Le droit Ă l’avortement a toujours Ă©tĂ© fragile. MĂŞme dans les pays dĂ©veloppĂ©s oĂą l’accès Ă l’interruption volontaire de grossesse (IVG) semble acquis, il reste un droit perpĂ©tuellement discutĂ©. Preuve en est des États-Unis en juin 2022 et l’arrĂŞt Roe v. Wade qui a annulĂ© dans plusieurs Ă©tats le droit constitutionnel d’accès Ă l’IVG. Pourtant, l’interdiction Ă l’avortement ne mène pas Ă la fin du recours Ă celui-ci. C’est le dĂ©but de la multiplication d’avortements clandestins et par consĂ©quent lĂ©taux. En France, le droit Ă l’IVG n’est toujours pas inscrit dans la Constitution. La loi Veil peut donc ĂŞtre menacĂ©e un jour. Voici pourquoi rendre l’avortement illĂ©gal mène Ă plus de danger pour les personnes y ayant recours.
Les répercussions de l’avortement illégal
Entre le début et la fin de votre lecture de cet article, une personne aura succombé à la suite d’un avortement clandestin. En effet, les conséquences sont explicites : 1 personne meurt toutes les 9 minutes des complications d’une IVG non-encadrée.
Pourtant, le 23 janvier 2024, le prĂ©sident du SĂ©nat GĂ©rard Larcher a annoncĂ© s’opposer Ă l’inscription du droit Ă l’avortement dans la Constitution française. De leur cĂ´tĂ©, les dĂ©putĂ©.e.s ont largement approuvĂ©, dans le nuit du 24-25 janvier, son inscription dans la Constitution. Le vote de l’AssemblĂ©e nationale doit avoir lieu le 30 janvier…
Des conditions d’action dangereuses
L’avortement semble avoir toujours existĂ© – ses premières pratiques remonteraient Ă l’AntiquitĂ©. Herbes, potions, curetage… les techniques abortives sont Ă©tudiĂ©es depuis des millĂ©naires. Pourtant, il reste un acte mĂ©dical important qui, mal fait, peut mener Ă des consĂ©quences sans prĂ©cĂ©dent sur la vie de la personne enceinte.
Dans les dangers les plus souvent observés dans le cas d’IVG illicites, on retrouve des hémorragies internes, des perforations utérines, des lésions. Tant de complications qui ne peuvent être traitées a posteriori de par l’interdiction de l’acte initial et l’absence de médecin formé.e à proximité. Comment demander un soin suite à un acte illégal qui peut être passible de peines de prison ?
L’Organisation Mondiale de la SantĂ© dĂ©nombre le dĂ©cès de « 30 femmes (…) pour 100 000 IVG non-sĂ©curisĂ©s pratiquĂ©s dans les rĂ©gions dĂ©veloppĂ©es ». L’avortement illĂ©gal reprĂ©sente donc 4,7 Ă 13,2 % des causes de dĂ©cès maternels dans le monde.
Des médecins pris.es entre deux eaux
En 2021, un mĂ©decin Ă©tasunien signait une tribune dans laquelle il racontait avoir pratiquĂ© une IVG dans l’État conservateur du Texas. MalgrĂ© sa connaissance des consĂ©quences judiciaires de son acte, il explique « avoir agi en accord avec son ‘obligation de soins‘ envers sa patiente, et par respect pour ‘son droit fondamental’ Ă ĂŞtre prise en charge ».
Le propre des métiers médicaux repose sur le fait de soigner. Pourtant, les lois contre l’avortement vont à l’encontre de cette éthique. En effet, rien qu’aux États-Unis, on parle d’accès à l’avortement seulement « si la vie de la mère est en danger ». De par cette définition vague, de nombreuses équipes médicales se sont retrouvées face à des cas de conscience complexes.
« Une femme ayant fait une fausse couche a saignĂ© pendant dix jours alors que l’équipe mĂ©dicale hĂ©sitait Ă Ă©vacuer le fĹ“tus. (…) Un mĂ©decin qui traitait une patiente dans une situation similaire a consultĂ© un avocat qui lui a conseillĂ© d’attendre, ce qui a mis la vie de cette femme en danger. (…) Deux Ă©tudes ont montrĂ© que dans plus d’une vingtaine de cas, les mĂ©decins ont retardĂ© leurs interventions, augmentant les risques d’infection », notait le mĂ©dia Marianne. Des soignant.e.s piĂ©gĂ©.e.s entre leur propre danger et celui de leurs patient.e.s, donc.
La preuve du refus d’auto-détermination des personnes sexisées
Un « respect du vivant » à géométrie variable
Si les justifications contre l’accès à l’IVG parle d’une « protection du vivant », elles semblent occulter la santé des personnes enceintes. Les premières victimes des lois anti-avortement se voient retirer leur droit fondamental à disposer de leur corps. L’ONU alerte sur les conséquences de son absence en précisant que « ces interdictions pourraient conduire à des violations des droits des femmes à la vie privée, à l’intégrité et à l’autonomie corporelles, à la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction, à l’égalité et à la non-discrimination et à la protection contre la torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants, ainsi que contre la violence fondée sur le genre ».
Un constatation qui n’est pas sans faire écho au discours de Simone Veil à l’Assemblée nationale en 1974 : « Parmi ceux qui combattent aujourd’hui une éventuelle modification de la loi répressive, combien sont-ils ceux qui se sont préoccupés d’aider ces femmes dans leur détresse ? ».
L’enfermement des femmes dans un rĂ´le de mère docile
Les motivations menant Ă une interruption volontaire de grossesse sont diverses et n’appartiennent qu’aux personnes concernĂ©es. Si l’histoire n’est pas toujours sombre, les raisons varient d’une personne Ă l’autre. L’arrivĂ©e d’un enfant n’est pas toujours une possibilitĂ©. « Il y a des adolescentes qui veulent poursuivre leurs Ă©tudes, des femmes violĂ©es, d’autres qui pensaient ĂŞtre mĂ©nopausĂ©es ou qui ont dĂ©jĂ quatre enfants et ne veulent pas d’une nouvelle grossesse. Les profils sont diffĂ©rents, mais la finalitĂ© est la mĂŞme », expliquait ClĂ©mence Chbatn sage-femme pour MĂ©decins sans frontières.
Encore une fois, la rĂ©flexion d’une lĂ©gislation autour des corps dits fĂ©minins met la lumière sur une idĂ©e Ă la peau dure. Le seul rĂ´le des femmes serait la maternitĂ©, telles de poules pondeuses. Exit leurs ambitions, leurs revenus, leur Ă©tat et toutes les raisons pouvant mener Ă la dĂ©cision de ne pas devenir mère. Car oui, devenir parent doit pouvoir ĂŞtre un choix.
Quand les hautes autoritĂ©s policent les corps, ce sont les figures de l’ombre qui prennent le relais. En effet, la figure de la sorcière avorteuse ou « Faiseuse d’ange » n’est pas qu’un mythe enfoui dans les histoires moyenâgeuses. Il s’agit parfois de mĂ©decins rĂ©pondant Ă leur devoir de soin. Parfois ce sont des personnes anonymes venant en aide Ă leurs pairs abandonnĂ©.e.s par les lois. Rendre l’avortement illĂ©gal ce n’est pas l’arrĂŞter, c’est multiplier les dangers qu’il implique. Cet acte mĂ©dical reprĂ©sente une dĂ©cision personnelle qu’il ne convient qu’à la personne concernĂ©e de prendre. Et comme tout acte mĂ©dical, il est un droit qui doit pouvoir ĂŞtre exercĂ© dans de bonnes circonstances, sans condition. L’avortement a toujours existĂ©, et existera toujours.