Avec la publication récente de son livre, le Prince Harry lève le voile sur les troubles anxieux et dépressifs chez les hommes. En effet, il pèse sur eux un tabou lourd des problèmes de santé mentale. Voici comment les émotions et la dépression chez les hommes sont passées sous silence dans notre société.
Une histoire de construction sociétale
Historiquement et culturellement, le modèle de masculinité imposé par notre société attend des hommes qu’ils réfrènent leurs sentiments. On attend plutôt d’eux de constamment apparaître virils, forts et puissants. Cette pression sociale de la domination et la compétitivité les pousse à adopter certains comportements, qualifiés aujourd’hui de toxiques. Paradoxalement, une nouvelle vague de pensée sociale demande aux hommes d’accepter leurs émotions et d’exprimer leurs sentiments. Or, nous n’en avons pas fini avec cette première injonction.
Les hommes se retrouvent alors propulsés dans une double attente : comment être forts et virils tout en affichant sa vulnérabilité ? Cette dichotomie pousse nombre d’entre eux à se renfermer sur eux-mêmes, évitant ainsi de paraître « sensibles » ou « faibles ». Lorsqu’ils sont victimes de dépression, il leur est ardu de s’avouer « vaincus » et d’admettre qu’ils n’ont pas un total contrôle. Ils craignent de perdre leur crédibilité sociale en plus de perdre confiance en eux.
Réprimer ses émotions peut mener à l’isolement et au refus de demander de l’aide. Alors, notre société a cruellement besoin d’une transition vers un modèle de masculinité moins oppressif et plus égalitaire. Les hommes, au même titre que la société, doivent prendre conscience de l’importance de la santé mentale.
Les troubles dépressifs ne sont pas réservés aux femmes
La pensée commune suppose que les troubles mentaux sont majoritairement féminins. Cela tient autant des dogmes posés sur les hommes que ceux qui incombent aux femmes.
Ce que les chiffres nous disent de la dépression chez les hommes
S’ils doivent cacher leurs émotions, on suppose les femmes hystériques et fort capables de « sensibleries« . Or, les études montrent que les hommes sont aussi concernés par la dépression et les troubles psychiques. Elles estiment qu’un homme sur dix sera touché par un trouble dépressif ou un trouble anxieux dans la vie.
Néanmoins, il s’agit certainement d’une estimation basse. Nous devons ce sous-diagnostic à leurs réticences à aller consulter. Ajoutons à cela les chiffres d’un sondage britannique qui affirme que 40 % des hommes n’ont jamais parlé de leur santé mentale à quiconque. Parmi eux, 29 % se taisent par honte. Lorsque les chercheur.se.s demandent aux hommes ce qui pourrait les amener à consulter, 40 % répondent que seules une crise suicidaire ou une intention de se faire du mal y parviendraient.
Quelles sont les manifestations de la dépression chez les hommes ?
Concrètement, les principaux troubles retrouvés chez les hommes ne sont pas différents de ceux observés chez les femmes. Une différence semble apparaître en ce qui concerne le suicide. Les chiffres montrent que le décès par suicide est plus fréquent chez les hommes alors que les femmes sont plus sujettes aux tentatives de suicide. Le portail Infosuicide.org nous apprend que mondialement « les hommes représentent les trois quarts des suicides qui ont lieu chaque jour ».
Cela peut paraître paradoxal, mais Durkheim l’explique dans son livre Le Suicide. Selon lui, les TS s’apparentent plus souvent à des appels à l’aide chez les femmes alors qu’ils sont généralement un passage à l’acte définitif chez les hommes. Les psychologues l’expliquent par le fait que les hommes laissent durer plus longtemps les troubles psychiques. Ils s’aggravent tant en silence que la souffrance devient intolérable.
Déstigmatiser les troubles psychiques pour aider les hommes dépressifs
Fort.e.s de ces constatations, il est évident que nous devons régir. Les hommes sont plus difficiles à convaincre sur la nécessité à s’ouvrir, un profond travail de déstigmatisation de leurs troubles psychiques devient donc capital. Dès le plus jeune âge, nous devons aborder ouvertement ce sujet avec eux. Les sensibilisations, autant que la déconstruction du mythe de la virilité masculine commencent à germer dans le cadre scolaire. Les spécialistes du sujet demandent aux différentes institutions de normaliser l’acceptation et de l’expression de leurs émotions.
Les médecins et psychologues sont censé.e.s être formé.e.s pour repérer et prendre en charge les troubles psychiques. Cela étant dit, leur expérience et leur sensibilisation à la dépression chez les hommes diffèrent fortement. Il serait donc intéressant de former plus précisément les professionnel.le.s de la santé à ces problématiques. Par ce biais, nous pourrons légitimer la prise en charge d’hommes présentant des troubles dépressifs.
Quelles initiatives pour la santé mentale des hommes ?
Au cours des dernières années, les gouvernements ont pris conscience de l’urgence de la situation. Alors, certains ont mis en place des initiatives promouvant la santé mentale des hommes.
Des programmes gouvernementaux…
Nous retrouvons en premier lieu le Movember qui a lieu chaque année en novembre. Son but est de mettre en lumière les problèmes de santé masculins, notamment les troubles mentaux ou le cancer de la prostate.
Ensuite, le Royaume-Uni a décidé de se concentrer sur la prévention du suicide masculin dans sa campagne CALMZone. Le pays a instauré par la même une ligne d’écoute téléphonique et un système de messagerie. L’Australie quant à elle a créé un programme pour permettre aux hommes de rompre l’isolement en se retrouvant en communauté autour d’activités. En France, Infosuicide.org a pour vocation « la lutte contre l’isolement et la prévention du suicide ».
Aux prises de parole d’hommes inspirants
En renfort de ces prises de position nationales, les célébrités commencent aussi à donner de la voix aux dépressions et troubles psychiques chez les hommes. Nous nous rappelons de The Rock qui parlait de sa dépression dans une interview en 2018. Son message voulait encourager les hommes à aller chercher de l’aide. La même année, l’acteur Ryan Reynolds s’est également confié dans une interview de 2018 à propos de ses troubles anxieux. Il concluait aussi son témoignage par un appel aux hommes à se faire aider. Plus récemment, le champion olympique Michael Phelps a confié souffrir de dépression et de troubles anxieux.
À cette occasion, il s’est épanché sur la manière dont la thérapie l’a aidé face à ses troubles et à sa gratitude envers les professionnel.le.s pour l’aider contre des pensées suicidaires. Les exemples de prises de paroles ne manquent plus de pleuvoir. En France, nous pouvons citer Jean-Jacques Goldman, Omar Sy, Guillaume Canet, Kyan Khojandi ou encore Jérémy Ferrari.
La culture pop pour représenter la dépression chez les hommes
Dans la culture populaire, la dépression a souvent été conjuguée au féminin.
Une dépression féminine à l’écran
Les films brossent le portrait de femmes dépressives dans la douceur, le mystère et la sensibilité. On les représente soit dans « la folie » extrême, soit dans une romantisation élégante de la dépression. Lorsque sur nos écrans, la dépression s’en prend aux hommes, elle prend de suite des allures toxiques. Elle laisse alors libre cours à la violence, seule arme capable de « libérer les démons ».
Si cette mise en scène de la dépression masculine est parfois plus nuancée à l’écran, elle finit (quasi) toujours par s’incarner dans la violence. Il suffit de constater comme le mafieux Tony Soprano se confie à sa psy dans Les Sopranos. Même s’il montre honnêtement ses failles, Tony Soprano reste un homme ultra-violent, comme pour balancer. Si la représentation cinématographique de la dépression masculine est révolutionnaire, l’ombre de la masculinité toxique continue de planer sur Tony.
Zoom sur le film Aftersun
En cette année 2023, Paul Mescal a été nommé aux Oscars dans la catégorie « Meilleur acteur ». Grâce à ses rôles dans la série Normal People et dans le film Aftersun, le jeune homme nous offre deux visions de la dépression masculine. Dans l’opus de Charlotte Wells, il incarne Calum, un jeune père touché par un trouble mental. Sa performance est criante d’authenticité tant il incarne avec justesse la particularité de la dépression chez les hommes.
En effet, il sort des représentations populaires faites des troubles psychiques masculins. Son personnage ne cède pas à la folie ou la violence. Il continue simplement d’aller à l’école, au travail. Sa vie continue inlassablement à mesure que sa santé mentale décline. Finalement, Calum comprend que son malaise est profond, grave et décide de consulter une thérapeute. Lorsqu’on l’interroge à ce propos, Paul Mescal affirme :
« C’est quelque chose que les hommes de ma génération commencent à comprendre, l’idée qu’il faut parler de ses émotions et faire une thérapie. »
Si le mythe de la virilité règne en maître face à celui de la fragilité depuis la nuit des temps, il semble que son pouvoir s’essouffle. Notre société commence à entendre que la dépression chez les hommes est une véritable préoccupation. Notre espoir se place désormais dans l’acceptation des paroles d’hommes au sujet de leurs émotions, de leurs dépressions.
Si vous ressentez le besoin de vous confier, il existe des lignes d’appels en France :
- Numéro national de prévention du suicide : 31 14
- Association France Dépression : 07 84 96 88 28
- SOS Dépression : 08 90 88 88 59
