Les critiques et réflexions déplacées autour des cheveux, en passe d’être punies ? C’est ce qu’espère le député Olivier Serva. Il viendra présenter sa proposition de loi contre la discrimination capillaire le jeudi 28 mars à l’Assemblée Nationale. Cette mesure s’appliquerait essentiellement à la sphère professionnelle, lieu où les cheveux sont régulièrement attaqués. Encore aujourd’hui, les femmes racisées sont gentiment invitées à lisser leur chevelure texturée, les blondes récoltent toujours l’étiquette de la « greluche » et les roux sont au cœur de jeux de mots pas franchement élogieux. Ces injures qui se déclinent de la racine aux pointes et qui mettent les complexes en bataille pourraient bientôt devenir un délit. Le député Olivier Serva s’est coiffé de cette idée, par ailleurs salutaire.
Que contient cette proposition de loi ?
La discrimination capillaire fait rage dans le milieu professionnel. Souvent dissimulée sous une épaisse frange d’humour ou derrière une pellicule de racisme, elle assiège de nombreuses têtes. Entre les cheveux crépus jugés trop « sauvage », les reflets auburn sujets aux vannes les plus médiocres de l’openspace et les chevelures blondes jamais traitées avec sérieux, la discrimination capillaire s’en prend à tous les crânes. Si pour l’heure, les victimes n’ont aucune arme juridique pour se soulever contre ces moqueries à rebrousse-poil du respect, elles pourraient bientôt avoir de quoi se défendre.
C’est en tout cas le combat que portera le député Olivier Serva à l’Assemblée nationale le 28 mars prochain. L’élu de Guadeloupe avait déposé une proposition de loi contre la discrimination capillaire en septembre dernier. Depuis, elle a fait un bout de chemin et s’apprête à franchir le seuil de l’hémicycle pour un vote décisif. L’homme politique, porte-parole du groupe Liot à l’Assemblée, n’a pas manqué d’arguments pour convaincre ses homologues. Il a notamment évoqué le sort des personnes aux cheveux texturés obligées de passer sous le fer à lisser, ou de s’asperger de produits défrisants pour faire bonne impression à un entretien d’embauche.
Il s’est plus particulièrement attardé sur les « afro-descendantes », qui doivent sans cesse renoncer à leur vraie nature capillaire et à une part de leur identité dans le cadre professionnel. « Le port du cheveu naturel que ce soit locks, torsades, tresses, afro, roux, blond, a un lien inéluctable avec l’estime de soi », a-t-il insisté. Cependant, pour l’heure, ce type d’attaques physiques n’est mentionné nulle part dans la loi française. Une lacune évidente que Olivier Serva aimerait combler. Comment ? En ajoutant la discrimination capillaire aux 25 motifs de discrimination déjà inscrits dans le Code du travail.
Une saga juridique chez Air France qui a servi de « déclencheur »
En 2005, un jeune employé de la compagnie aérienne tricolore Air France avait été mis à pied. Non pas pour faute grave ou mise en danger des passager.ère.s, mais pour une simple coupe de cheveux. Le steward arborait des tresses attachées en chignon. Une mise en forme capillaire que la compagnie avait jugé « contraire aux de règles de port de l’uniforme« . Pour conserver son poste, l’employé avait alors dû dissimuler ses vrais cheveux sous une perruque. Une humiliation ultime. Cette coiffure afro de la discorde avait fait suite à une saga juridique longue de dix ans.
Le steward avait saisi les Prud’Hommes en 2012 pour dénoncer une discrimination capillaire évidente. En effet, cette coupe de cheveux, qui a failli lui coûter sa place entre les sièges des avions, était autorisée pour le personnel féminin. C’est seulement en 2022 qu’il voit l’issue de cette épopée prud’homale et qu’il obtient enfin gain de cause. Cette affaire, très médiatisée, a largement interpellé Olivier Serva, qui voyait là un vaste Far West juridique. C’est pour éviter ce genre de scénario à rallonge et donner plus de force aux victimes qu’il souhaite interdire la discrimination capillaire, qui démange le monde professionnel jusqu’à l’os.
Une mesure sur le modèle américain CROWN Act
Outre-Atlantique aussi les cheveux sont au centre des discussions et s’emmêlent autour d’une mesure incisive baptisée CROWN act (pour « Creating a Respectful and Open World for Natural Hair »). Cette loi, en vigueur dans une vingtaine d’État, est sur le point de se généraliser et de s’étendre à tout le pays, sans exception. Elle vise à interdire la discrimination fondée sur les styles capillaires associées à une race ou une origine ethnique spécifique.
La Californie fait office d’élève modèle puisqu’elle applique fermement cette mesure depuis 2019. Ainsi, une personne qui se voit refuser de porter des tresses, des locks ou de laisser ses cheveux crépus en liberté peut donc saisir la justice. Ce CROWN act, qui crée une barrière protectrice autour des cheveux texturés, a servi de modèle à Olivier Serva. D’ailleurs, sur le fond, les deux textes se font écho. Mais le député ne s’en cache pas et il estime que la France a un train de retard sur le sujet.
La discrimination capillaire, un fléau qui existe aussi en France
Michelle Obama avait avoué se lisser les cheveux lors de son séjour entre les murs de la Maison-Blanche. Et l’ex-première dame n’est pas la seule à se défigurer ou à se travestir la chevelure pour être plus « crédible » dans son rôle. Selon une étude émanant d’une collaboration entre LinkedIn et Dove, 66 % des femmes noires changent de coiffure pour un entretien d’embauche. De l’autre côté du bureau, du point de vue des employeur.se.s, les cheveux des femmes noires sont « 2,5 fois plus susceptibles d’être perçus comme non professionnels« . Les femmes blondes, elles, sont 31 % à repeindre leurs cheveux en brun pour paraître « plus intelligentes ».
Des exemples criants sur la toile ou dans les archives
Si aux États-Unis, la discrimination capillaire est régulièrement dénoncée, en France elle peine à avoir la même attention. Elle n’a jamais été quantifiée. Pourtant, elle mène la vie dure à de nombreux cuirs chevelus. Il suffit de replonger dans des archives pour s’en rendre compte. Dans l’émission « Salut les terriens », Thierry Ardisson se permettait des blagues odieuses au détour de son interview de la comédienne Stefi Celma. « Pour se coiffer le matin, elle met les doigts dans la prise ». « Ils sont en quoi les cheveux là ? »… le tout au rythme de « Couleur café ». Ces phrases d’une grande bassesse intellectuelle (et raciste) font partie d’une longue liste du même acabit.
Sur les réseaux sociaux, certaines figures comme Kenza Bel Kenadil, s’attèlent à rendre visible cette discrimination de l’ombre. La jeune femme fait tomber les façades des entreprises et révèle ce qui se passe vraiment en interne. Dans une vidéo, elle expose les critiques capillaires auxquelles elle s’est heurtée durant un entretien. « C’est trop fouilli », « ça fait sale », « c’est négligé »… Autant de jugements qui tombent sur les cheveux et qui créent de gros nœuds dans la tête.
Cette mesure qui envisage de mieux punir la discrimination capillaire est un véritable pas en avant. Cependant, elle soulève quelques questions quant à sa viabilité. La discrimination capillaire risque d’être difficile à mettre en relief. Ce sera donc certainement la parole de la victime contre celle du/de la coupable, soit un énième épi juridique.