Entre croyance populaire, stigmatisation basée sur le genre et critique des mœurs, le terme « nymphomane » est encore aujourd’hui bien présent sous une forme de sexisme ordinaire. La nymphomanie ayant été, au XIXe siècle, reconnue comme un trouble psychiatrique réservé aux femmes. Qu’en est-il aujourd’hui ? Quelle est de nos jours la perception que se fait la société de l’hypersexualité ? Pierre Dubol, psychologue clinicien membre du comité Psychologue.net fait le point.
Quelle réalité se cache réellement derrière ce terme ?
Parmi les termes qui mènent encore la vie dure à beaucoup de personnes, il en est un qui persiste à étiqueter quelqu’un en fonction de ses pratiques sexuelles, en termes de fréquence ou de diversité, il s’agit du terme « Nymphomane ».
S’il est si problématique, c’est parce que le mot « Nymphomane » est un terme passéiste qui visait avant tout à juger une personne (le plus souvent, une femme) qui avait un désir sexuel trop important par rapport à une norme imaginaire que l’on attendait d’elle… Mais on est forcément dans une forme d’erreur dès l’instant où l’on essaie de définir une norme dans les envies et les besoins sexuels de chacun.e, puisqu’il y a une forme de sexualité par personne et que les seuls critères qui priment semblent être ceux du plaisir et du consentement.
« Nymphomanie, addiction sexuelle, hypersexualité »
Et en général, les personnes qui utilisent le terme de « Nymphomane » ne sont pas dupes sur son aspect insultant et dénigrant. Il est d’ailleurs exclusivement utilisé pour critiquer négativement les mœurs de la personne.
Ajoutez à cela, une véritable touche décomplexée de sexisme et vous obtenez même une différence de traitement et de verbalisation en fonction du genre. Si c’est une femme qui a plusieurs partenaires, elle verra rapidement le terme de « Nymphomane » lui être inféré, lorsque le même comportement se passe chez un homme, il sera le plus souvent justifié : « c’est normal, l’homme est un chasseur », « c’est un séducteur ! ». On est bien d’accord, l’emploi du mot pose problème… Mais la terminologie n’est pas en reste.
Allez, si ça vous dit, on redéfinit les termes ensemble
C’est parti ! D’un point de vue clinique, depuis le début des années 90, on parle davantage avec les termes : « sexualité compulsive » et « hypersexualité« . Mais ici aussi, les scientifiques ne sont pas en accord sur les critères. Eh oui, ça ne serait pas drôle de tomber d’accord, ça voudrait dire donner la parole aux personnes concernées, voir une légitimité, imaginez un peu…
Blague à part, les études ont fait ressortir un point convergent. Celui-ci désigne un critère indéniable : le fait de ressentir une gêne ou de la détresse à cause de ce comportement. On parle donc d’un critère primordial, se désigner soi-même comme subissant des conséquences négatives de cet état. À aucun moment, l’établissement d’un diagnostic ne parle de la pertinence du jugement d’autrui. Donc on n’oublie pas que, même dans le cas où la personne subirait effectivement cette situation, on parle d’une douleur psychologique qui s’accompagnera toujours mieux si on n’appuie pas dessus avec de la honte ou de la violence.
Au coeur du sexisme ordinaire
Prenons tout de même un temps pour rappeler que même si la croyance populaire voudrait que les hommes aient plus de libido que les femmes, il n’y a, à ce jour, aucune preuve scientifique de cette affirmation. Bien au contraire, on perçoit une véritable similarité, seuls l’expression du désir et l’autocontrôle autour des envies ne sont pas les mêmes.
En effet, on perçoit une plus grande présence des agressions et crimes sexuels commis par des hommes que par des femmes. Et on remarque que l’expression du désir chez un homme va être jugée si elle manque. On parlera même « d’impuissance » lors de troubles érectiles. Le terme montre bien la représentation que l’on en a, imposant une véritable culture et anxiété de performance.
Quand, à l’inverse, si une femme n’exprime pas assez son désir, on parlera de « frigidité », ce qui est tout aussi erroné et stigmatisant. Et donc, pas besoin de chercher bien loin pourquoi le mot « nymphomane » subit la même dynamique lorsque le désir est jugé comme « trop » exprimé.
Par conséquent, poser une étiquette sur une personne simplement sur la base d’une forte libido sans qu’elle n’en ressente des conséquences négatives, cela s’appelle du jugement gratuit qui vise à couper l’expression d’un besoin naturel et positif. De plus, cela n’a plus vraiment de sens aujourd’hui… car « nymphe » renvoie à trois notions :
- Un insecte volant
- Les petites lèvres de la vulve
- Une jeune mariée
On entend rarement quelqu’un utiliser ce mot pour désigner la faune, l’anatomie ou bien sa cousine à l’église samedi dernier… n’est-ce pas ? Donc, si on ne veut pas réellement parler de ces trois choses, on peut largement s’abstenir et être enthousiaste que nos proches aient une libido qui leur convient. Dans le cas contraire, et uniquement dans ce cas, proposons-leur davantage des noms de professionnel.le.s de santé, comme les sexologues, pouvant les aider, plutôt qu’une énième remarque relevant du sexiste ordinaire.