Depuis un an, les confinements viennent s’installer durablement dans notre quotidien. Les routines se ressemblent, les moments de plaisir s’estompent et la solitude ronge notre moral. Isolé·e·s du monde extérieur, parfois dans de petites superficies, les nerfs lâchent. Pour ne pas sombrer dans la dépression, on se raccroche alors à l’univers virtuel. Les écrans maintiennent les liens sociaux et coupent momentanément l’isolement. On jongle entre visioconférences, apéros 2.0 et appels téléphoniques interminables.
La toile est devenue un lieu rassurant. Mais cette alternative pixellisée ne remplace pas les verres en terrasse et les pique-niques au grand air. Selon la science, ce manque de relations humaines pourrait avoir de lourdes répercussions sur le cerveau. Ces cloisonnements, qui surviennent parfois de façon impromptue, auraient le même impact qu’une privation de nourriture. Décryptage.
Des expériences éclairantes
Distanciation sociale, port du masque et absence de distractions… face à ces innombrables restrictions, on se sent totalement impuissant. Un grand sentiment de frustration taraude les esprits. Le 31 mars dernier, Emmanuel Macron siégeait sur nos postes de télévision pour énumérer de nouvelles mesures nationales. Une impression de « déjà vu » qui jette un froid dans le dos à l’orée des beaux jours.
Le scénario se répète une fois de plus. Ce discours teinté d’amertume résonne comme un coup de massue. Les Français·es replongent la tête la première dans cette bulle oppressante. Cette période anxiogène attise la curiosité des scientifiques. Comment le corps réagit-il à cet enfermement ? Est-ce que le cerveau déclenche des mécanismes pour se protéger ? Ces questions ne datent pas d’aujourd’hui.
Dans les années 50, le psychologue canadien Donald Hebb a tenté une expérience particulière, mais avant-gardiste. Le spécialiste a payé des étudiant·e·s pour qu’ils restent seuls dans des pièces exiguës et insonorisées durant plusieurs semaines. Cet isolement a été poussé à l’extrême. Afin d’obtenir des résultats plus rapidement, il a restreint tous les sens. La poignée de volontaires a été équipée de visières opaques, de gants en coton et de poignets en carton. Le magazine Scientific American précise que les cobayes étaient allongés sur des oreillers en mousse pour limiter les bruits ambiants.
Le cerveau donne l’alerte et les effets néfastes s’amorcent
Après seulement quelques heures, les étudiant·e·s étaient très agité·e·s. Certain·e·s se sont laissé·e·s déborder par les émotions tandis que d’autres ont été traversés par des sensations étranges. Dans plusieurs cas de figure, les étudiant·e·s ont eu des hallucinations. Un effet démesuré qui prouve que leur esprit leur joue des tours lorsqu’il se sent en danger. Une fois libérés de cette posture inconfortable, ces êtres dévoués ont été soumis à des tests. Résultat : leurs performances mentales ont été fortement perturbées.
Les humains sont rarement confrontés à une mise en scène aussi dantesque. Pourtant, même à petite échelle, la solitude aurait des répercussions sur la santé. D’après un article du magazine américain Wired, les personnes ayant des relations sociales élevées ont une probabilité de survie de 50 % par rapport à celles qui restent en retrait. Se retrouver piégé dans son propre logement, sans pouvoir y échapper, se creuser les méninges pour dénicher de nouvelles activités manuelles… cet énième huis clos s’avère dévastateur. Une enquête menée par l’Ifop pour l’association Astrée en témoigne. Près d’un·e français·se sur cinq souffre de cet isolement social et les étudiant·e·s restent en tête de lice. Ce mal-être incontrôlable augmenterait les risques de maladies cardiovasculaires et doperait la dépression.
Les confinements vécus comme un enfer
Heureusement, des âmes charitables volent à la rescousse des personnes isolées. Les étudiant·e·s peuvent par exemple se tourner vers la plateforme « Nightline » si il·elle·s ressentent le besoin de se confier. Les séniors, eux, peuvent communiquer par voie postale grâce au dispositif « 1 Lettre, 1 Sourire ». Ces alternatives bienveillantes permettent de rompre la monotonie. Mais que se passe-t-il lorsque nous nous retrouvons totalement privés de contacts sociaux ? C’est ce que deux chercheuses du laboratoire du MIT, Institut de Technologie du Massachusetts, ont analysé dans une étude parue en avril 2020. Les chercheurs ont fait appel à 40 adultes et leur ont demandé de passer 10 heures sans objets connectés, ni livres papier. Les participant·e·s pouvaient uniquement réaliser des puzzles ou écrire.
Après cet isolement social poussé, les experts ont réalisé des IRM fonctionnelles. Résultat: après seulement une journée d’isolement totale, ils ont signalé beaucoup plus de désirs sociaux, de solitude, d’inconfort, d’aversion pour l’isolement et de diminution du contentement. Ces sensations sont aussi décrites lors d’un jeûne. Une corrélation loin d’être hasardeuse qui prouve que les liens humains sont aussi vitaux que le sommeil ou la nourriture. Ces résultats confirment que « les interactions sociales positives sont un besoin humain fondamental, et la solitude aiguë est un état d’aversion qui motive les gens à réparer ce qui manque, comme la faim », déclare dans un communiqué du MIT Rebecca Saxe, co-auteure de l’enquête.
Les pensées sombres s’immiscent sans prévenir
Cette période de léthargie nationale est un joyau pour la science. De nombreuses recherches ont été instaurées depuis le début de la crise sanitaire. Les réponses apportées par ces spécialistes entendent solutionner les multiples problèmes de santé mentale.
La situation devient critique. Au Japon, 21 000 personnes se sont suicidées l’an dernier, soit 750 de plus qu’en 2019. En France, il est trop tôt pour se prononcer, mais les dégâts psychologiques de la crise se font déjà ressentir. D’après la Fondation FondaMental, près d’un jeune sur trois a eu des « pensées suicidaires » ces derniers mois.