Déni de grossesse : ces femmes témoignent pour briser le tabou

Vivre une grossesse sans s’en rendre compte, apprendre qu’on est enceinte la veille de l’accouchement, accoucher à la surprise générale… Des femmes de tous âges et de tous les milieux sociaux peuvent être concernées par le déni de grossesse. Un phénomène « mystérieux » qui suscite de nombreuses interrogations, en plus d’être source de souffrances, tant physiques que psychologiques pour ces femmes.

Comment une grossesse peut-elle passer inaperçue ? Comment se digère une telle annonce ? Explications et plongée dans les histoires, poignantes, de celles qui ont vécu des grossesses « invisibles ».

Difficile de concevoir qu’une femme puisse attendre un bébé à son insu…

Chaque année, en France, on estime que le déni de grossesse survient entre 1 à 3 cas pour 1 000 naissances. C’est-à-dire entre 600 à 2 000 dénis de grossesses par an, d’après une étude de l’Association pour la santé de l’enfant dans son parcours de vie (AFPSSU). Parmi ces femmes, certaines découvrent qu’elles attendent un bébé seulement au moment d’accoucher ; on parle alors de « déni de grossesse total ». D’autres, en prennent conscience à un stade avancé de leur grossesse, (très) peu avant le terme, au 5ème, 6ème ou bien 8ème mois ; on parle de « déni partiel ».

Un phénomène troublant qui suscite bien des questions et un certain tabou dans notre société. Gaëlle Guernalec-Levy, auteure du livre « Je ne suis pas enceinte : Enquête sur le déni de grossesse » explique :

« La femme n’a pas conscience de l’être, elle est dans une absence de représentation de l’enfant. C’est un mécanisme actif d’oubli devant une souffrance psychique. Il y a une grossesse physique, mais pas de grossesse psychique. La femme vit ainsi comme si elle n’était pas enceinte. Il s’agit d’un trouble psychique ponctuel.
En faire une pathologie ce serait enfermer ces femmes dans la maladie psychiatrique. Or, elles ne sont pas malades, encore moins folles. Celles qui font un déni de grossesse mettent simplement en place, de façon inconsciente, un mécanisme de défense très puissant. »

Durant toute cette période, le corps des femmes ne présente en effet aucun signe de grossesse. Pas de ventre et pratiquement pas de prise de poids. Elles ne sentent pas bouger leur bébé. L’état du corps ne change pas. Ce fut le cas pour Léa. Croyant à des coliques néphrétiques, elle se rend aux urgences. Elle en est ressortie avec un bébé, comme elle l’a expliqué dans un tweet devenu viral début octobre :

Elles sont enceintes sans le savoir, elles accouchent à la surprise générale… Mais comment expliquer cela ? Comment expliquer que le corps de certaines femmes refuse la grossesse au point de nier son existence ? Comment peut-on ignorer qu’un bébé grandit dans notre ventre ? Comment un tel phénomène peut-il se produire ? Même connu, le déni de grossesse continue de surprendre, et l’issue peut d’ailleurs être fatale pour le nouveau-né, comme en témoignage certains drames d’actualité.

« Le déni de grossesse se joue dans le non-dit. Une grossesse non perçue, c’est avant tout une grossesse qui n’est pas pensée. Et tant que les choses ne sont pas nommées, elles n’existent pas vraiment. Les psychologues ont un terme pour ça, ils parlent de « relégation ». Les raisons qui peuvent pousser une femme à « reléguer » sont multiples. Soit qu’elle se sent trop jeune pour avoir un enfant, soit que cette grossesse arrive à un moment mal choisi, soit qu’elle redoute la réaction du père, soit qu’elle ne se sent pas le droit d’être enceinte… Tous les scénarios sont possibles.
Dans le cas du déni, le bébé sent qu’il n’est pas forcément le bienvenu. Il se positionne alors différemment, très haut dans la cavité utérine, ou bien il s’allonge le long de la colonne vertébrale, ce qui explique l’invisibilité de la grossesse », détail le Dr Panel, gynécologue-osbtétricien.

« J’ai appris que j’étais enceinte une heure avant d’accoucher »

C’est un véritable choc pour toutes ces femmes. « Le coup de massue a été le moment où mon médecin m’a annoncé que j’étais à 26 SA de grossesse. Le monde s’est écroulé autour de moi : une grossesse se prépare en 9 mois, et non en 3 mois et demi ! », raconte Emma. Ces femmes n’ont finalement pas eu le temps nécessaire pour se faire à l’idée d’être mère. Une réalité qui ne date pas d’hier… En témoigne l’aventure médiatisée de Sheryfa Luna, gagnante de Popstars 2007. Rappelez-vous, elle est alors enceinte de six mois pendant l’enregistrement de l’émission, sans le savoir. Le témoignage de la jeune chanteuse, largement diffusé, a permis au plus grand nombre de découvrir la réalité du déni.

« « Ça n’arrive qu’aux autres », comme on dit… En mars 2019, ce phénomène que je connaissais pourtant m’est finalement tombée dessus. J’étais enceinte de 28 semaines donc presque 7 mois de grossesse. À cette période-là, je vivais ma vie d’étudiante en école de commerce : soirées, sorties avec mes amies et études. J’avais 21 ans.
Un jour, une amie à moi a fait un test de grossesse et parfois, ils se vendent par deux. Il y en avait donc un en trop, j’ai décidé de le garder. Je l’ai utilisé un samedi matin chez moi, premièrement pour vérifier « parce qu’on ne sait jamais » comme on dit, et puis pour rire, surtout. Je pensais vraiment que ça allait être négatif. Finalement non. Positif. Ma première réaction ? Fou rire. Pour moi, ce n’était pas possible… », confie Céline

Alex, elle, « souffre toujours de ce qui s’est passé ». Un mercredi de juillet, elle se réveille avec une douleur au ventre, plutôt forte. Son médecin lui suggère d’aller à l’hôpital ou de voir son gynéco, faute de disponibilité dans son cabinet. « « Vous êtes enceinte », me dit-il. C’est la stupeur totale ! « Vous êtes même « très » enceinte, le col est dilaté à un doigt ». Le samedi matin, à mon réveil, mon ventre est ­énorme ! Il est « sorti » la nuit précédente quand j’ai admis que j’attendais un bébé. À présent chaque mois, je fais une « fixette » sur mes règles. C’est la panique quand elles n’arrivent pas à la date prévue. Cette histoire est ancrée en moi ».

D’autres comme Marjolaine, n’ont jamais voulu être mère. Pourtant la vie en a décidé autrement… Il y a 4 ans, la jeune femme découvre qu’elle est enceinte de 5 mois. « Mon copain m’a emmenée aux urgences et un gynécologue m’a examinée et m’a dit cette phrase que je n’oublierai jamais : « oui y a de la vie là-dedans… Et il est en pleine forme ». Boum ! Jusque-là mon cycle était normal, je n’avais jamais cessé d’avoir mes règles, je n’avais pas du tout grossi non plus. Tout à coup sur l’écran de l’échographie on voyait un bébé déjà largement formé… ».

« Mon corps m’a caché cette grossesse » : la formule de Céline résume tout. Finalement, ces femmes s’endorment, parfois adolescentes, et se réveillent le lendemain enceintes, voire même sur le point d’accoucher. Une situation expliquée par Valérie, mère de famille qui a dû faire face au déni de grossesse de sa fille : « Ma fille avait seize ans, elle allait au lycée, avait un petit ami… La vie banale, quoi. Au mois d’avril de sa classe de première, elle n’a pas eu ses règles. Elle s’est inquiétée. Elle a fait un test de grossesse qui s’est avéré positif. Elle en a parlé à son frère et sa sœur. Ils craignaient notre réaction de parents. Du coup, on l’a su les derniers… Tout de suite, on est allés chez le médecin qui a prescrit une échographie. Là, on s’est aperçu que ma fille faisait un déni de grossesse, depuis cinq mois et demi. Je n’en revenais pas… ».

Mais pour certaines, l’événement, aussi brutal soit-il, finit par être accepté et bien vécu. « J’ai accouché le lendemain où je l’ai appris. À l’époque j’étais âgée de tout juste 17 ans. À l’hôpital, le docteur m’a tâté le ventre, et il a vu que j’avais énormément mal. Il a décidé de me faire un toucher vaginal. Il était 1 heure 30 du matin. Il m’a dit : « Il faut absolument monter en salle d’accouchement« . Là, j’ai vécu une grosse douche froide : j’étais donc en train d’accoucher. Il me monte en salle. Mon enfant est né à 2 heures du matin, le lundi. Toutes ces douleurs au ventre durant tout ce temps étaient donc des contractions ! Pourtant je n’ai eu aucun signe pendant 9 mois : pas de nausées, même pas senti le bébé bouger, rien… », raconte Éve.

Vous êtes directement ou indirectement concernée par un déni de grossesse ? Vous vous posez des questions ? Vous avez envie d’en parler ? N’hésitez pas à venir en discuter sur nos forums.

Elodie Pimbert
Elodie Pimbert
Journaliste « touche à tout », je suis Content Manager et rédactrice web pour le média The Body Optimist. Je m'intéresse à des sujets variés (écologie, sexualité, lgbtqia+, beauté, décoration, etc.) et ai à coeur de déconstruire les préjugés, stéréotypes et normes de notre société. Je scrute le web à l’affût des dernières évolutions et tendances. Ce n'est donc pas un hasard si j'écris et fais grandir depuis plusieurs années The Body Optimist.
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