« Éveiller son féminin sacré », « se reconnecter avec son féminin sacré », « retrouver sa véritable essence féminine »… sur les réseaux sociaux, ces messages aux accents spirituels se bousculent derrière le hashtag #fémininsacré, qui compte 160 000 posts à son actif. Cette théorie constellée de mystères est un appel général à se débarrasser de la culture patriarcale, principalement grâce à des forces puisées chez Mère Nature.
En apparence, le féminin sacré se veut salvateur. Cependant, des gourous 2.0 et des charlatans ultra-connectés s’en servent pour attirer des femmes dans les filets « sectaires ». L’émancipation des femmes trouve ses limites. On vous explique.
Le « féminin sacré », qu’est-ce que c’est ?
Depuis plusieurs mois, la quête d’un « féminin sacré » agite la webosphère. Ce terme, qui regroupe aussi bien des rituels de « sorcière » new age que des vénérations astrales, est tellement repris qu’il a fini par devenir lui-même brouillon. Le « féminin sacré », transformé en vaste fourre-tout au gré de « mentor auto-proclamé », est en réalité un retour à l’essentiel.
Il consisterait à renouer avec notre nature profonde. Chacune d’entre nous serait dotée d’une part « originelle » et « pure », complètement étouffée par la société patriarcale. La théorie du « féminin sacré » invite les femmes à reconquérir cette énergie biologique déchue. Ce précepte, intimement lié aux divinités et aux énergies « occultes », est donc un fil rouge supposé tisser une vie libre.
C’est une sorte d’éveil spirituel au penchant girl power. La notion de « féminin sacré » a connu son heure de gloire entre -10 000 et -2 000 avant Jésus-Christ. À cette époque, le sexe féminin (alias l’origine du monde) était vénéré car considéré comme un miracle de la nature.
En pratique, le « féminin sacré » se traduit aujourd’hui par des incantations et des rites proches de la terre. Lorsqu’on inscrit « féminin sacré » sur Instagram, on tombe nez à nez avec des pendules divinatoires, des cercles de femmes, des oracles, mais aussi des pierres « magiques » puisées dans la lithothérapie et des potions herbacées.
Sur le principe, ce parcours initiatique dicté par la sororité est plutôt engageant. Cependant, il n y a aucun « guide de bonnes pratiques », de « notices », ni « d’avant-propos », chacune cherche son « féminin sacré » à sa sauce. Les dérives et les aberrations arrivent à pas feutrés, sur fond d’ésotérisme et de faux-semblants féministes.
Un concept détourné de sa principale visée
En 2015, l’actrice Gwyneth Paltrow vantait les mérites du bain de vapeur infusé à l’armoise sur le vagin sous couvert du « féminin sacré ». Cette méthode qui ressemble à une sombre blague ou à un canular du 1er avril a fait des émules. Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Le concept de « féminin sacré », victime d’un écho retentissant, a été complètement perverti. C’est comme si le jeu du téléphone arabe était passé par là, dénaturant le sens du « féminin sacré » de A à Z. Certains groupuscules surfent sur le côté « flou » du « féminin sacré » pour banaliser davantage la souffrance des femmes.
L’argument du « féminin sacré » gravite allègrement autour de sujets sérieux tels que l’accouchement ou les menstruations. Au micro de RTL Girls, une jeune femme témoignait anonymement de son expérience hostile avec des fidèles du « féminin sacré ». Après leur avoir avoué qu’elle prenait la pilule à cause de règles douloureuses, elle s’est heurtée à un mur de critiques.
« Je me suis fait insulter par plusieurs d’entre elles à ce sujet. On m’a dit que si j’avais mal pendant mes règles, c’est parce que je n’acceptais pas ma nature profonde de femme. C’est peut-être vrai mais en attendant, je souffre et la seule solution que j’ai trouvée est une solution médicamenteuse », confie une jeune femme sur RTL Girls
Ce courant de pensée, à la fois aléatoire et évasif, enracine un peu plus l’idée du sacrifice féminin. Même son de cloche pour l’accouchement, qui se doit le plus naturel possible, c’est-à-dire sans péridurale ni assistance médicale. Selon les préceptes du « féminin sacré », la naissance est le point d’orgue de cette « hyper-résistance » conjuguée au « elle ».
« Vous a-t-on dit que la douleur de la poussée serait la plus exquise que vous ayez jamais ressentie ? On vous a dit que vous alliez crier, mais vous a-t-on dit que vous alliez rugir ? », peut-on lire sur des groupes Facebook
Ces mantras, sous leur visage glorifiant et leur lexique « guerrier », peuvent rapidement virer à l’extrême voire tomber dans les injonctions sexistes. Rappelons que la douleur des femmes est régulièrement prise à la légère. Selon une étude américaine, à symptômes égaux, les femmes se voient prescrire des psychothérapies tandis que les hommes jouissent de traitements médicamenteux. C’est plus un rétropédalage qu’une réelle avancée.
Quand le « féminin sacré » tombe entre de mauvaises mains
Aujourd’hui, le « féminin sacré » est au centre d’un business lucratif. C’est une nouvelle lubie marketing ponctuée de « promesses » alléchantes et de discours volontairement « haut perchés ». Même la mannequin Kate Moss a exploré cette sphère en créant une ligne de cosmétique sobrement intitulée « Cosmoss ».
Au milieu des élixirs lunaires et des colliers en quartz estampillés « féminin sacré », des marabouts improvisés tentent aussi de glaner la confiance de femmes en « échec thérapeutique ». Les personnes victimes d’endométriose, qui doivent attendre en moyenne 7 ans avant une prise en charge, sont notamment dans le viseur de ces arnaques déguisées.
C’est en tout cas ce que révélait une récente enquête de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Stages, rituels, jeûnes, thérapies ou même « voyage au bout des sens » pouvant atteindre les 1 200 €… les entourloupes, soigneusement glissées sous un voile « bien-être » ont pris du galon.
« Les femmes atteintes d’endométriose sont doublement ciblées. Médicalement, d’abord, par des charlatans qui exploitent leur détresse avec des remèdes « miraculeux », et surtout très onéreux. Spirituellement, ensuite, par le « féminin sacré » et son dévoiement du féminisme à des fins mercantiles. Restons vigilant.e.s », détaillait la Miviludes sur Twitter
Hormis leur prix astronomique, ces rites sont aussi culpabilisants. C’est le cas de la « bénédiction de l’utérus », présentée comme une « technique énergétique qui cherche à harmoniser et synchroniser les énergies des femmes ». Même rengaine pour les cours d’hypnose à 570 € nommés « guérison du féminin blessé ». Plus terrible, le prétexte d’un utérus « pas clean » après un avortement est aussi massivement insufflé. Autant de méthodes qui exaspèrent les scientifiques.
La notion de « féminin sacré » regroupe tout et son contraire. Cette théorie, mise sur orbite au gré de livres et de posts Instagram oniriques, est ainsi à prendre avec des pincettes. Certain.e.s y voient une ouverture féministe tandis que d’autres la comparent à de la pure fantaisie. Finalement, chacun.e l’aborde différemment, preuve de sa signification bancale.