Affaire Duhamel : actes sexuels sur les mineurs de 13 ans, la loi en passe d’évoluer ?

La publication récente du livre La familia grande de Camille Kouchner, dans lequel elle révèle l’inceste que son frère jumeau a subi, a provoqué une onde de choc. En étant rendue public, cette affaire a permis à d’autres victimes de briser le silence. Depuis plusieurs semaines, les témoignages poignants se multiplient ainsi derrière le #Metooinceste sur Twitter. Si la classe politique s’est faite plutôt discrète depuis cette annonce, plusieurs textes sont actuellement étudiés par le Parlement. De nombreux élu.e.s ont manifesté leur volonté de faire bouger la législation actuelle. Ce jeudi 21 janvier, on apprend que le Sénat va examiner une proposition de loi visant à protéger les jeunes mineur.e.s des crimes sexuels.

« J’avais entre 11 et 14 ans, c’était mon frère », « J’avais 9 ans. Je n’oublierai jamais ce sentiment de honte, de culpabilité, de vulnérabilité », « J’avais 5 ans. En une soirée, ce frère de ma mère a bouleversé ma candeur »… En l’espace de quelques semaines, des milliers de victimes ont exprimé leur traumatisme derrière leur clavier. Ces paroles bouleversantes ont ouvert les yeux des internautes. Le grand public ne fait plus la sourde oreille et prend conscience que le fléau de l’Inceste doit enfin sortir de l’ombre. Le mouvement #Metooinceste a résonné au-delà de la toile et commence à se faire entendre au cœur du Sénat. 

Poser un interdit clair

Ce jeudi 21 janvier, une proposition de loi déposée par la sénatrice centriste Annick Billon doit ainsi être examinée par la chambre haute. La porteuse du projet souhaite poser un interdit clair dans la loi en criminalisant toute relation sexuelle entre un.e majeur.e et un.e mineur.e de 13 ans, dès lors que l’adulte a connaissance de l’âge de l’enfant. Adrien Taquet, secrétaire d’État à l’Enfance et aux Familles, souhaite aussi durcir la loi. « Je pense que nous devons criminaliser les relations sexuelles entre un adulte et un.e enfant de moins de 15 ans », a-t-il affirmé le 19 janvier dernier sur Europe 1.

Régulièrement, des affaires comme celle qui concerne Olivier Duhamel, relancent le débat sur le consentement et la prescription des crimes sexuels sur mineur.e.s de moins de 15 ans. C’était aussi le cas l’année dernière avec l’affaire Matzneff. En janvier 2020, Vanessa Springora annonçait que l’écrivain Gabriel Matzneff avait abusé d’elle lorsqu’elle avait 14 ans. Aux yeux des associations, la législation actuelle reste insuffisante. Selon elles, les peines encourues ne sont pas à la hauteur des actes infligés aux victimes.

Atteinte sexuelle, agression ou viol, quelles condamnations ?

D’abord, il est essentiel de bien identifier les différences entre l’atteinte sexuelle, l’agression sexuelle et le viol. Tout acte sexuel entre un.e majeur.e et un.e enfant de moins de 15 ans, quelles que soient les circonstances, est défini par le code pénal comme une atteinte sexuelle, punie de 7 ans de prison et de 75 000 euros d’amende. En cas d’inceste, la peine peut aller jusqu’à 10 ans de prison.

S’il s’agit d’une relation sexuelle sans pénétration qui implique des attouchements, de la nudité imposée, des caresses et que l’auteur des faits emploie la violence, la contrainte, la menace ou la surprise sur la victime : on parle d’agression sexuelle. Elles sont punies de 10 ans de prison et 150.000 € d’amende lorsqu’elles sont infligées à un.e mineur.e de moins de 15 ans. Les peines sont plus lourdes si l’infraction sexuelle est commise par un.e ascendant.e (inceste), une personne ayant autorité de droit ou de fait sur la victime ou abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions.

Tout acte de pénétration sexuelle non consenti, de quelque nature qu’il soit est un viol. Ce crime est jugé en cour d’assises et passible de 20 ans de prison si la victime a moins de 15 ans. Pour la sénatrice Annick Billon, les critères définis par la loi pour qualifier un viol, ne doivent plus s’appliquer aux mineur.e.s. « J’estime qu’on ne peut pas interroger le comportement de la victime. La capacité d’un.e mineur.e à consentir ne doit plus se poser », explique-t-elle.

Que prévoit la loi actuelle ?

Une condamnation pour viol ou agression sexuelle suppose que les juges démontrent l’absence de consentement à travers les notions de « violence, menace, contrainte ou surprise ». La loi Schiappa de 2018 a précisé que, lorsque les faits concernent un.e mineur.e de moins de 15 ans, « la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes ».

Pour l’inceste, le Code pénal ne l’évoque que depuis 2016 et il ne constitue pas une infraction spécifique. Le fait qu’un viol ou une agression sexuelle soient commis.e par un.e ascendant est considéré comme une circonstance aggravante. Les associations pointent du doigt cette qualification. « Tout acte sexuel incestueux commis sur un.e mineur.e doit être qualifié de crime incestueux et puni par la loi », affirme l’association Face à l’inceste. « Sans qu’un hypothétique ‘consentement’ de la victime ne soit examiné ».

Mais l’âge de non-consentement en lui-même est une autre problématique qui fait polémique. Le seuil d’âge à 13 ans ne fait toujours pas non plus l’unanimité. Le choix de cet âge a été longuement réfléchi, souligne Annick Billon. « 13 ans, c’est l’âge de la responsabilité pénale des enfants. (…) C’est aussi un écart d’âge suffisant pour ne pas mettre en difficulté de jeunes couples constitués d’un.e mineur.e et d’un.e jeune majeur.e », développe-t-elle.

Que contient la proposition de loi examinée ce jeudi ?

Ce texte de loi, adopté à l’unanimité par les sénateurs en Commission, veut dresser « un interdit sociétal clair ». Il prévoit de donner naissance à une nouvelle infraction et de criminaliser toute relation sexuelle entre un.e majeur.e et un.e jeune de 13 ans ou moins. Une peine de 20 ans de prison pourrait ainsi être encourue si le texte est adopté par les deux assemblées. Entendue par la commission des lois du Sénat, l’avocate et présidente de la commission « Libertés et droits de l’Homme » au Conseil national des barreaux (CNB), Laurence Roques, ne voit pas ce projet d’un bon œil.

Selon elle, cela représente un risque supplémentaire pour les victimes mineures. Selon plusieurs avocat.e.s, instaurer une nouvelle loi ne ferait en effet que complexifier le parcours juridique d’une affaire. Ils.elles confirment qu’il existe déjà tout un arsenal de lois sur ce sujet et qu’en rajouter encore s’avérerait contre-productif. De son côté, Annick Billon affirme qu’elle souhaite avant tout combattre plus fermement les cas de violences sexuelles intrafamiliales.

Au-delà du système juridique, les associations comme SOS Inceste réclament plus de moyens pour agir ainsi que des campagnes de prévention diffusées dès le plus jeune âge. Il faut aussi briser l’omerta familiale et lever le tabou qui domine encore pour condamner plus efficacement les crimes sexuels sur mineur.e.s.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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