Les violences sexuelles balaient toute une intimité et résonnent comme un tsunami dans la vie des victimes. Viol, abus sexuels, harcèlement… ces actes perpétrés par de monstrueux personnages bouleversent le rapport que l’on entretient avec son corps. Un sentiment de honte qui colle à la peau, une impression d’être dépossédé de soi-même, la crainte de livrer son intimité à un homme… Autant de séquelles qui ne guérissent pas en un claquement de doigt. Se reconstruire prend du temps. Elsa Ballanfat, elle-même victime de violences sexuelles a écrit le livre « Le Corps Désabusé« . Au fil des pages, la philosophe nous donne des clefs pour mieux vivre l’après.
Les paroles se libérent
Chaque année en France, 93 000 femmes déclarent avoir été victimes de viol ou de tentatives de viol (données gouvernementales). Mais moins de 10 % d’entre elles franchissent le pas de la gendarmerie pour porter plainte. Pour elles, s’enliser dans un profond silence apparaît comme la seule façon d’échapper à ces instants cauchemardesques. Mais ces plaies indélébiles ressurgissent par phases et remettent en question toute une existence.
On se souvient tou.te.s de l’annonce d’Adèle Haenel qui avait secoué le monde du cinéma français. Adolescente, elle a été victime « d’attouchements » et de « harcèlement » de la part du réalisateur Christophe Ruggia. Avec cette révélation, l’actrice est devenue un emblème made in France de cette lutte et a permis d’ouvrir plus largement le débat. Grâce au mouvement #MeToo, les paroles se sont libérées mais le sujet, lui, n’est pas encore totalement maîtrisé par le grand public.
Éclairage : les violences sexuelles, c’est quoi exactement ?
La violence sexuelle est un terme qui englobe toutes les formes de violence, physiques ou psychologiques, qui se manifestent de façon sexuelle : agression sexuelle, exploitation sexuelle, cyberviolence sexuelle, inceste, viol… Il est important de préciser qu’elle ne nécessite pas forcément un contact physique. Forcer quelqu’un à poser nue, à se déshabiller face à sa caméra pendant une visioconférence ou à montrer ses parties génitales… ces requêtes aussi s’inscrivent dans la liste des violences sexuelles. Les violences sexuelles peuvent toucher toutes les familles, les enfants et les adolescent.e.s, de toutes les classes sociales et de toutes les cultures.
À noter aussi que dans 90 % des cas, les victimes connaissent leur agresseur. Bien souvent, l’auteur des faits côtoie le cercle intra-familial. Le film « Les Chatouilles », qui explore l’épineuse question de la pédophilie, en témoigne. Odette, une fillette de 9 ans, est prise entre les griffes d’un ami de ses parents. Il profite de sa force pour lui arracher des moments d’isolement et abuser d’elle. La Fondation Marie Vincent qui lutte contre les violences sexuelles envers les enfants et adolescent.e.s énumère les gestes et activités à caractère sexuel dont il faut avoir conscience :
- Attouchements
- Baisers à caractère sexuel
- Masturbation
- Contact oral-génital
- Pénétration ou tentative de pénétration
- Autres activités de nature sexuelle
- Comportements d’exhibitionnisme
- Comportements de voyeurisme
Les violences sexuelles laissent de nombreuses séquelles
Refoulé, enfoui dans l’inconscient, oublié ou renié… chaque victime appréhende le traumatisme différemment. Mais dans de nombreux cas, l’amnésie traumatique se normalise. Elsa Ballanfat, auteure de l’essai « Le Corps Désabusé », en a d’ailleurs fait l’expérience. Pendant un temps, elle a occulté ces horreurs auxquelles elle a été confrontée. Agressée sexuellement à deux reprises pendant son adolescence et à 26 ans, la jeune femme a fait face à des symptômes de refoulement.
Perte de cheveux, angoisses, perte de sensations, douleurs au dos, crises d’immobilisme… le cerveau se met sur le mode « auto-défense » et empêche les souvenirs de remonter à la surface. Cette amnésie dérègle certaines fonctions essentielles comme la perception ou la mémoire. Une enquête Ipsos 2 de 2019, commandée par l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, dévoile que « 39 % des victimes ont connu des périodes d’amnésie qui pour un tiers d’entre elles ont duré plus de 20 ans ».
Anxiété, dépression, baisse de l’estime de soi, troubles du sommeil, addictions, automutilation, suicide, affections psychiatriques… les dégâts psychologiques sont multiples et mettent un terme au bonheur des victimes. Sur le plan sexuel, les conséquences aussi sont graves. La victime peut observer des douleurs chroniques ou encore des fibromes.
Une sexualité à rebâtir pas à pas
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Réapprivoiser son corps
Certaines disciplines sportives peuvent s’avérer très efficaces pour retisser un lien fort avec son corps et créer une nouvelle complicité avec son enveloppe charnelle. Violaine Guérin, présidente de l’association « Stop aux violences sexuelles » s’est réfugiée dans l’escrime. Elsa Ballanfat, elle, s’est tournée vers un sport plus doux : le yoga.
Ainsi, le corps est comme « déverrouillé », il renaît de ses cendres et fait de nouveau circuler ses énergies. Attention, il ne faut pas que la pratique soit outrancière et apparaisse comme un échappatoire malsain. Dans le film « Les Chatouilles », la protagoniste danse sans arrêt, presque à s’en faire mal. Or, ici le but est de prendre du plaisir, de s’offrir une pause réparatrice, un moment de bien-être. Les thérapies corporelles permettent aussi de redessiner un périmètre de sécurité autour de soi et de se débarrasser de la charge émotionnelle qui plane encore.
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Oser en parler
Cela peut sembler tout simple mais crier ou hurler permet d’évacuer une bonne dose de rage. Ou simplement écrire sur un papier tous les souvenirs effroyables qui viennent en tête, mettre en mot cette haine peut libérer d’un poids. Passer le cap du rendez-vous chez le spécialiste peut s’avérer impossible et pourtant c’est le seul moyen d’évincer la souffrance. De nombreuses associations aussi sont prêtes à répondre aux interrogations, à rassurer et à accompagner chaque victime en détresse. Sur Facebook, on trouve également des groupes privés, dans lesquels la parole est libre et où les parcours de vie se superposent.
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Se réconcilier avec la sexualité
Après avoir vécu des violences sexuelles, la vie intime est complètement chamboulée. Les ébats ne sont plus perçus de la même manière, il y a une plus grande retenue. Même si la victime a trouvé l’amour, au lit, elle sera dans le contrôle et se privera de plaisir. Le.a partenaire doit être compréhensif.ve, il.elle doit rassurer sa compagne et lui redonne confiance. La guérison n’en sera que meilleure.
En couple, il est important de miser sur la partie ludique, de s’adonner à des jeux par exemple. Chacun peut écrire ce qui lui plaît ou non dans l’intimité. Cela permet de casser le côté strict et d’éviter de braquer la victime pendant un rapport. L’ouvrage d’Elsa délivre une note positive à ce sujet et confirme qu’il y a toujours une lumière au bout du tunnel.
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Se débarrasser du sentiment de honte
Selon une étude de l’institut Jean Jaurès, « 63 % des victimes de viols indiquent ressentir des effets très importants sur leur sexualité ». Après un abus, peu importe l’âge auquel il a été vécu, les victimes se sentent sales et développent une honte qui resurgit lors des moments intimes. Les orgasmes ne font plus partie des priorités et l’épanouissement est placé aux oubliettes.
Souvent, les victimes s’infligent une souffrance en ayant des relations toxiques avec cette domination de l’autre en toile de fond. C’est uniquement en consultant un sexologue ou un psycho-thérapeute que ce cercle vicieux peut cesser. La prise en charge est le meilleur remède pour avancer.
Nous sommes au 21ème siècle et pourtant les violences sexuelles sont toujours minimisées, voire tabous. Heureusement, la culture lève le voile sur cette terrible problématique. Les livres jeunesse comme « Ça suffit les bisous » ou « Respecte mon corps » éduquent les esprits des enfants, tout en les sensibilisant.
Pour aborder la sexualité sans filtre et de façon décomplexée, rendez-vous sur notre forum rubrique Sexualité, Vie de couple.