Le syndrome de Rokitansky (MRKH) concerne les femmes nées sans utérus, et avec une absence partielle ou totale du vagin malgré la présence d’ovaires, de trompes et d’organes génitaux externes normaux. Alors qu’il passe généralement inaperçu jusqu’à l’adolescence, une femme sur 4 500 est atteinte chaque année dans l’Hexagone. Face à une méconnaissance médicale, des professionnel·le·s de santé proposent pourtant des opérations. Mais à quel prix ? On fait un point complet sur la question.
Le jour où tout a basculé
Dans un article publié sur Slate.fr, Élisa, 17 ans, raconte le jour où sa vie a basculé :
« Vous avez deux ovaires, une partie du vagin et n’avez pas d’utérus, m’explique le gynécologue avant de claquer la porte »
Élisa, jeune adolescente, reste alors prostrée sur la table d’examen et n’ose sortir de la pièce. Elle se saisit de son téléphone pour en savoir plus sur ce que l’on appelle syndrome de MRKH ou syndrome de Rokitansky. En larmes, elle finit par retrouver sa maman afin de lui annoncer la nouvelle :
« On ne nous a rien dit de plus. On m’a annoncé ça comme ça. Comme une banalité. J’ai fait un déni au départ, je n’y croyais pas du tout. »
La puberté d’Élisa a déjà commencé, mais la jeune femme n’a jamais eu ses règles. Elle en parle avec ses copines et décide de faire une IRM. La sentence ne tarde pas à tomber : elle ne pourra pas tomber enceinte ni vivre de pénétration vaginale :
« Je pleurais tout le temps, je ne me reconnaissais pas. J’ai toujours été une personne positive, puis je suis devenue hypersensible. Heureusement, je ne suis pas seule. Il y a ma famille, mes ami·e·s et j’ai un petit copain qui me soutient ».
Première naissance d’un enfant après une greffe d’utérus en France
Toujours pour Slate, Amélie Victor, éducatrice en crèche et présidente d’Asso MRKH, raconte qu’elle a entendu beaucoup de témoignages tels que celui-ci. Elle se bagarre depuis 2006 pour informer le grand public sur ce syndrome. De fait, la naissance du premier enfant français après une greffe d’utérus a permis de sensibiliser :
« Il faut agir pour qu’il y ait plus de recherches. On sait peu de choses sur ce syndrome. C’est une mutation de gène qui intervient au cours de la sixième semaine de développement de l’embryon. Son effet, c’est de stopper la formation des canaux de Müller avant son terme ».
On estime qu’une femme sur 4 500 est atteinte. Selon Asso MRKH, ce chiffre est minimisé par rapport à la réalité. Pour Amélie Victor, le plus important est :
« De rompre l’isolement des femmes qui font face à ça. On écoute et on soutient. On a créé un forum de discussion (…), puis maintenant, ce sont les réseaux sociaux (…). »
C’est d’ailleurs sur un réseau social qu’Élisa a pu discuter avec Coline, 24 ans. Opérée de la méthode de Davydov il y a deux ans, elle a désormais un vagin fabriqué grâce à la paroi intérieure de l’abdomen. Une réussite, car la jeune femme est heureusement d’avoir aujourd’hui « une sexualité épanouissante« . Un chemin qu’Élisa a également décidé de suivre.
Méthode de Frank : dilater le vagin avec des bougies médicales
Si l’opération a été une réussite pour Coline, elle est néanmoins remise en question par certain·e·s spécialistes français·es. À l’image d’Alaa Cheikhelard, chirurgienne pédiatrique à l’hôpital Necker et experte du syndrome :
« Ici, cette opération n’est plus pratiquée depuis 2012. On recommande la dilatation naturelle. Car on a observé le même taux de satisfaction, les complications liées à la chirurgie en moins. »
Il s’agit de la méthode de Frank qui consiste à insérer des bougies de Hegar dans la cupule vaginale. Une technique qui fonctionne avec patience, persévérance et motivation, dès lors que la patiente se sent prête.
Pour la spécialiste, il est essentiel de rappeler qu’à la découverte du syndrome, il n’y a pas d’urgence :
« Dans le cas du syndrome de Rokitansky, il est évident que le problème de base n’est pas de créer un vagin. On peut aussi avoir une sexualité sans pénétration. Il faut prendre le problème dans sa globalité. Adopter des mesures au bon moment et par une équipe qui a l’habitude. »
Car le MRKH est considéré comme rare et peu connu du corps médical. Et certaines jeunes filles paient encore les erreurs médicales commises par ces médecins.
Une opération qui tourne au cauchemar
C’est le cas d’une jeune femme belge se faisant appeler « Lostmemory » sur sa page Instagram qui regroupe plus de 1 000 abonné·e·s. Dans une BD manga en ligne, elle raconte son calvaire.
À 15 ans, le diagnostic tombe. Elle doit faire un choix : opter pour la dilatation vaginale ou se faire opérer. La première idée ne la séduit pas. Elle choisit donc la chirurgie, même si ce procédé n’a encore jamais été tenté en Belgique. Une partie de son gros intestin va être extrait pour créer un vagin.
Lostmemory est opérée par une spécialiste argentine, entourée de plusieurs médecins. L’opération est même filmée. Son ventre est ouvert à plusieurs endroits pour faire passer caméra et outils. Un peu comme sur le principe de la sleeve gastrectomie. L’opération dure 8 heures et le réveil est brutal. Les jours se succèdent, l’adolescente a mal au ventre, elle est constipée et explique « qu’elle a des gazs qui sortent du vagin« .
Rien d’anormal selon les médecins. On lui donne des laxatifs et elle reste 10 jours à l’hôpital. Alors qu’elle se trouve en vacances chez ses grands-parents, elle ressent de très fortes douleurs et se rend compte que de la matière fécale sort de son vagin. Contacté en urgence et ayant lui-même du mal à y croire, le médecin encadrant se rend compte que le parcours des selles a été dévié.
Laxatifs et morphine
Lostememory doit attendre trois jours avant de se faire opérer, car les médecins estiment qu’il n’y a pas d’urgence vitale. Elle vit un enfer, entre prises de laxatifs avant l’opération et passages très fréquents sur les toilettes. Mais son calvaire ne fait malheureusement que commencer. À son réveil, ses intestins sont revenus au bon endroit, mais la jeune fille contracte une pneumonie qui l’affaiblit grandement. Viennent ensuite des constipations terribles qui la tordent de douleur.
Elle voit à ce moment-là un psychiatre, mais n’a aucun souvenir, tant elle est « shootée » par la morphine. De retour à l’école, elle lutte encore contre les douleurs, passant son temps à essayer d’aller aux toilettes. Retour à l’hôpital. Ses intestins sont bouchés. Rien d’anormal pour les médecins. Mais Lostmemory insiste : elle a mal !
De nouveau prise intense de laxatifs, jusqu’à ce qu’ils s’aperçoivent qu’une bride s’est installée dans son intestin. On lui ouvre le ventre et les médecins remarquent qu’un anneau s’est formé au niveau de son vagin (dû à la cicatrisation d’une précédente opération). Au final, il faut réaliser la dilatation avec les fameuses bougies médicales. La jeune fille est gênée, elle ne se sent pas prête.
Syndrome de Rokitansky : bloc coeliaque
Pourtant, des séances de dilatation de son vagin sont organisées à plusieurs reprises. Et ce, malgré les réticences et les cris de l’adolescente. Comme elle ne veut pas le faire seule, les médecins prennent le relais. On lui administre du gaz anesthésiant :
« Puis ils m’ont dit que j’étais trop grande pour le gaz. Qu’il fallait faire sans. Je ne me souviens plus de grand-chose à ce moment traumatisant. Juste de trois séances, mais il y en a eu plus. »
Malgré tout cela, les constipations continuent. Les douleurs de ventre de l’adolescente sont encore là. Son médecin décide donc de l’orienter vers une nouvelle technique de chirurgie : le bloc coeliaque. Une opération qui consiste à bloquer les terminaisons nerveuses responsables de la douleur. Il faudra cette fois-ci lui ouvrir le dos.
Lostmemory est transférée à l’autre bout du pays, car le procédé est rare et nouveau. À son réveil, la jeune fille ne sent plus ses jambes. Aujourd’hui, elle est en fauteuil roulant et cumule les soucis de santé. En Belgique, elle est considérée comme handicapée de catégorie 4 et perçoit une maigre indemnité pour vivre et n’a pas pu terminer sa scolarité :
« J’ai une phobie du corps médical. J’ai été un cobaye. Sur mon état, les médecins disent que c’est le choc psychologique. D’autres, que c’est enkysté. Et certains que la raison n’est pas encore connue (…). »
10 ans de procès
Désormais âgée de 27 ans, elle a gagné une partie de son procès au civil qui dure depuis plus de 10 ans. L’hôpital doit lui verser une grosse indemnité pour le reste de ses jours. Les versements ne viendront que si le jugement est confirmé, l’assurance de l’hôpital ayant fait appel :
« On ne m’a pas expliqué que le sexe, ce n’était pas que de la pénétration. On m’a dit : si tu veux une vie future, il te faut un vagin pour être pénétrée par un pénis. Je ne connaissais même pas mon orientation sexuelle, je n’avais même pas de petit copain (…). On m’a mis dans le crâne que c’était important (…). »
Lostmemory envisage de porter plainte au pénal pour viol, mutilations génitales féminines, torture, traitement inhumain et dégradant, coups et blessures volontaires et coups et blessures involontaires avec circonstances aggravantes.
Deux histoires terribles qui nous rappellent à quel point il est important d’informer. Bien sûr, vivre avec le syndrome de Rokitansky sans autant de complications est parfaitement possible. Les patientes peuvent d’ailleurs choisir de n’avoir recours à aucun traitement, tout en vivant « normalement ».