vos publications à un cercle restreint de proches (normalement) de confiance.
- Évitez les informations trop personnelles : pas de prénom complet, pas de détails sur l’école ou les lieux fréquentés.
- Modérez les photos : bannissez les clichés qui pourraient être détournés (enfant en maillot de bain par exemple).
- Demandez le consentement : même si vos enfants sont jeunes, impliquez-les en leur demandant leur avis avant de poster une photo.
Le sharenting soulève aussi une question cruciale : quel droit à l’image pour les enfants ? Ces photos, qui restent en effet en ligne pour toujours, peuvent leur causer des torts plus tard. Imaginez votre adolescent.e confronté.e à une photo gênante partagée 10 ans plus tôt par ses parents. La honte est réelle, et les répercussions sur sa vie sociale ou professionnelle peuvent être bien plus graves qu’on ne l’imagine.
Cette campagne choc de l’association Caméléon n’a pas pour but de faire culpabiliser les parents, mais de les inciter à réfléchir avant de poster. Protéger nos enfants ne s’arrête pas à leur mettre un manteau en hiver ou un casque à vélo, cela passe aussi par leur assurer une enfance à l’abri des dangers invisibles du monde numérique. Alors, la prochaine fois que vous aurez envie de publier cette photo trop mignonne de votre fils/fille, posez-vous la question : qui d’autre pourrait la voir, et pour quoi faire ?