« Le cancer du sein atteint la féminité, c’est idiot, mais on se sent moins femme ». Nombre de patientes atteintes de ce cancer ressentent cette perte. Le reflet dans le miroir qui mute constamment, les traitements lourds qui s’enchaînent, la perte de confiance en soi, cette maladie bouleverse une vie. Amputées d’un sein ou des deux, elles ont dû appréhender leur féminité avec un regard neuf. Dans cette traversée semée d’embûches, ces guerrières tenaces apprennent à accepter ce corps malmené. Rencontres.
Cancer du sein, une maladie qui bouleverse la féminité
Près d’1 femme sur 8 serait touchée par cette forme de cancer en France. Elles sont passées par tous les stades : du diagnostic, à l’ablation du sein en passant par l’inévitable chimiothérapie. Impuissantes, elles ont vu leurs cheveux, leurs cils, leurs poils tombés. Elles ont vu leur visage se creuser et les cernes se noircir au fil des traitements, signe d’une fatigue accablante. En ce mois teinté de rose, elles réaffirment leur lutte acharnée contre le cancer du sein et explorent l’érotisme de leur nouveau corps.
Dans l’imaginaire collectif, le sein est l’organe symbole de la féminité, alors pour ces femmes, l’ablation s’apparente à la perte d’une partie de leur identité. Emmanuelle, elle, a tout de suite relativisé. L’habitante d’Evry a perdu son papa d’un cancer du sein, par mesure de prévention, elle a commencé à se faire dépister à l’âge de 30 ans.
« Je pensais faire une mammographie de contrôle et au final ça a été catastrophique, on m’a diagnostiqué un cancer dans chaque sein », confie la quarantenaire
Cette responsable de cafétéria à l’hôpital Bégin de Saint-Mandé a choisi de recourir à la chirurgie reconstructrice pour ne pas se retrouver sans poitrine. « Ils ont pris les muscles et la peau de mon dos, il y a eu des ratés, j’ai passé 12 heures au bloc pour rien, les chirurgiens ont dû recommencer, c’était éprouvant », raconte-t-elle. Si cette opération a finalement abouti sur un résultat satisfaisant, la battante avoue que la route pour se réapproprier son corps est longue.
« C’est deux masses, deux bouts de muscle à la place des seins… Le reflet dans la glace n’est plus le même après ça », regrette-t-elle
Aujourd’hui, elle porte des traces indélébiles de cette maladie. Sur son enveloppe charnelle, 177 cm de cicatrices se dessinent. Véritable marque de fabrique, elle a décidé de faire vibrer ses stigmates de la vie en se faisant tatouer. « Je ne voulais pas un gros placard dessus pour les cacher, alors le tatoueur m’a fait pleins de petites arabesques pour les embellir, parce qu’elles font partie de moi », se souvient Emmanuelle après avoir passé 30 heures sous l’aiguille de l’artiste. Cette amazone des temps modernes arbore ainsi désormais sa féminité avec plus de recul et davantage de créativité.
« Poser nue devant les photographes m’a permis de me sentir plus à l’aise et de me réconcilier avec moi-même », décrit-elle d’un ton serein
« On ne s’accepte pas, on s’adapte »
Si ce témoignage apparaît comme une ode à l’acceptation de soi, d’autres femmes redoutent cette lourde épreuve psychologique et renient la maladie. Dans l’ouvrage L’Atteinte du corps, la psychanalyste Andrée Lehmann note que malgré les avancées thérapeutiques, le cancer du sein reste une effraction.
« Les équilibres psychiques aussi sont touchés. Selon l’histoire personnelle de chacune, les répercussions du cancer du sein sur la féminité seront différentes. »
Angélique, maman de trois enfants, a appris son cancer l’an dernier alors qu’elle n’avait que 35 ans. Au début c’était difficile, elle avait des coups de blues qu’elle cachait pour préserver sa famille. D’ordinaire énergique, elle sent ainsi très vite la fatigue l’envahir et l’affaiblir. Chauve, amaigrie, éreintée, la jeune femme pétillante refuse la maladie et fait un déni.
« On reçoit une claque et c’est un choc physique de se voir comme ça. Alors j’ai essayé d’être féminine, de me maquiller, de porter des foulards colorés, de mettre des perruques. Il y a finalement pleins d’alternatives pour se sentir belle malgré tout », remarque-t-elle
Le cancer force les femmes à puiser dans leurs ressources les plus profondes, avec un gros travail de résilience en toile de fond. Angélique doit se faire retirer son autre sein et ses ovaires dans les mois à venir, pour contrer une potentielle récidive. La boule au ventre, elle ne digère pas cette étape amère qui l’attend.
« Ça va me faire vraiment bizarre, parce que je n’aurais plus de poitrine du tout. On enlève le symbole de la femme et une partie d’érotisme en même temps », avoue timidement Angélique
Annie Brousse, présidente de « Vivre comme Avant« , association venant en aide aux femmes atteintes d’un cancer du sein, a aussi un lourd passé derrière elle. À 38 ans, on lui annonce un cancer du sein et huit ans après, le scénario se répète : une tumeur dans l’autre sein avec trois foyers cancéreux.
« Je ne me reconnaissais plus dans la glace, je voyais ma tête et le reste de mon corps ce n’était plus moi. J’avais un trouble de l’identité et il a fallu des années pour digérer cette nouvelle apparence. On ne s’accepte pas, on s’adapte », raconte-t-elle
« On explore la beauté de son corps différemment »
Le désir sexuel est un autre rivage de la féminité et souvent il se retrouve noyé dans toutes les problématiques liées à la maladie.
« C’est tabou, mais quand on fait une chimio, il y a aussi la sécheresse vaginale, beaucoup de fatigue donc ça freine les relations sexuelles », explique la porte-parole de l’association
Si seulement 7 % des femmes déclarent que leur cancer du sein a détérioré leur relation, toutes gardent un traumatisme et craignent le jugement des autres.
« On a honte de se montrer à son partenaire, on se dit « il va me rejeter, il va aller voir ailleurs ». C’est vraiment une féminité à reconstruire », déplore Annie Brousse.
Selon cette femme humble et pugnace, ces parcours bousculés par la maladie laissent aussi entrevoir la couleur de l’optimisme. D’après les témoignages qu’elle recueille quotidiennement, les femmes sortent de cette épreuve avec plus de hargne et de courage. En ayant traversé les montagnes russes de la vie, elles se redécouvrent et arborent leur intimité avec plus d’attention.
« On s’achète des sous-vêtements en satin, des crèmes parfumées, ça permet de redonner un coup de boost à la libido. On explore la beauté de son corps différemment », relativise la bénévole
À l’ère digitale, les réseaux sociaux ont aussi le rôle à jouer dans cette reconquête de féminité. Les paroles se libèrent, les tabous s’estompent et les standards beauté sont revisités.
Ainsi, la mannequin Ericka Hart se met à nu devant ses internautes, dévoilant une poitrine marquée, asymétrique et rapiécée. Lili Sohn, illustratrice française, elle, redessine les contours de la maladie en l’abordant de façon décomplexée. Une mine d’or pour ces femmes en quête de repère.