La chevelure n’est pas une mince affaire… Que les cheveux soient roux, blonds, rasés, ou encore crépus, ils portent en eux le poids de nombreux préjugés. Passant des moqueries dans la cour de récré jusqu’à la discrimination au travail, la problématique est très répandue, mais encore largement ignorée. La discrimination capillaire est un fléau de l’ombre bien ancré. Décryptage
La couleur des cheveux peut-elle influer la carrière des femmes ?
La discrimination capillaire se définit par le fait d’être distingué.e des autres de par la couleur, la coupe mais également la texture de nos cheveux. Selon Jean-François Amadieu, directeur de l’Observatoire des discriminations à la Sorbonne, nos cheveux jouent bien un rôle dans l’accès au travail. La chevelure peut alors impacter positivement ou négativement les évolutions de carrière et plus particulièrement chez les femmes.
En Grande-Bretagne, une étude réalisée en 2009 montrait par exemple qu’une femme blonde sur trois se colorait les cheveux en brun afin d’augmenter ses chances professionnelles et avoir l’air plus intelligente au bureau. C’est le cas d’Eileen Carey, PDG de Glassbreakers, une société de logiciels d’entreprise.
« J’ai pris la décision de changer mon apparence afin d’améliorer la probabilité d’être prise plus au sérieux en tant que leader, plutôt que d’être considérée comme un objet sexuel dans le monde de la Tech », déclarait-elle dans un entretien accordé à la BBC en 2017
Face à cette déclaration, sur Twitter beaucoup s’étaient indigné.e.s qu’une femme se sente obligée de changer son apparence pour un travail. Et pourtant d’autres femmes du secteur technologique avaient réagi en indiquant qu’Eileen Carey n’était « pas la seule » et que, malheureusement, les « vieux stéréotypes » persistaient.
La coupe de cheveux un marqueur social très important
Les femmes noires seraient plus particulièrement touchées par cette forme de discrimination. Aux États-Unis, une étude réalisée par l’Université de Duke révélait en août 2020 que les femmes noires qui laissent leurs cheveux au naturel sont perçues comme « moins professionnelles que les femmes noires aux cheveux lisses » et qu’une femme sur cinq ressent la pression de se raidir les cheveux pour le travail.
De nombreux.euses élèves subissent également cette discrimination capillaire, en étant renvoyé.e.s de leur école à cause d’une coupe afro, de braids (tresses avec extensions) ou bien de dreadlocks. En Angleterre, une étude de l’Université de Montfort à Leicester démontre qu’un enfant sur six dit vivre une mauvaise expérience à l’école en raison de ses cheveux.
En 2019, la Californie a fait voter une loi intitulée CROWN Act (Create a Respectful and Open Workplace for Natural Hair). Son but : punir tout acte de discrimination capillaire au sein des écoles, au travail ainsi que dans les lieux publics. Elle est aussi entrée en vigueur dans l’Etat de Virginie, de New York et du New Jersey. En France, le code du travail interdit depuis 2001 toute discrimination liée au physique. Cependant, les personnes aux cheveux texturés se plaignent régulièrement. Sur Twitter, certaines femmes comme Amard expriment leur ras-le-bol :
J’ai eu 3 entretiens cette semaine on m’a dit 3 FOIS D’AFFILÉ de pas porter mes braids, de me lisser les cheveux et de les porter en chignon.
Les noires GALERENT a se faire accepter avec leurs cheveux naturels tandis que les negrophiles trouve çà jolie d’imiter nos coiffures.— amard (@AppoLrt) June 28, 2019
De la même manière, Sibeth Ndiaye ex-porte-parole du gouvernement a également fait l‘objet de nombreuses critiques à l’égard de sa coiffure afro lors de son investiture en avril 2019.
« Elle se croit ou avec sa coupe de cheveux à l’Afro ?? Chez elle au bled au Sénégal !? Et ben non on est en France et c’est juste une provocation de plus de cette boufonne, c’est pas parce qu’elle est noire qu’elle doit tout se permettre », commentait ainsi une internaute
Juliette Sméralda, sociologue la défend en expliquant à France Info que pour elle « le cheveu est une partie de l’être humain » et qu’il ne faut pas lui dire de faire ceci ou cela pour être accepté. Elle ajoute « qu’un être humain a le droit d’afficher son identité et de porter son cheveu comme il porte son corps et sa couleur ».
La résistance aux normes, choix subversif
Heureusement, depuis quelques années, en France comme ailleurs dans le monde, le mouvement « Nappy » (contraction des termes anglais « natural » et « happy ») regroupe toutes les femmes qui ont décidé de garder leurs cheveux naturels. Souvent lassées d’avoir les cheveux abîmés par le défrisage et le lissage, elles souhaitent accepter et aimer leurs cheveux tels qu’ils sont. Le mouvement a notamment été soutenu par Michelle Obama qui en 2019 a révélé ses cheveux au naturel sur Instagram.
Certains mouvements afro-féministes lui avaient reproché d’apparaitre constamment les cheveux défrisés ou lissés. Michelle Obama s’était d’ailleurs exprimée à ce propos dans le podcast « 2 Dope Queens » :
« Vous savez, la première chose dont vous devez vous préoccuper quand vous êtes à la Maison-Blanche, ce sont vos cheveux. J’ai voulu mettre fin à ça. Ce n’était pas seulement le quotidien d’une Première dame. C’est celui de toutes les femmes noires au bureau »
Accepter son individualité
Le cheveu, symbole ultime de la féminité, illustre ainsi à la perfection le poids des diktats qui reposent sur les femmes. La discrimination capillaire est un fléau, parfois ignoré, pouvant véritablement devenir une plaie pour celles et ceux qui en sont victimes. Afin de casser les codes, d’autres mouvements ont d’ailleurs vu le jour ces dernières années afin de rejeter les stéréotypes genrés et rompre enfin avec ce qui est attendu des femmes en termes de chevelure dans la société.
De plus en plus de femmes s’affichent le crâne rasé par exemple, pour des raisons esthétiques, de praticité ou tout simplement exprimer leur ras-le-bol. Les roux aussi, moins représentés dans l’univers de la beauté font souvent l’objet de moquerie et de harcèlement.
Pour mettre en valeur la beauté des femmes rousses, Brian Dowling un photographe a voyagé dans le monde entier pendant trois ans dans le seul but de les photographier. Une façon pour lui de faire tomber les clichés qui ternissent cette minorité capillaire. Et plus globalement l’occasion de mettre en lumière la discrimination capillaire, phénomène de société engendrant une frontière entre individus qui ne devrait plus être à l’ordre du jour !