Si le congé menstruel relève encore de l’exception dans le monde du travail, il se démocratise doucement entre les murs des Universités. Angers, Bordeaux, Rouen et maintenant Créteil… dans ces grandes villes, les écoles supérieures autorisent désormais les étudiant.e.s à s’absenter en cas de règles douloureuses. Venir en cours lorsqu’un marteau piqueur tape sur les ovaires et que le sang coule à flots est une véritable épreuve de torture. Grâce à cette dispense un peu « à part », plus besoin d’inventer de fausses excuses ou de masquer ce mal-être, qui survient une fois par mois. Après les protections périodiques distribuées gratuitement dans l’enceinte des bâtiments scolaires, le congé menstruel fait une entrée fracassante au cœur des Universités. C’est même une petite révolution !
Congé menstruel à l’Université, pourquoi c’est précieux ?
Combien d’étudiant.e.s se sont déjà éclipsé.e.s de l’amphithéâtre à cause de crampes insoutenables ? Combien d’entre iels ont passé leur temps de pause sur la cuvette pour éviter le déluge dans la culotte ou vomir ? Et combien ont menti pour déserter leur chaise d’école sans jamais écrire ce mot interdit nommé menstruation ? Beaucoup trop. Une fois par mois, certaines personnes menstruées sont aux prises de règles quasi paralysantes qui peuvent nuire à leur scolarité. Selon les estimations, 50 à 70% des adolescentes souffrent de dysménorrhée de façon chronique ou occasionnelle. Alors qu’en est-il au début de l’âge adulte.
Plus question pour les personnes menstruées de subir en silence et de faire bonne figure au milieu de la classe alors que leurs hormones sont en bataille et que leur corps est campé par la douleur. Pour que les étudiant.e.s puissent troquer les bancs inconfortables des salles bondées contre un lit et une bouillotte, les établissements d’enseignement supérieur sont de plus en plus nombreux à instaurer un congé menstruel. Plus qu’un joker ou un privilège « féminin », ce dispositif est surtout vital. C’est tout un symbole. Créer un congé menstruel dans les Universités, c’est considérer (enfin) une réalité anatomique longtemps sous-estimée et soigneusement enfermée derrière les portes des toilettes.
En cette rentrée 2024-2025, le congé menstruel se normalise dans plusieurs Universités, dont Bordeaux Montaigne, Paris-Est Créteil (Upec) et Sorbonne Paris Nord. Mais c’est le campus d’Angers qui a montré l’exemple en premier. Grâce à ce congé menstruel, les étudiant.e.s n’ont plus besoin de se munir d’un justificatif présentant une « indisposition passagère ». Les élèves menstrué.e.s ont un quota d’absence à cet effet pour rester chez iels au plus fort de leurs règles. Un soulagement pour les principales.aux concerné.e.s, jusqu’alors obligé.e.s de « prendre sur iels » et de se changer dans des sanitaires pas toujours très propres.
Le congé menstruel à l’Université, à chaque école ses propres règles
Le congé menstruel s’inscrit désormais en lettre capitale dans ces Universités. Il se fait une place de choix au creux du règlement. Cependant, les conditions qui l’accompagnent ne sont pas les mêmes d’une école à une autre. Certaines sont plus contraignantes et embarrassantes que d’autres. À l’Université d’Angers, les étudiant.e.s doivent simplement remplir un formulaire d’absence sur l’ENT, l’espace numérique qui leur est dédié. Les élèves menstrué.e.s ne sont donc pas obligé.e.s de clamer haut et fort ce qui se passe sous leur braguette ou de partager cette actualité avec les enseignant.e.s. Ce système « confidentiel » a pour but de préserver le secret médical. L’école angevine est allée encore plus loin, en déployant ce congé aux hommes en transition.
À Paris Est Créteil comme à Bordeaux-Montaigne, les étudiant.e.s doivent se munir d’un certificat médical pour justifier leur absence. Contrairement aux autres documents de ce type qui nécessitent un renouvellement, celui-ci se suffit à lui seul et a une valeur éternelle. Nul besoin d’aller chez le.a docteur à chaque fois que les règles se font incisives. Ce congé menstruel n’a pas non plus la même durée selon les Universités. Globalement, les étudiant.e.s ont entre 10 à 15 jours à étaler à leur guise sur l’année. Mais les étudiant.e.s redoutent que des élèves malhonnêtes s’en servent pour sécher les cours et détournent ce congé de sa visée première.
Loin de prolonger les vacances ou de servir d’excuse pour échapper à un contrôle, le congé menstruel est un droit durement acquis, mais amplement mérité. Ces élèves menstrué.e.s , qui se tordent sur leur chaise depuis les prémices du collège, peuvent enfin prétendre à quelques jours de répit.
Un dispositif qui ne fait pourtant pas toujours l’unanimité…
Le congé menstruel, déjà plébiscité dans quelques entreprises, passe enfin les portes battantes des Universités et s’ancre dans un décor essentiellement habité par des jeunes. Selon un sondage IFOP, les femmes en seraient de grandes partisanes. Les chiffres sont éloquents : 64 % des Françaises n’hésiteraient pas à y avoir recours. Entre les murs des Facultés, difficile encore d’en connaître les retombées. Pour l’heure, ce congé est surtout salué. Or depuis qu’il est sur la table, le congé menstruel fait couler beaucoup d’encre. Certaines associations l’accusent de marginaliser davantage les femmes et de les cloîtrer à la maison.
« Le sujet progresse dans l’espace public et c’est très bien. Mais une fois qu’on a dit ça, instaurer un congé menstruel revient au final à dire: « Cachez cette douleur que je ne saurais voir » », regrette fondatrice du collectif féministe Georgette Sand au média Slate
Le congé menstruel est assez paradoxal dans le fond. Il tend à visibiliser ce qui était autrefois considéré comme un ultime tabou, mais en parallèle il renvoie les femmes (et autres personnes menstruées) chez elles et les éclipsent de la vie sociale. Il soulève aussi la question de la légitimité. Certain.e.s étudiant.e.s vont peut-être se dire « il y a pire que moi » et renoncer à ce congé généreusement tendu. Enfin, les associations craignent que cette mesure fasse de la dysménorrhée une sombre généralité. À la place, elles préconisent plutôt des aménagements concrets comme la création d’espace « détente » pour s’allonger ou la distribution de protections périodiques.
Populariser le congé menstruel dans les Universités est plutôt positif sur le papier. Mais il y a encore des ombres au tableau. En complément les écoles devraient aussi élargir les toilettes, s’assurer que le papier ne manque jamais et disposer des poubelles individuelles. Et surtout arrêter de préconiser du Spasfon comme si c’était un remède miracle. Bref, construire une safe place pour ne plus devoir jouer les Rambo en période de règles.