Bizutage : pourquoi cette horrible tradition perdure-t-elle encore malgré les interdits ?

Le bizutage est régulièrement dépeint dans les films américains. Des fraternités ou des sororités prennent un malin plaisir à torturer et à infliger les pires challenges aux nouveaux arrivants comme s’il s’agissait d’une étape obligée, d’un sésame pour « inclure » le groupe. Un accueil humiliant bien loin de la convivialité des journées d’intégration. D’ailleurs, ces rituels de « bienvenue » à connotation toxique ne sont pas seulement enracinés dans le pays de l’oncle Sam. En France, le bizutage est aussi une triste réalité. Sauf que cette tradition abjecte est souvent feutrée sous le prestige des grandes écoles. Boire l’eau des toilettes ou lécher les chaises d’une salle de classe… ces pratiques immondes, imposées par des élèves qui pensent que leur ancienneté leur accorde tous les droits, sont toujours d’actualité. Pourtant, le bizutage est réprimé par la loi. Alors pourquoi fait-il encore partie du décor des classes prépa et autres institutions ?

D’où vient le bizutage et comment s’est-il radicalisé ?

Aujourd’hui, le bizutage s’inscrit dans le sillage du harcèlement scolaire. Toutefois, ces instigateur.ice.s le vantent comme un « test » d’éligibilité pour avoir bonne réputation pendant tout ce long parcours scolaire. Si d’ordinaire, il est plutôt coutume d’organiser des épreuves raisonnables et bon enfant à l’image des courses en sac à patates ou des bière-pongs, le bizutage, lui, induit des défis d’une tout autre ampleur.

Orchestré par une poignée d’élèves en quête de pouvoir, il s’amorce sous des « paris » beaucoup plus « crasses ». Dans les facs de médecine, les blancs-becs doivent passer leur langue sur des têtes de veau, marcher dans une mare de poumons d’agneau et se rouler dans du sang animal pour se faire accepter. En classes prépa, les étudiant.e.s sont voué.e.s à faire des fellations les yeux bandés aux statuts du Trocadéro comme le décrit la chroniqueuse Géraldine Maillet dans l’émission Touche pas à mon Poste.

De la Grèce Antique à l’ère moderne

En résumé, le bizutage, c’est le « Koh Lanta » de l’enfer. Cette tradition marquée par des mises en situation grossières et irrespectueuses gangrène de nombreuses institutions. Si elle semble émaner d’un courant de haine moderne, en réalité elle remonte à un siècle où les Hommes se baladaient encore en toge. Pour retrouver les premières traces du bizutage, il faut revenir à l’époque grecque, en 387 avant J-C. Lorsque Platon, philosophe majeur, fonde son Académie, un culte un peu spécial émerge. Il s’agit du pénalisme, « un système d’oppression légère et de tourment pratiqué sur les étudiants de première année ».

La pratique se répand et se durcit au fil des siècles. En 1340, en France, elle prend une tournure plus bestiale. Les « béjaunes », terme employé pour décrire les « débutant.e.s », sont aspergé.e.s d’eau, de paille ou d’urine dans la plus plate indifférence. Iels sont aussi victimes d’un pillage général et se font subtiliser leurs effets personnels, même les plus précieux. En cette ère médiévale, ces rites d’initiation sont carrément présentés comme une « purgation afin de prétendre au vénérable nom d’étudiant ». À mesure que la société s’est débauchée, le bizutage s’est perverti jusqu’à devenir un supplice absolu.

Entre effet de groupe et sentiment de supériorité

Le bizutage est toujours infligé par des élèves de longue date qui s’estiment plus respectables et puissants que leurs homologues fraîchement débarqué.e.s. Cette tradition asservie les jeunes louveteaux des écoles supérieures et hisse les étudiant.e.s d’expérience en figure dominante. Les ancien.ne.s étudiant.e.s voient cette pratique comme un moyen d’affirmer leur autorité et de maintenir la hiérarchie établie au sein de l’institution.

En général, c’est un cercle vicieux, une boucle sans fin. Celles et ceux qui jouent les tortionnaires avec leur « poulain », ont elleux-même dû s’adonner à ces actes odieux pour se fondre dans la masse. Le bizutage est un héritage social nocif qui traduit une forme de vengeance refoulée et un profond désir de reconnaissance.

De la même manière que le harcèlement scolaire, le bizutage assoit le règne d’élèves en quête de leadership et de l’admiration d’autrui. Il donne cette impression de contrôle à celles et ceux qui l’imposent alors que pour les personnes qui le subissent, ce rite est une occasion de « faire ses preuves ». Dans l’imaginaire, ces défis dégradants et inhumains sont un ticket d’entrée pour accéder à l’élite.

Un profond désir d’appartenance

Malgré leur statut distinct, les bourreaux comme les victimes ont un dénominateur commun : iels cherchent la validation des autres et l’alchimie collective. Les un.e.s en donnant les ordres, les autres en les respectant sans broncher. C’est ainsi qu’est régit toute notre société avec, d’un côté les « meneur.se.s » et de l’autre les « suiveur.se.s ».

Cette dynamique de groupe n’est d’ailleurs pas réservée aux bancs de l’université. Elle s’applique en moins « trash » dans d’autres milieux. L’exemple le plus probant se situe dans les vestiaires des clubs sportifs, lorsque les séniors volent la serviette des poussins pour faire valoir leur grade et forger une sorte de crainte naturelle. Même celles et ceux qui n’adhèrent pas à la pratique vont s’y conformer pour faire bonne impression dans le groupe. En clair, le bizutage est un « prétexte » pour acquérir de la force et marquer son « territoire ». C’est donc de l’intimidation gratuite en réponse à un égo qui cherche à se rassurer.

Le bizutage, une tradition régulièrement prise pour de la rigolade

Même si le bizutage est d’une gravité évidente et d’une débilité criante, la pop culture en tire un portrait beaucoup plus « soft », en jouant la carte de l’humour ou du ridicule. Une représentation biaisée qui pousse à croire que le bizutage est une simple plaisanterie. La plupart des films et des séries minimisent la teneur médiocre du bizutage en le comparant à une suite de farces inoffensives. Ce tableau empreint de légèreté et d’amusement laisse penser que c’est une banalité estudiantine comme une autre.

À travers cette image « dorée », le bizutage révèle presque une facette « cool ». Qu’importe si les élèves servent de ballons de football géant ou s’iels marchent sur des charbons ardents, les téléspectateur.ice.s s’imaginent que ces « châtiments » sont des « taquineries » vouées à souder une équipe. Ces représentations, bien que fictives, contribuent à normaliser le bizutage et à en décrédibiliser les dangers réels. Ainsi, lorsque le bizutage se reproduit hors du petit écran, il s’esquisse en formalité étudiante ou en acte d’intégration ordinaire.

Quelles sanctions en France en cas de bizutage ?

Si le bizutage continue de faire rage dans l’intimité des couloirs de fac ou de grandes écoles, il est pourtant condamné par la justice depuis 1998. En forçant les nouveaux.elles arrivant.e.s à se ridiculiser publiquement, les auteur.e.s risquent six mois d’emprisonnement et 7500 euros d’amende. Ces sanctions sont multipliées par deux si le bizutage cible une personne vulnérable. Si des menaces, violences ou atteintes sexuelles s’ajoutent à ces rites sinistres, la peine d’emprisonnement peut s’élever jusqu’à six ans de réclusion.

Cependant, les affaires de bizutage se font rares à la barre. Comme si les auteur.e.s étaient « couvert.e.s » par leurs institutions. Même si la plupart des grandes écoles désapprouvent fermement la pratique, beaucoup étouffent le problème pour ne pas salir leur précieuse réputation. En 2018, des étudiant.e.s infirmier.ère.s au CHU de Toulouse ont prouvé la part de responsabilité de leur établissement. Après la diffusion d’images choc les révélant avec la bouche scotchée, iels ont décidé de briser l’omerta. Un ancien formateur a également avoué la complicité de l’institution avec un mail compromettant à l’appui.

Le bizutage est encore solidement enraciné dans la culture estudiantine. S’il est souvent traité sous le prisme de la comédie, il cristallise le stress scolaire et ouvre de profondes cicatrices. Certain.e.s étudiant.e.s y ont même laissé leur vie. En réponse à ce malaise général, peut-être qu’un énième #MeToo parviendra à jeter un pavé dans la mare. 

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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