Le 7 juillet 2023 aurait pu être le jour où elle donnait la vie. Un événement entouré de larmes, de cris, de sueur et de ces fameuses premières respirations. Au lieu de ça, elle s’est réveillée dans une chambre paisible, baignée par la lumière matinale, son chien ronflant à ses pieds et son compagnon à ses côtés. Et contre toute attente… elle allait bien. Pas de sanglots, juste un calme silencieux, presque solennel. Elle n’était pas devenue mère ce jour-là. Elle avait décidé de ne pas l’être. Ce témoignage, publié dans la rubrique HuffPost Personal par Victoria Lo Bue – écrivaine sicilienne-américaine, est une déclaration. Un cri feutré. Celui d’une femme qui, au fil des semaines, des hésitations et des prises de conscience, a trouvé la paix dans une décision que la société juge souvent à coups de regards lourds et de silences gênés : l’avortement.
Deux barres, un électrochoc
Elle avait 33 ans, une carrière bien installée, une vie affective stable. Et pourtant, ce jour-là, en voyant ces deux petites barres roses apparaître sur le test, le monde a vacillé. Ce n’était pas une surprise heureuse, ni une « erreur de parcours » dont on rirait plus tard. C’était un coup de tonnerre.
Elle appelle sa mère. Une femme forte, du genre à avoir élevé ses enfants dans les tourbillons d’un quotidien sans repos. Une mère tombée enceinte trop jeune, par obligation plus que par choix, dans un Texas qui interdit aujourd’hui même la possibilité de décider. Elles pleurent ensemble, à distance. Entre les sanglots, il y a un fil qui se tend, une transmission qui s’opère : tu peux faire un autre choix que le mien. Et ce choix, elle le fait.
Un corps en résistance
Son corps ne voulait pas de cette grossesse. Ou plutôt, il la vivait comme une agression. Fatigue extrême, migraines persistantes, une santé déjà fragilisée par une thrombose pulmonaire passée – cette grossesse n’était pas seulement non désirée, elle était dangereuse.
Et puis, au-delà du corps, il y avait l’intuition. Cette petite voix, calme mais sûre, qui répétait sans cesse : « Je ne veux pas être mère. Pas maintenant, pas dans ces conditions. Peut-être jamais. Et c’est OK ».
Avec son compagnon, elle liste alors les « pour » et les « contre », comme on pèse une décision de déménagement ou d’achat de voiture. Dans la colonne des « pour » : à peine quelques mots. Dans celle des « contre » : une litanie de vérités. Et au milieu, une phrase qui résonne fort : « Je ne suis tout simplement pas intéressée par le fait d’être mère ».
Un soin enveloppant, et c’est tout ce qu’on demande
Ce qui suit, c’est une IVG chirurgicale. Reportée une première fois à cause d’un test COVID positif – l’ironie n’échappe pas à cette femme déjà fatiguée par les calendriers médicaux. Finalement, la nouvelle date tombe presque à l’anniversaire de son hospitalisation passée. Encore une date à marquer. Encore une empreinte dans son calendrier intime.
Ce jour-là, à la clinique, elle est accueillie avec douceur. Une infirmière lui tient l’épaule. L’anesthésiste lui demande de penser à un souvenir heureux. Elle choisit les tomates cerises du jardin. Elle s’endort. À son réveil, elle grignote des crackers salés, comme une enfant qui aurait été très courageuse chez le médecin.
L’opération est qualifiée de « non évènementielle ». Et pourtant, pour elle, c’est tout l’inverse. C’est un tournant. Un espace-temps suspendu où elle a été traitée avec respect, où son choix a été reconnu, validé, accompagné. Elle se rend compte que c’est un luxe aujourd’hui aux États-Unis. Un privilège. Et que dans d’autres États, d’autres pays, d’autres corps ne connaissent que l’hostilité, la honte, la douleur.
Le 7 juillet : le jour où rien ne s’est passé
Et nous voilà de retour ce 7 juillet. Elle ouvre les yeux. Elle respire. Elle est vivante. Elle n’a pas de bébé dans les bras. Elle n’a pas de couches à changer, pas de cris de nouveau-né à apaiser. Elle a un maillot de bain à enfiler, un chien à nourrir, une piscine dans laquelle plonger. Elle nage jusqu’au fond, retient son souffle. Et quand elle remonte, elle renaît un peu.
Elle ne regrette rien. Ni le test de grossesse. Ni la décision. Ni le jour où elle aurait pu accoucher. Ce qu’elle regrette, c’est que tant d’autres n’aient pas le droit d’en faire autant. Elle finit son témoignage comme on claque une porte trop longtemps restée entrouverte. Une phrase simple, mais terriblement puissante : « Regarde comme je suis libre. Prends ma photo ».
Et c’est ça, au fond, le cœur de son message. L’avortement, ce n’est pas la fin d’une histoire. C’est le début d’une autre. Une où le corps redevient sien. Une où la vie s’écrit en pleine conscience. Une où la liberté est réelle, tangible, photographiable.