Convaincu.e qu’une situation s’est déroulée comme vous l’imaginez, certain.e qu’un évènement s’est produit alors qu’il n’en est rien ou encore persuadé.e de connaître les répliques cultes d’un film… vous réalisez avec effarement que la version officielle est tout autre ? Alors vous avez sûrement déjà vécu l’effet Mandela. D’où vient-il et comment agit-il dans notre cerveau, on y répond ici.
Effet Mandela et plasticité cérébrale
Rassurez-vous, vous ne souffrez d’aucune pathologie mentale ou neurologique si vous avez déjà fait l’expérience de l’effet Mandela. Tout le monde peut subir ce curieux phénomène.
Origine et explication
Le concept d’« effet Mandela » fut créé par Fionna Broome, consultante en paranormal. Celle-ci était persuadée que le président d’Afrique du Sud Nelson Mandela (1918-2013) était mort en détention dans les années 80. Lors de la conférence Dragon Con à Atlanta en 2010, Fionna Broome réalisa qu’elle n’était pas la seule à partager cette croyance fausse. Au contraire, nombreuses étaient les personnes qui, comme elle, pensaient Mandela décédé à la prison de Johannesburg.
L’expression « effet Mandela » naquit à la suite de ce constat, tirant son nom de Nelson Mandela, figure illustrative de cette prise de conscience collective de la réalité. Cette découverte poussa Fiona Broome à créer un site qu’elle baptisa « effet Mandela ». Ce dernier regroupe toute une communauté d’internautes ayant des souvenirs communs autour d’évènements et de faits ne correspondant pas à la réalité. L’existence de la communauté Mandela fut officiellement déclarée en 2013, année du décès de Nelson Mandela.
L’effet Mandela fascine par sa complexité. Il se définit comme « un phénomène cognitif caractérisé par de faux souvenirs et croyances erronées communément approuvés autour d’évènements, de faits ou d’icônes culturelles ». Il est étroitement lié à la plasticité cérébrale et plus particulièrement à la mémoire. Le cerveau est l’organe le plus complexe du corps humain. Les facultés mnésiques sont impressionnantes autant qu’elles sont mystérieuses.
La mémoire, une faculté mystérieuse et complexe
Figurez-vous la mémoire comme un disque dur interne. Celui-ci traite simultanément une quantité considérable d’informations. Or, l’espace est parfois insuffisant et toutes les données ne peuvent être stockées. C’est pourquoi, dès lors que de la place se libère, le cerveau va venir combler l’espace libre avec la création d’un souvenir. Mais si la mémoire est puissante, elle n’en est pas moins imparfaite.
Comme l’explique la psychologue Maria Fatima Seppi Vinuales, dans un article paru en 2022 sur le site Amelioretasante, « la mémoire subit des processus, des constructions et des reconstructions chaque fois que nous faisons appel à elle ». La mémoire n’est pas infaillible. Elle est malléable et peut se trouver soumise à de nombreux stimuli. Elle peut élaborer de faux souvenirs et déformer des situations antérieures selon les circonstances durant lesquelles le souvenir se forme et l’intensité de l’évènement vécu, surtout dans le cas de traumatismes. En outre, la charge émotionnelle liée à l’évènement va largement concourir à la fabrication de souvenirs falsifiés.
Cette distorsion des souvenirs a été conceptualisée par la psychologue et spécialiste de la mémoire humaine Elizabeth Loftus avec sa théorie de l’auto-incitation, également appelée autosuggestion. Selon elle, nous créons des souvenirs en fonction des situations. Autrement dit, nous pouvons tout à fait fabuler pour combler nos trous de mémoire et tenter de pallier nos lacunes mnésiques. Nous pourrions comparer cette fabrication de souvenirs à l’élaboration de pièces manquantes d’un puzzle pour reconstituer un tout cohérent. Cette reconstitution est effectuée par deux opérations cérébrales : la dissonance cognitive et le principe de détection de la divergence.
La dissonance cognitive
Aussi désignée sous l’appellation « distorsion cognitive », celle-ci se traduit par « un état de tension et d’inconfort dans lequel se trouve une personne confrontée à des informations contredisant son système initial de pensées, de croyances et d’opinions ».
Pour rendre cet état plus supportable, la personne va choisir de renforcer sa croyance première, ce qui va la rendre hermétique à toute rectification.
Le principe de détection de la divergence
Le principe de détection de la divergence se définit comme l’intervalle de temps entre l’évènement et le souvenir créé. Plus l’évènement sera ancien, moins la mémoire sera capable de concevoir un souvenir exact. Car l’intervalle, la différence entre l’évènement et l’information reçue, sera quasi indétectable. Cela engendrera une altération du souvenir.
Des théories diverses
De multiples théories existent pour tenter d’expliquer ce phénomène étrange pourtant si répandu. Biais cognitif pour les un.e.s, phénomène paranormal et indice d’un espace-temps alternatif pour les autres, l’effet Mandela ne cesse de captiver. Depuis la création du site « effet Mandela » de Fiona Broome, les hypothèses ne cessent d’affluer.
La théorie des univers multiples
Cette théorie issue de la physique admet qu’il existe une infinité d’univers qui se chevauchent, engendrant des réalités parallèles. L’effet Mandela serait, selon cette théorie des univers multiples, la preuve d’une réalité vécue dans une dimension alternative.
La théorie quantique
Découlant de la théorie des univers multiples, cette théorie s’appuie sur l’idée que notre conscience voyage d’univers en univers, entraînant une confusion, une distorsion de la réalité. D’autres vont plus loin en affirmant que l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN) est responsable de l’effet Mandela en raison des expériences qu’elle effectue.
La théorie de la manipulation
Soutenue par les conspirationnistes, cette théorie accuse le gouvernement et les marques d’expériences et de manipulations mentales. Cette théorie complotiste est relayée en nombre sur la Toile et les réseaux sociaux.
7 exemples connus de l’effet Mandela
Très fréquent, l’effet Mandela est présent peu importe les pays et domaines culturels. Voici une liste d’exemples connus de l’effet Mandela.
1 – Monopoly et son monocle
Vous imaginez peut-être le petit bonhomme du Monopoly avec un monocle ? Il se trouve que Mr Monopoly n’en a pas ! La vision d’un vieillard miniature avec moustache, haut-de-forme et queue-de-pie vous a certainement induit.e.s en erreur. Vous lui avez ajouté un monocle pour compléter la panoplie de l’aristocrate ? Figurez-vous que Mr Monopoly a une très bonne vue, et ce depuis toujours.
2 – Pikachu et sa queue
Mascotte des Pokémons, Pikachu est perçu par bon nombre d’entre-nous comme entièrement jaune à l’exception de la pointe de ses oreilles et de sa queue dont le bout est cerclé de noir. Encore un effet Mandela visuel. Seules les pointes des oreilles et la base de la queue de Pikachu sont noires. C’est tout !
3 – We are the champions de Queen
On ne compte plus le nombre de fois où les gens ont chanté en chœur la célèbre chanson de Queen en ponctuant le refrain d’un éternel « of the woooooorld ! ». En réalité, la chanson ne se termine absolument pas par « We are the champions of the world » mais « We are the champions » tout court !
Rassurez-vous, vous n’êtes pas seul.e. On peut comprendre que des millions de personnes aient pu ajouter une suite pour avoir une fin plus percutante. L’erreur est humaine.
4 – Luke, je suis ton père
Dans le cinquième épisode de Star Wars, L’Empire contre-attaque, Dark Vador ne révèle pas à son fils « Luke, je suis ton père » mais « Non, je suis ton père ». Une réplique culte qui a donné naissance à un effet Mandela célèbre.
5 – Leonardo DiCaprio et son Oscar
On a tou.te.s pleuré.e à chaudes larmes devant Titanic, avons été époustouflé.e.s par le jeu de Léonardo DiCaprio dans ce drame historique romancé porté à l’écran. La performance de DiCaprio dans ce monument cinématographique nous a naturellement fait penser que l’acteur avait été récompensé d’un Oscar alors que ce n’est pas le cas. Au contraire, il lui a même fallu attendre près de 20 ans, plus exactement février 2016, pour obtenir l’Oscar du meilleur acteur dans The Revenant.
6 – 1984 de George Orwell
Nombreuses sont les personnes qui emploient un moyen mnémotechnique pour se rappeler la date de parution du roman de George Orwell. Il s’agit de permuter les deux derniers chiffres du titre, ce qui donne 1948. En vérité, le livre a paru en 1949 et non en 1948.
7 – Les pyramides de Gizeh
Vous avez toujours appris que les pyramides de Gizeh étaient trois, n’est-ce pas ? Khéops, Khépren et Mykérinos ? Eh bien non. Les pyramides de Gizeh sont un groupe de 6 pyramides : trois grandes et trois petites.
Effet Mandela : un phénomène de masse
Nos opinions, croyances et pensées sont fortement influencées par notre entourage et notre environnement. C’est ce que montre le sociologue Maurice Halbwachs dans son livre « Les cadres sociaux de la mémoire » (Ed. Presses universitaires de France, 1925). Halbwachs démontre la puissance de la mémoire collective dans la conception de souvenirs et notamment de faux souvenirs. L’entourage permet en effet de renforcer la mémorisation d’un souvenir. L’environnement dans lequel nous évoluons possède un rôle déterminant dans la remémoration en ce sens qu’il infléchit nos souvenirs, notre perception de la réalité et peut corroborer des situations déformées. L’environnement et l’entourage sont donc deux constantes explicatives de l’effet Mandela.
La mémoire collective peut consolider des souvenirs falsifiés qui vont s’ancrer dans le système de croyances de l’individu. Elle peut ainsi fabriquer de faux souvenirs qui vont contaminer les autres. Il s’opère alors une forme de « contagion sociale » comme l’explique la psychologue Maria Fatima Seppi Vinuales. Cette contagion va, comme son nom l’indique, se répandre et déformer les croyances des autres, ce qui aura pour effet de créer un souvenir collectif erroné.
Comme le soulignent Deepasri Prasad, doctorante en neurosciences cognitives à Dartmouth College, et Wilma Bainbridge, professeure assistante en psychologie à l’Université de Chicago, dans un article paru sur The Conversation en 2022, « les gens ont tendance à se souvenir et à oublier les mêmes images que les autres, quelle que soit la diversité de leurs expériences individuelles. (…) Récemment, nous avons montré que ces similitudes dans nos souvenirs s’étendent même à nos faux souvenirs ».
Si l’effet Mandela peut toucher une personne en particulier dans le cas d’expériences et vécus personnels, en réalité, personne n’en est à l’abri. Pour la simple et bonne raison que nous vivons en communauté et que les autres peuvent nous transmettre leurs croyances fausses auxquelles nous allons progressivement adhérer à force de les entendre.