Entre solitude, manque de liens sociaux, cours en distanciel, difficultés financières… les nerfs des étudiant.e.s sont mis à rude épreuve. Selon une enquête réalisée par l’Observatoire de la vie étudiante, un.e étudiant.e sur trois présente des signes de détresse psychologique. Un sentiment d’abandon se hisse en toile de fond. Une question hante leurs esprits : Quand pourront-ils retrouver une scolarité « normale » ? Le digital est alors devenu leur arme privilégiée pour exprimer leurs angoisses. Sur Twitter, le #ÉtudiantsFantômes est notamment un véritable refuge pour eux.elles. Chaque témoignage est un nouveau cri d’alarme.
« On est moins important qu’une remontée mécanique au ski« , dénonce un internaute. Depuis plusieurs jours, la colère monte d’un cran et le gouvernement est dans le viseur des jeunes. Leur année scolaire a sombré dans un profond sommeil depuis presque un an, mais le sentiment d’injustice, lui, est latent. L’enquête « Les jeunes face à la crise : l’urgence d’agir » menée par le syndicat étudiant La Fage, publiée en juillet 2020 révélait déjà que deux tiers des étudiant.e.s ressentaient le besoin de se confier. Plus alarmant, 23 % ont eu des pensées suicidaires pendant le premier confinement. Un constat qui ne s’améliore pas avec ces incertitudes permanentes…
Nos cours sont en distanciels, on ne voit personne, on va mal. Mais nos partiels EUX sont en présentiel pour "la valeur du diplôme". Quelle est sa valeur quand on a des cours au rabais ?
On nous reproche tout mais on refuse de nous aider et de nous écouter.#etudiantsfantomes
— Lyliah 🦦 || they | ael (@Lyliah_7) January 12, 2021
La révolte 2.0 est enclenchée
Le 12 janvier 2021, une lettre signée des « sacrifiés, des oubliés, des survivants » est postée sur Twitter. Le comportement de la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal, en visite à l’université de Cergy, a mis le feu aux poudres. Pendant son tour d’horizon dans l’établissement, elle évoquait des risques de contaminations trop importants dans les cafétérias ou « si un bonbon traîne sur la table« . Une petite phrase que les étudiant.e.s n’ont pas digérée. Cette infantilisation permanente et ce désintérêt de la part de l’exécutif les encouragent à se mobiliser davantage.
Devant l’ampleur du phénomène, certain.e.s politiques n’ont pas hésité à réagir au #ÉtudiantsFantômes. « Malgré toute la mobilisation des agents des CROUS et des universités, notre jeunesse est menacée d’un déclassement inédit”, alertait ainsi le député LR Rémi Delatte lors d’une séance de questions au gouvernement mardi. Des hashtags comme #MentalBreakUp ou encore #ExamsDistanciel ont donné de la visibilité à leurs indignations. Dans leurs tweets, ils dénoncent le fonctionnement chaotique de leur fac ainsi que l’organisation incompréhensible des partiels en présentiel.
Parce que y'en a marre
Parce qu'on existe
Parce que ça doit changer#etudiantsfantomes pic.twitter.com/ToRSsYfQ5D— Loueasymoney 🇫🇷 (@louisonLnAe) January 12, 2021
Des étudiants vs comment le gouvernement perçoit les étudiants#etudiantsfantomes pic.twitter.com/rtu1EPgixR
— David (@David82338196) January 12, 2021
Dans le flou, les étudiant.e.s sont à bout
“J’habite à la campagne, ma connexion internet est très faible, les coupures sont fréquentes, je loupe la moitié des cours et l’école fait la sourde oreille. Ça m’a découragé, j’ai plusieurs fois songé à arrêter mes études”, raconte Raphaël, 22 ans, étudiant en agronomie à Dijon.
Ce manque de lien social et d’aides a même plongé huit étudiant.e.s sur dix dans le décrochage scolaire lors du premier confinement selon La Fage. L’association Nightline qui propose une ligne d’écoute nocturne quotidienne a aussi remarqué un stress plus intense. « Les étudiant.e.s sont lassé.e.s de la situation et voient leurs perspectives d’avenir s’écrouler. À l’annonce du deuxième confinement, on a d’ailleurs observé une hausse de 40 % des appels”, constate Florian Tirana, à la tête de l’organisation.
Autres problèmes : l’argent. Privé.e.s de ressources financières à cause du manque d’offres d’emploi, certain.e.s étudiant.e.s se sont retrouvé.e.s en situation de grande précarité. « D’habitude, je travaille en tant que caissière à Super U mais cette année, ils ont décidé de ne pas renouveler mon contrat. J’avais quand même trouvé un logement chez l’habitant. Mais sans ces revenus je ne pouvais plus payer les propriétaires et ils m’ont mise à la porte. Je suis au fond du gouffre« , s’attriste Milène*, étudiante en langues appliquées à Besançon.
L’association Article 1, qui lutte pour l’égalité des chances, s’était emparée de ce sujet lors d’une enquête réalisée en novembre dernier sur 700 jeunes. Verdict : 45 % des étudiant.e.s interrogé.e.s se disent inquiet.e.s pour leur situation financière. Ils.elles affirment aussi que la longueur inédite de la crise pourrait être redoutable. « Lorsqu’on entre dans l’âge adulte, on compense l’absence d’autorité parentale par des projets en tout genre. Dès qu’ils sont freinés, voire totalement annulés, il y a un repli sur soi qui provoque inévitablement une forme de dépression”, analyse Claire Blanchet, psychologue spécialiste des troubles étudiants.
Dans l’impasse, certain.e.s s’effacent
« Mon ordinateur est vieux, j’ai du mal à suivre les cours en visio, à regarder les diapos et à prendre des notes en même temps. Je l’ai signalé à la Direction, mais on m’a dit qu’il fallait que je m’achète du matériel neuf. Je n’ai plus le courage”, se lamente Noémie, 21 ans, étudiante en biologie à Auxerre. Pour contrer ce phénomène, certaines régions comme l’Occitanie ou la Lorraine, ont mis en place des dispositifs de prêt de matériels.
Pourtant, les étudiant.e.s l’affirment : cela ne remplace pas l’aide individualisée qu’offre le présentiel. Pour 40,5 % des jeunes interrogé.e.s par Article 1, ce sont les cours physiques et les échanges avec leurs professeurs qui leur manquent le plus. Les problèmes de connexion, l’absence d’équipements, de lien social, de réactivité avaient freiné plus de la moitié des étudiant.e.s.
“Personne ne pose de questions en visio, donc le professeur va plus vite et c’est encore plus compliqué de suivre le cours. Il y a de quoi baisser les bras », constate Charlotte, 19 ans, étudiante en psychologie à Dijon.
Absence de soutien psychologique à l’Université
Dans son rapport « En parler, mais à qui ?« , l’association Nightline déplorait le manque de psychologues à l’Université. « En France, un psychologue se partage 30 000 étudiant.e.s, c’est 25 fois moins que les recommandations internationales”, regrette Florian Tirana, président de l’association. Selon une étude anglaise, 75 % des épisodes psychiatriques commencent d’ailleurs avant l’âge de 24 ans.
L’experte, Claire Blanchet confirme, en effet, que c’est une période de construction et de développement importante :
« C’est à partir de sa majorité, qu’un jeune construira son identité à travers ses relations ou ses passions. Avec toutes ces contraintes, il met son évolution entre parenthèses », précise-t-elle.
Hier soir, jeudi 14 janvier, Jean Castex a fait de nouvelles annonces. Seul.e.s les étudiant.e.s de première année pourront retourner à la faculté à partir du 25 janvier. Ce vendredi, le Premier ministre doit aussi recevoir les représentant.e.s de la communauté étudiante, promettant une réponse de l’État à cette crise. Elle a déjà poussé nombre de jeunes à abandonner leurs études : 1 sur 6, selon Les Échos.
*Nous avons modifié le prénom, la personne préférant rester anonyme.