Si à l’époque de Marie-Antoinette et madame de Pompadour, la peau pâle était auréolée de compliments, aujourd’hui les corps immaculés se heurtent au culte du bronzage. Revenir de vacances sans avoir gagné une teinte caramélisée relève presque du sacrilège. Sauf que voilà, cette carbonisation estivale n’est pas à la portée de toutes les carnations. Dans une société où le hâle est hissé en norme de beauté, la peau pâle s’interprète comme un contre-sens esthétique. À tort.
Une personne qui a la peau pâle fait alors l’objet de toutes les déductions possibles et imaginables. Du « tu es malade ? » au « tu ne dois pas aller souvent dehors », tout l’entourage s’évertue à trouver des explications à cette teinte blanchâtre pourtant naturelle. Pour éviter les maladresses envers les peaux veloutées, voici une liste non exhaustive des phrases, en apparence bénignes, qui sont en fait tranchantes.
« Est-ce que tu es malade ? »
Dans l’imaginaire collectif, la peau pâle est un indicateur de mauvaise santé. Il n’est donc pas rare qu’une personne au visage de porcelaine se voie offrir un remontant ou une chaise pour s’asseoir. Face à ce teint épuré, les gens sur-réagissent et sont prêts à dégainer un morceau de sucre pour anticiper un potentiel « malaise ». Iels s’improvisent docteur.e.s à poser leur main sur le front et à étayer un diagnostic complètement bancal. Et pour rester dans le champ lexical médical, la comparaison avec le « cachet d’aspirine » est presque un passage obligé.
Certes, la peau pâle peut traduire une petite infection ou une grosse fatigue, mais elle peut aussi faire partie de notre « identité ». Si ces signes d’inquiétude partent peut-être d’une bonne intention, ils induisent aussi que la peau pâle est seulement le résultat d’une santé décadente. Cette interprétation est particulièrement blessante pour les personnes concernées qui se sentent alors encore plus « atypiques » avec leur couleur originelle. Cela dit, ça peut être un bon prétexte pour s’enfuir d’une soirée chaotique ou échapper à un date qui tourne en rond…
« Tu ne dois pas aller souvent dehors toi »
Généralement précédée d’un « tu ressembles à Casper » ou d’un « même mon lavabo est plus bronzé que toi », cette phrase est un grand classique. La peau pâle, qui vire au rouge écrevisse rien que pour un aller-retour en courses, est souvent accusée de ne pas prendre assez la lumière. Les gens s’imaginent que les personnes à la teinte neigeuse sont des casanières endurcies et qu’elles ne mettent jamais un pied dehors.
Selon leur conception, elles vivent recluses dans leur chambre, rideaux tirés et porte fermée à double tour. À moins d’être dans la saga Twilight et d’avoir du sang de vampire, difficile d’envisager ce scénario. Même si un petit flirt avec le ténébreux Edward Cullen ne serait pas de refus… Les personnes à la peau pâle ne sont pas forcément allergiques au soleil, elles se plaisent simplement mieux à l’ombre.
Leur épiderme est beaucoup plus sensible aux UV, ce qui explique pourquoi elles portent des chapeaux qui font trois fois leur taille et vident tout le pot de crème solaire sur leur corps. Sinon bonjour les dégâts cutanés. Même si elles doivent redoubler de vigilance avec cette boule de feu qui sert de soleil, elles ne se privent pas de sorties pour autant. Simplement, leurs peaux ne se colorent pas ou alors très peu. Et c’est quand même mieux que de ressembler à un panini humain.
« Tu ne peux pas bronzer du tout ? »
Une interrogation à la fois inoffensive et tellement irritable. Avec cette injonction au bronzage en toile de fond, les personnes à la peau pâle sont des éternelles incomprises. Alors que les corps s’enduisent de monoï et jouent les biscottes sur le sable chaud, les personnes à la peau pâle attirent sans cesse la stupeur des aficionados du transat. Un étonnement qui se dédouble généralement d’une pitié.
À les entendre, c’est comme si le fait de ne pas pouvoir brunir était la pire des malchances. Selon leur dire, garder un corps opalin tout l’été est « impensable ». Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir cultivé l’espoir de glaner une nuance et scruter à la loupe d’éventuelles démarcations du maillot de bain. Malgré les multiples tentatives de carbonisation, la peau soutient sa teinte lactée.
Tout le monde n’est pas réceptif à la grillade collective. Cette question sous-entend que la peau pâle est une curiosité ou une malédiction des astres. En attendant, mieux vaut se tartiner le corps avec un SPF 50 et buller sous le parasol plutôt que de rissoler sans protection. Chaque année, il y a 100 000 nouveaux cancers de la peau dépistés en France…
« Tu as déjà essayé l’autobronzant ? »
Décidément, le peuple entier semble conspirer contre cette peau imperméable à la bronzette. Les proches, munis d’une bienveillance faussée, suggèrent quelques « savantes » tricheries pour parvenir à se cuivrer « à tout prix ». Ils tendent le fameux autobronzant tel un Graal alors qu’en réalité, les personnes à la peau pâle le prennent plutôt comme une insulte.
Cette suggestion, vernie de gentillesse, est une façon polie de dire « tu ne veux pas faire un effort pour rentrer dans les codes de beauté ? ». C’est inciter la personne à « saboter » sa vraie nature au nom du très pesant « regard des autres ». À moins de vouloir ressembler à un zèbre mal léché ou une pin-up de téléréalité, l’autobronzant n’est certainement pas la meilleure arme pour reprendre confiance en soi.
« Tu devrais prendre un peu le soleil »
Poussées à se gaver de vitamine D et à multiplier les cures de soleil, les personnes à la peau pâle sont sous influence. Sauf que voilà, en plus d’être infantilisante, cette consigne est juste impossible à appliquer. À la moindre petite exposition, la peau tire sur le vermillon et donne l’illusion d’avoir passé toute la journée à lézarder sans prudence. Il faudrait au moins un SPF 110 et un parasol mobile pour sortir sans friser l’allure de Mr Krabs.
Cette phrase qui s’apparente quasiment à une remontrance ne fait que marteler un rêve inaccessible. Elle déclare à demi-mot que la peau pâle est une indécence pour les yeux. D’ailleurs elle s’accompagne de tout un lot de calembours et autres figures de style. « Ta peau est si blanche qu’elle m’éblouit », « c’est sûr, ta peau doit reluire dans la nuit”… Ce sont tous ces jeux de mots peu élogieux qui forgent les complexes.
« Toi tu n’as pas dû passer de bonnes vacances »
Phrase redoutée à chaque retour de congés. Les collègues, tou.te.s cuit.e.s à point jaugent la qualité des vacances à la couleur de peau. Ravi.e.s d’avoir fait les brochettes tout l’été, iels s’empressent de comparer leur bras au vôtre. Comme pour se rassurer dans leur épisode farnienté. Iels sortent des théories qui ne volent pas très haut à base de « tu n’as pas pu partir cette année ? » ou de « mais tu es allé.e dans les pays nordiques pour revenir aussi translucide ? ».
Depuis la démocratisation des congés payés en 1936, le bronzage s’esquisse en totem de vacances épanouies et heureuses. Une croyance populaire qui dessert largement les personnes dotées d’une peau pâle. En notant cette peau encore intacte, les collègues estiment que les vacances n’ont pas été prodigieuses. Pourtant, inutile de fourrer ses pieds dans un sable brûlant et de cuire face à la mer pour passer des vacances dorées.
Toutes ces phrases sont des upercuts en plein dans l’égo. N’oublions pas que les grands modèles de la Renaissance avaient tous la peau pâle. Pendant longtemps c’était un emblème de noblesse. Le bronzage n’est qu’un diktat supplémentaire qui vient s’ajouter à la taille fine, au ventre plat et à la peau lisse.