Effacer un souvenir comme on jette un vieux ticket de caisse ? Oublier une rupture difficile comme on supprime un vieux message vocal ? Voilà une idée qui fait rêver, ou frissonner. Ce « fantasme de science-fiction » est aujourd’hui en passe de devenir un sujet très sérieux pour les neuroscientifiques. Une équipe de chercheurs a récemment publié dans Nature Communications une étude qui explore une technique permettant de moduler – et potentiellement affaiblir – certains souvenirs traumatisants. Mais à quel prix ? Et surtout, est-ce une bonne idée ?
Une mémoire plus souple, moins tyrannique ?
Dans notre cerveau, la mémoire est souvent perçue comme un coffre-fort inviolable. Une fois qu’un souvenir s’y loge – surtout s’il est chargé d’émotions –, difficile de s’en débarrasser. Que se passerait-il si l’on pouvait rendre ce souvenir… flou ? C’est exactement ce que les chercheurs ont tenté de faire avec une méthode aux allures de hacking cérébral : la « fenêtre d’oubli ».
Ce moment très particulier survient lorsqu’un souvenir est en cours de reconsolidation, c’est-à-dire au moment où il repasse en quelque sorte par la case « édition » après avoir été rappelé à la conscience. En introduisant alors certaines images subliminales ou en manipulant volontairement la pensée, il devient possible de réduire l’intensité émotionnelle liée à ce souvenir. On parle ici de « l’ombre amnésique« , un joli terme pour désigner une sorte de brouillard temporaire qui vient désactiver, ou du moins calmer, certaines zones de la mémoire.
Vers une solution pour les personnes traumatisées ?
Les chercheurs y voient une véritable avancée thérapeutique, notamment pour les personnes souffrant de stress post-traumatique (PTSD). Car oui, un souvenir douloureux peut devenir une cage mentale, un poids permanent. Et si la science permettait de réduire cette charge, sans pour autant gommer totalement l’événement ? Ce serait comme baisser le volume d’un souvenir trop bruyant.
Dans l’étude, 48 volontaires ont été soumis à la méthode Think/No-think (TNT) : on leur a demandé d’associer des images à des mots, puis d’en bloquer volontairement certains rappels. C’est dans ces instants de « non-pensée » que des images négatives ont été introduites de manière inconsciente. Résultat ? Ces souvenirs étaient ensuite beaucoup plus difficiles à rappeler. Comme si le cerveau avait, par réflexe, préféré les ranger dans une boîte fermée à clé.
Attention, terrain glissant…
Avant de crier au génie, prenons un instant pour réfléchir. Tout cela n’est pas sans risque, ni débat. Johanna Rozenblum, psychologue clinicienne, résume en effet la problématique avec finesse : « En psychologie, il n’est pas question d’aider un patient à ôter une partie de sa vie, aussi dramatique soit-elle. Il est question au contraire d’apprendre à vivre avec ».
C’est là toute la complexité du sujet. Un souvenir traumatique fait partie de votre histoire. Il a peut-être façonné votre force, vos valeurs, votre résilience. Le retirer brutalement, c’est parfois comme arracher une page d’un livre en croyant qu’elle ne compte pas. Or, même les chapitres douloureux ont leur importance. Ils font de vous une personne complète, riche, forte – même si cette force s’est construite dans l’adversité.
Une aide, pas une baguette magique
Alors, cette « fenêtre d’oubli », miracle ou mirage ? La réponse se situe quelque part au milieu. Dans certains cas, notamment quand un souvenir est trop brutal pour être abordé directement en thérapie, cette technique pourrait jouer le rôle d’un tampon émotionnel. Un soutien ponctuel, une béquille temporaire, pour permettre au travail psychologique de se faire dans de meilleures conditions.
Les chercheurs sont clairs sur ce point : « il ne s’agit pas d’effacer totalement la mémoire, mais de moduler la souffrance ». Bien entendu, des études supplémentaires sont nécessaires pour comprendre les effets à long terme. Peut-on vraiment neutraliser une douleur sans altérer la personne que l’on est devenu ? Est-ce que cela pourrait modifier nos comportements, nos choix, nos relations ? Des questions cruciales, car la mémoire n’est pas une simple boîte noire : c’est un moteur de notre identité.
La possibilité d’effacer un souvenir fait autant rêver qu’elle effraie. Elle soulève des questions profondément humaines. La science avance, et avec elle, de nouveaux outils apparaissent. À nous, collectivement, d’en faire bon usage. D’accompagner, plutôt que d’effacer. D’aimer nos cicatrices, tout en accueillant les progrès qui peuvent nous aider à moins souffrir. Et si l’oubli devenait un soin, et non une fuite ? Voilà un beau défi pour les années à venir.