En octobre dernier, une déferlante de haine envers la communauté asiatique a secoué Twitter. Des appels à « agresser les chinois », à les « tabasser » avaient été relayés près de 3000 fois. Choqués, les comptes Instagram asio-militants, créés récemment ou non, se sont alors servis de la toile pour tisser le fil d’une lutte acharnée contre ce racisme anti-asiatique silencieux.
Des violences plus nombreuses
« Dehors les jaunes »… C’est le message que Jean-Christophe Barré, étudiant franco-philippin, a retrouvé sur sa porte d’appartement le 13 novembre dernier. Dans sa ville située en banlieue Nord de Paris, il n’imaginait pas qu’une telle haine pouvait frapper dans son cocon familial. « Je n’ai jamais eu de problèmes de voisinage, je me sentais en sécurité chez moi. Mais depuis mars, il y a des regards insistants, des interrogations du style -Vous êtes de quelle origine ?- et des gens qui attendent le prochain ascenseur pour ne pas monter avec nous », avoue-t-il.
#JeNeSuisPasUnVirus #RacismeAntiAsiatique
Le message d’accueil sur la porte de palier de mon appartement : « dehors les jaunes ».
À celui ou celle qui a écrit ça : le but du confinement c’est de rester chez soi. Ça protège de deux virus : celui de la Covid et celui du racisme. pic.twitter.com/faMXh4wYkk— Jean-Christophe Barré (@JC_Barre_) November 13, 2020
Dans un article de recherche sur le racisme anti-asiatique publié par European Societies, 32,8 % des sondés affirment avoir subi “au moins un acte discriminatoire” depuis janvier 2020. « Souvent les victimes ne portent pas plainte. Il faut savoir que la communauté asiatique est arrivée en France assez tard, fin des années 70 et la barrière de la langue est toujours bien ancrée chez les anciens », regrette Daniel Tran, vice-président de l’association des Jeunes Chinois de France (AJCF).
Si en France, aucun chiffre n’a encore été communiqué, à New York le racisme anti-asiatique est plus fort qu’en 2019. Entre le 1er février et le 16 avril, la municipalité a ainsi recensé 105 incidents « contre cinq lors de la même période l’année dernière ». Pour lutter contre cette montée de la violence, les comptes Instagram asio-militants construisent un barrage imparable. Environ 21 millions de Français utilisent chaque mois l’application, ce qui en fait un terrain propice à la visibilité pour ces engagés 2.0.
« Avec les deux confinements, les violences physiques ont baissé, mais on a remarqué une hausse des insultes. La communauté asiatique est passée de minorité modèle à menace envahissante, mais sur les réseaux ça commence à bouger », ajoute Daniel Tran.
1 – Sororasie, le compte décomplexé qui déconstruit les clichés
C’est en avril dernier que Sororasie voit le jour sur Instagram. L’objectif ? Briser les préjugés et donner un coup de pied aux tabous. « En tapant « réseau femme asiatique« sur internet, je suis tombée nez à nez avec des sites de prostitution ou de rencontre. Aucun groupe d’entraide n’existait pour la communauté asiatique, encore une fois on était sous-représenté”. C’est en faisant ce constat qu’Amanda décide de créer ce compte.
D’un revers de posts, elle met à l’honneur des profils variés pour briser « l’asiatiquetage » dont elle a tant souffert. « C’est une perception franco-centrée de l’asiatique qui serait bridé, jaune, petit, chinois, soumis ou gentil. C’est un racisme ordinaire aujourd’hui”, dénonce-t-elle. En septembre, elle organisait par exemple un shooting photo sur le thème de la diversité. Au total, ce projet artistique du nom de « Sororasie 202.0 » a rassemblé 150 femmes asiatiques (indiennes, pakistanaises, sri-lankaises, japonaises…).
« J’essaye de faire de la pédagogie et de sensibiliser calmement à travers des commentaires ». Il y a quelques semaines, elle répondait à la publication « Nos Chinois sont made in France » postée par la Maison Lejeune, spécialisée dans les ustensiles de cuisine. Ce jeu de mots maladroit a irrité la jeune femme. Alors, par le biais de son compte aux 5500 abonnés, elle a réussi à obtenir gain de cause. L’entreprise a retiré la publication et a présenté ses excuses en privé.
À travers Sororasie, Amanda veut aussi aborder une partie moins visible de l’iceberg comme le fétichisme ou l’absence de figure asiatique dans le paysage médiatique français et ça attire.
2 – Stop Asiaphobie, le poids des mots pour dénoncer les maux
Dans cette même optique, le compte Instagram Stop Asiaphobie se tient comme le porte-parole des victimes de racisme anti-asiatique. Créé en janvier 2020, il recense une série de témoignages anonymes. Une vitrine numérique qui fait surtout froid dans le dos. On peut y lire : « J’ai 30 ans et j’ai eu le droit à des « face de citron », « elles sont chaudes les filles d’Asie du Sud » ou « Bande de chinois, vous avez ramené le covid allez vous faire foutre ». Fanny, qui tient les rênes de ce compte aux 17 000 abonnés, voulait conscientiser le grand public.
Des Asiatiques de tous horizons s’y expriment sans filtre et tentent d’éduquer les mentalités. Le tik-tokeur Jnyana expliquait par exemple ce qu’était le racisme anti-desi qui dénigre les personnes originaires d’Asie du Sud à l’effigie des Pakistanais ou des Indiens.
Le 7 octobre, Fanny relayait une vidéo du groupe de musique « 2th » en pointant du doigt les paroles « rien que je lui parle ching chong”. Dans sa légende, elle fustigeait : « J’en vois beaucoup dire -c’est pour la rime, ça sonne bien, c’est pas méchant- c’est clairement pas mon problème, le racisme ne se justifie pas”. Sur son compte, la vidéo a été vue par près de 30 000 personnes. Devant la pression, les jeunes hommes ont fait leur mea-culpa sur tous leurs réseaux sociaux.
3 – Être Femme Asiatique, journal intime à ciel ouvert
« Être une femme asiatique c’est…”, une phrase fil rouge qui caractérise ce compte né en octobre dernier et tenu par Anna Chen, coach de vie. Elle porte la plume dans la plaie et explore tous les pans de l’identité asiatique. « J’ai cherché à articuler mon vécu, à lever le voile sur la culture asiatique et à parler de toutes mes expériences personnelles. L’objectif c’est de parler de ce qui reste inconnu”, explique-t-elle.
On arbore des fragments de vie ou des problématiques actuelles à l’image des standards beauté européens qui créent les complexes des femmes asiatiques. La trentenaire aborde aussi la question du racisme. « J’essaye de bousculer les opinions, et ça ne plaît pas toujours. Les haters viennent aussi en privé pour me le faire comprendre” s’alarme-t-elle.
Au lendemain de l’appel à la haine envers la communauté asiatique, elle a lancé un sondage en story. Sa requête : « Est-ce que ça fait longtemps que vous êtes conscient.e du racisme anti-asiatique ?”. Sur la centaine de répondant.e.s, près de 40 % ont déclaré que c’était plutôt récent. Anna a également reçu près d’une vingtaine de témoignages de victimes qu’elle définit comme « bouleversants”. « Je ne pensais pas que ça allait concerner autant de personnes, j’étais assez surprise”.
Afin de renforcer son engagement, la militante a rejoint le collectif PAAF, un collectif de solidarités et d’identités panasiaféministes, encore en cours de construction. Celui-ci vise à « mettre en avant des représentations plus justes”.
Le combat s’étend aussi sur les ondes
En septembre dernier, Mélanie Hong créait le podcast « Asiattitudes ». Depuis, l’ancienne avocate joue la justicière des minorités en tendant son micro aux Asiatiques de l’ombre. Une palette large de profils figure dans la liste des invités à l’image du photographe Charly Ho ou de l’entrepreneuse Valérie Aguila.
« On veut montrer que les Asiatiques savent faire autre chose que vendre des nems et briser le schéma classique de l’élève au parcours traditionnel”, martèle la jeune femme.
En novembre, un épisode BONUS se consacrait à la question du racisme anti-asiatique. « Ce hors-série a vraiment eu un impact incroyable, il a été partagé de nombreuses fois. Les jeunes de 18-25 ans ont été les plus réactifs”, se réjouit-elle. Sur grand ou petit écran aussi, les paroles se libèrent et les réalisateurs donnent de la résonance à cette problématique bien ancrée.
Le chemin vers un changement total des mentalités est encore long, mais la lutte contre le racisme, elle, est bien enclenchée. Grâce à cette solidarité virtuelle, des internautes bienveillant.e.s érigent une muraille solide contre les clichés.