À Montmartre, dans un restaurant discret de neuf places, une révolution silencieuse s’opère. Celle menée par Chizuko Kimura, qui est récemment devenue la première femme cheffe sushi au monde distinguée par le guide Michelin. Dans le milieu très codifié de la gastronomie japonaise, rares sont les femmes qui accèdent au statut de maître sushi. Encore plus rares sont celles qui décrochent une étoile. Et pourtant, à 54 ans, Chizuko Kimura vient de déjouer les pronostics. En mars 2025, elle regagne l’étoile Michelin pour le restaurant Sushi Shunei, situé à Paris, dans le quartier de Montmartre. Une consécration à la fois personnelle et profondément symbolique, tant elle s’inscrit dans une histoire d’amour, de transmission et de résilience.
Une promesse née d’un deuil
Tout commence avec son mari, Shunei Kimura, chef japonais installé depuis des décennies en France. En 2021, il réalise un vieux rêve en ouvrant son propre restaurant. Très vite, Sushi Shunei obtient une étoile en mars 2022. Sauf que le destin s’en mêle : Shunei décède en juin de la même année, emporté par un cancer, seulement trois mois après cette reconnaissance. L’année suivante, le restaurant perd son macaron.
Chizuko Kimura, qui l’avait accompagné dans cette aventure et qui s’était formée à ses côtés, décide alors de reprendre le flambeau. Sans expérience initiale dans la restauration, cette ancienne guide touristique s’est initiée à la découpe du poisson, à la cuisson du riz, au cérémonial du service… jour après jour, patiemment. « Je suis toujours en train d’apprendre », affirme-t-elle encore aujourd’hui. Sa motivation ? Une promesse faite à son mari avant sa mort : poursuivre l’œuvre qu’ils avaient commencée ensemble. Elle ira jusqu’à garder le restaurant ouvert le jour de son décès.
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Une ascension hors des sentiers battus
Dans un univers où l’apprentissage du métier de maître sushi peut prendre une décennie, Chizuko Kimura atteint ce niveau d’excellence en seulement 5 ans. Ce parcours accéléré, elle l’attribue à son engagement total et à une discipline de fer. Elle continue de se former lors de ses séjours au Japon, peaufine sa technique, ajuste ses recettes.
Elle transforme aussi subtilement l’expérience proposée chez Sushi Shunei : introduction des tsumamis (amuse-bouches servis avec du saké), nouvelle recette de riz, changement du matériel de cuisson… Elle recrute également un maître sushi expérimenté, Takeshi Morooka, pour renforcer son équipe.
Le résultat : une étoile retrouvée, mais aussi une identité affirmée. Dans un décor épuré évoquant un origami de bois, seulement neuf convives peuvent déguster un menu saisonnier au comptoir, entre sashimis, nigiris, et assaisonnements précis. Le guide Michelin salue un « voyage sensoriel » et une « dextérité remarquable ».
Briser les règles… avec respect
Si Chizuko Kimura refuse d’être réduite à son genre, elle reconnaît volontiers l’impact symbolique de sa distinction. « Si cette étoile peut inspirer ou encourager d’autres femmes, j’en serais très heureuse », dit-elle. Pour autant, son objectif premier reste clair : faire honneur à l’héritage de son mari, et aller au-delà.
Cette démarche n’est ni militante ni provocante, mais elle n’en est pas moins subversive dans un Japon où les femmes sont encore largement marginalisées dans les cuisines traditionnelles de prestige. Chizuko Kimura incarne une forme de rupture douce : elle bouscule les normes en restant fidèle aux traditions, innove sans trahir la mémoire.
Une étoile pour deux
« Je n’ai pas gagné une nouvelle étoile, j’ai récupéré celle que l’on avait enlevée à Shunei », confie-t-elle. Pour elle, cette reconnaissance est avant tout une manière de rendre justice à l’œuvre de son mari, mais aussi de montrer que le talent ne dépend ni du sexe ni du parcours classique. Son ambition aujourd’hui ? Non seulement conserver cette étoile, mais faire encore mieux. Comme un dernier hommage à l’homme qui l’a initiée à cet art exigeant.
Le parcours de Chizuko Kimura illustre ce que la passion, la persévérance et l’amour peuvent accomplir, même contre les attentes les plus ancrées. En reprenant le flambeau de son mari, elle n’a pas seulement ramené une étoile dans leur restaurant : elle a ouvert une voie nouvelle pour les femmes dans un monde où elles étaient jusque-là presque invisibles. Et ce, sans bruit, mais avec une détermination remarquable.