On nous vend souvent la « quête du bonheur » comme une sorte de destination ultime à atteindre une fois qu’on aura coché toutes les cases : une carrière prometteuse, une vie sociale épanouie, une santé de fer et, bien sûr, une confiance en soi à toute épreuve. Une étude du National Bureau of Economic Research publiée en février 2025, commandée par les Nations Unies, vient de briser ce mythe persistant. Selon cette recherche, ressentir de la tristesse ou de l’anxiété entre 12 et 25 ans est non seulement courant, mais aussi totalement normal.
Le « creux » du bonheur chez les jeunes adultes
Pendant longtemps, on a cru que le fameux « creux de la courbe du bonheur » apparaissait autour de la quarantaine, cette fameuse « crise de la quarantaine » dont on parle tant. Surprise : les chercheurs ont remarqué une dépression émotionnelle bien plus précoce. La courbe du bonheur ne suit plus une forme de U classique, avec une baisse notable autour de 40-50 ans, mais commence à plonger dès l’adolescence, voire dès la préadolescence.
Comment expliquer ce phénomène ? La jeunesse est censée être cette période dorée où tout est possible, où l’on est porté par l’énergie des découvertes, de la liberté et parfois de l’amour naissant. La réalité des jeunes aujourd’hui est bien différente. Crises économiques, urgence climatique, conflits géopolitiques, pression sociale constante… les chercheurs suggèrent que « cette génération est confrontée à un niveau d’incertitude sans précédent ».
Grandir dans un monde où les repères sociaux, économiques et environnementaux sont en constante mutation crée une forme de stress chronique. Impossible de se projeter dans un avenir stable quand le sol semble s’effondrer sous nos pieds.
Le poids de l’incertitude et des crises mondiales
La pandémie de COVID-19 a été un tournant majeur. Du jour au lendemain, les repères ont disparu : confinement, isolement, angoisse sanitaire… Ce traumatisme collectif a laissé des cicatrices profondes, surtout chez les jeunes. La crise climatique, avec son lot de catastrophes naturelles et d’alertes scientifiques, ajoute une couche supplémentaire d’angoisse existentielle.
Face à cette accumulation de crises, le sentiment d’impuissance est omniprésent. Comment être heureux quand l’avenir semble si fragile ? Comment envisager une carrière professionnelle ou une vie de famille épanouie alors que la planète brûle (littéralement) et que les inégalités sociales explosent ? Ce sont ces questions lourdes qui pèsent sur les épaules de la génération actuelle, selon l’étude du National Bureau of Economic Research.
Les réseaux sociaux : un amplificateur du mal-être
Et comme si cela ne suffisait pas, il y a aussi la pression constante des réseaux sociaux. Une étude de 2025 en collaboration avec Microsoft a mis en lumière une corrélation directe entre l’usage intensif des smartphones et une dégradation du bien-être mental. Sur Instagram ou TikTok, on est constamment exposé à des vies parfaites : corps sculptés, voyages paradisiaques, relations amoureuses idylliques… difficile de ne pas se comparer.
Cette culture de la comparaison permanente mine la confiance en soi et alimente le sentiment d’inadéquation. Résultat : une explosion des troubles anxieux et des états dépressifs. Le documentaire « Derrière nos écrans de fumée » (« The Social Dilemma ») avait d’ailleurs déjà tiré la sonnette d’alarme en 2020 : les algorithmes des plateformes sont conçus pour capter notre attention en jouant sur nos insécurités. Plus on se sent mal, plus on scrolle, et plus on se compare. C’est un cercle vicieux, presque impossible à briser.
Ce mal-être n’est pas une fatalité
Heureusement, il y a une lueur d’espoir. L’étude révèle également que « le bonheur a tendance à remonter naturellement avec l’âge ». En vieillissant, on apprend à mieux gérer ses émotions, à relativiser et à accepter l’imperfection de la vie. Le sentiment de sécurité intérieure remplace alors progressivement le besoin de validation externe.
Cette période de mal-être chez les jeunes adultes ne doit donc pas être vue comme une anomalie ou une défaillance personnelle. C’est une « réponse normale à un contexte mondial difficile et incertain », note l’étude du National Bureau of Economic Research. Et la bonne nouvelle, c’est que la résilience joue un rôle clé dans ce processus. Apprendre à accepter ses émotions, à les comprendre plutôt qu’à les fuir, est une étape essentielle vers le mieux-être. Les solutions ne sont pas simples, mais elles existent :
- Prendre du recul par rapport aux réseaux sociaux : se rappeler que ce qu’on voit en ligne est une version filtrée et idéalisée de la réalité.
- Parler de ses émotions : la vulnérabilité n’est pas une faiblesse, c’est une force. S’ouvrir à des amis ou à un professionnel de santé mentale peut réellement faire la différence.
- Accepter que le bonheur n’est pas linéaire : il y aura des hauts et des bas, et c’est normal. La clé est d’apprendre à naviguer à travers ces fluctuations.
Oui, traverser une période de tristesse à l’adolescence ou au début de l’âge adulte est difficile, mais cette étude nous rappelle une chose essentielle : ce n’est pas une défaillance personnelle. Ce sentiment de mal-être est une réaction humaine face à un contexte mondial instable. Et la tristesse à cet âge n’est pas une fin en soi. C’est une étape, un passage qui, avec le temps, laisse place à une forme de paix intérieure plus durable.