Pourquoi certaines femmes ont-elles l’impression que les antidouleurs n’agissent pas comme ils le devraient ? Ce constat, loin dโรชtre anecdotique, reflรจte une rรฉalitรฉ mรฉdicale prรฉoccupante. Depuis des dรฉcennies, la recherche biomรฉdicale a mis de cรดtรฉ les spรฉcificitรฉs biologiques fรฉminines dans lโรฉtude de la douleur. Ce biais a eu pour consรฉquence une efficacitรฉ moindre de certains traitements chez les femmes, et une prise en charge encore trop souvent inadaptรฉe.
Une recherche longtemps centrรฉe sur le corps masculin
Jusquโร trรจs rรฉcemment, la grande majoritรฉ des recherches sur la douleur ont รฉtรฉ menรฉes exclusivement par des hommes et sur des sujets masculins – quโil sโagisse dโรชtres humains ou dโanimaux de laboratoire. Dโaprรจs une analyse relayรฉe par Medical News Today, plus de 80 % des รฉtudes sur la douleur avant 2016 รฉtaient centrรฉes sur des participants masculins.
Cette exclusion des femmes รฉtait souvent justifiรฉe par ยซย les variations hormonales perรงues comme des facteurs perturbateursย ยป, au lieu dโรชtre considรฉrรฉes comme des variables essentielles ร analyser. Ce choix mรฉthodologique a eu des effets nรฉgatifs durables : les connaissances actuelles sur la douleur et les antidouleurs reposent encore largement sur des donnรฉes issues de sujets masculins.
Une efficacitรฉ inรฉgale selon le genre
Une รฉtude de 2021 publiรฉe dans la revue Brain, Behavior, & Immunity – Health a montrรฉ que lโibuprofรจne semble par exemple plus efficace pour soulager la douleur chez les hommes que chez les femmes. Cette mรชme รฉtude souligne que la prednisone, un corticostรฉroรฏde souvent prescrit, entraรฎne davantage dโeffets secondaires dรฉsagrรฉables chez les femmes, ce qui les rendrait plus rรฉticentes ร suivre des traitements avec des doses รฉlevรฉes.
Les scientifiques interrogรฉs dans le cadre de cette recherche indiquent que ยซย les diffรฉrences hormonales sont un facteur clรฉย ยป. Par exemple, l’ลstrogรจne, une hormone dite fรฉminine majeure, peut moduler la douleur de maniรจre complexe, tantรดt en lโamplifiant, tantรดt en lโattรฉnuant, selon sa concentration et sa localisation dans lโorganisme. La testostรฉrone, plus prรฉsente chez les hommes, agit de maniรจre opposรฉe, contribuant ร rรฉduire la perception de la douleur. Dans certains cas de douleurs chroniques, des traitements ร base de testostรฉrone sont mรชme envisagรฉs pour soulager les patients.
Des lacunes dans la formation mรฉdicale
Cette asymรฉtrie de connaissances trouve aussi ses racines dans lโenseignement mรฉdical. Dโaprรจs le tรฉmoignage relayรฉ par HuffPost UK de la cardiologue Martha Gulati, ยซย les cursus de mรฉdecine aux รtats-Unis prรฉsentent encore majoritairement le corps masculin comme rรฉfรฉrence par dรฉfautย ยป. Les spรฉcificitรฉs du corps fรฉminin sont, quant ร elles, relรฉguรฉes ร des thรฉmatiques dites ยซ spรฉcialisรฉes ยป, abordรฉes de maniรจre marginale dans les formations.
Cela engendre une mรฉconnaissance gรฉnรฉralisรฉe des symptรดmes fรฉminins, notamment dans des cas critiques comme lโinfarctus. Lร oรน les douleurs thoraciques irradiant dans le bras gauche sont enseignรฉes comme signes typiques, les symptรดmes plus frรฉquents chez les femmes – comme une fatigue extrรชme, des nausรฉes ou des douleurs dorsales – sont souvent mรฉconnus ou minimisรฉs.
Selon les spรฉcialistes, ยซย une prise en compte systรฉmatique des diffรฉrences liรฉes au sexe biologique dans tous les domaines mรฉdicaux est essentielle pour amรฉliorer la qualitรฉ des soinsย ยป.
Des efforts rรฉcents, mais encore insuffisants
Depuis 2016, les National Institutes of Health imposent aux chercheurs de justifier leur choix concernant le genre des sujets, quโil sโagisse dโhumains ou dโanimaux, pour lโobtention de financements. Cette exigence a permis dโaugmenter la participation fรฉminine dans les รฉtudes cliniques. Toutefois, le retard accumulรฉ reste consรฉquent, et les connaissances spรฉcifiques aux femmes sur la douleur sont encore loin dโรชtre complรจtes.
Certains mรฉdecins insistent sur ยซย la nรฉcessitรฉ de mieux intรฉgrer ces donnรฉes dans la pratique clinique et dans les protocoles de soins personnalisรฉsย ยป. Cela impliquerait notamment de revoir les recommandations de dosage, les stratรฉgies thรฉrapeutiques et lโinterprรฉtation des effets secondaires selon le genre du patient. Lโinรฉgale efficacitรฉ des antidouleurs chez les femmes nโest pas quโun problรจme pharmacologique : cโest aussi le reflet dโun dรฉsรฉquilibre structurel dans la maniรจre dont la science a รฉtรฉ menรฉe et enseignรฉe.
Lโinvisibilisation des femmes dans les รฉtudes mรฉdicales les expose ร des traitements moins adaptรฉs et ร une reconnaissance moindre de leur souffrance. Pour que la mรฉdecine progresse, elle devra davantage tenir compte de la rรฉalitรฉ vรฉcue par tout le monde, en intรฉgrant pleinement les diffรฉrences biologiques et hormonales, mais aussi les dimensions sociales qui influencent la santรฉ.